C’est très précisément au moment où l’on se dit qu’on ne nous y reprendra plus que ça nous tombe sur le coin de la gueule. C’est très précisément au moment où l’on se dit : « ouf, finies les histoires improbables qui foutent la vie sens dessus dessous » qu’en commence une nouvelle – dont bien sûr, on ne connait pas la fin. C’est très précisément au moment où l’on sait que, de toute façon, on a déjà tout vu, tout entendu, que se pointe un jeune type à la gueule d’ange, la mèche négligée et le look impeccable (comprendre un peu sixties) qui en dit long sur les ambitions. Même pas trente ans au compteur et pourtant. Et pourtant, ce garçon écrit des chansons qui bouleversent les habitudes. Des chansons dont on tombe amoureux en un claquement de doigt – parce qu’on est d’accord, hein, c’est bien de cela qu’il s’agit quand on écoute un disque ? – à cause d’un changement d’accord, d’une note d’orgue haïku qui se pointe au détour d’un refrain, d’un mot comme murmuré du bout des lèvres.
Je n’ai à ce jour jamais croisé James Leesley – c’est le nom du type à la gueule d’ange. Mais je sais déjà que je risque souvent d’entendre sa voix, ses arrangements (une boîte à rythmes, un clavier, une ou deux guitares et beaucoup de talent). D’écouter ses chansons d’un autre temps, de celles qui semblent tout droit sorties de la fin des années 60 – sans doute 1967 – ou du tout début des années 1980 – mais, vous me direz à juste titre qu’à cette époque, quelques groupes un peu lettrés essayaient justement d’écrire des chansons datant de 1967 (environ). Je n’ai à ce jour aucune idée de quels sont ses disques de chevet. Je sais juste que le sien va devenir l’un des miens. Parce que ces six chansons enregistrées dans une chambre avec trois bouts de ficelles mais beaucoup de cœur et offertes sur ce vinyle en format 25 cm sont de celles dont on sait déjà qu’on ne se lassera pas. Oui, ce n’est pas faux, peut-être qu’après avoir usé jusqu’à la corde les deux exemplaires que l’on possède (les choses précieuses, il faut toujours les acheter par paire, ne serait-ce que pour pouvoir offrir un exemplaire à une personne qui compte mais qu’on ne connait pas encore), on laissera passer un peu de temps avant de les (ré)écouter. Et puis par hasard, à une soirée qui finit au petit matin chez l’ami.e d’un.e ami.e, on entendra peut-être Film Night, valse de fête foraine délabrée avec un orgue un peu hésitant et la voix caressante de James. Et alors, tout reviendra : le dernier weekend de l’été, le ciel bleu strié d’orange (forcément), la douceur du soleil, le café qui brûle la gorge, les kilomètres avalés, les sourires même pas forcés. Comme un Lou Reed grandi du côté du Lake District, ce gamin de Sheffield signe la bande originale d’une Angleterre un peu désuète, celle des filles élégantes, un peu timides et pas assez sûres d’elles (alors qu’en fait, elles ont tout pour elles), celle des cafés aux banquettes en skaï et des tables vissées au sol, celle d’un Martin Parr qui aurait finalement privilégié les couleurs pastel, celle des cheminées de Mary Poppins, celle de son concitoyen Richard Hawley – fan déclaré de la première heure –, celle de Friday Night Saturday Morning – le film –, celle des bobbies à cheval et des premiers baisers dans un parc, celle de Love At First Sight, de Marbles, d’Evergreen Dazed, de Just A Girl – les chansons. Alors, vous l’avez compris : Buxton Palace Hotel, ce n’est pas tout à fait un disque comme les autres. C’est le genre de disque qui va vous accompagner jusqu’à la fin de votre vie. Et vous comme moi, on le sait bien : même si l’on a plusieurs vies, il n’en existe pas tant que ça, des disques comme ça.