Stranger Teens #6 : « Blitzkrieg Bop » des Ramones

Tout l’été, les morceaux qui ont sauvé notre adolescence.

Certains sont nés au milieu des disques. Leur parents possédaient une collection de vinyles, de cassettes ou de Cds, et lisaient même parfois des magazines comme Rock and Folk ou Best. Chez moi, il n’y avait rien de tout ça. Jusqu’à ce qu’ j’atteigne l’âge de 10-11 ans, il nous a fallu nous contenter d’une seule et unique cassette : la B.O. de Flashdance, et deux 45 tours : le single de Angie des Rolling Stones (qui n’avait plus de couverture) et celui de Ça Plane pour Moi de Plastic Bertrand. N’ayant rien d’autre à écouter, mon frère aîné et moi avons usé la cassette jusqu’à la corde sur l’increvable chaîne stéréo Thomson de nos parents et avons joué en boucle les 45 tours des Stones et de Plastic Bertrand dans notre mange-disque orange, jusqu’à ce que celui-ci finisse par mourir de sa belle mort à force de manipulations maladroites. Angie des Stones et la B.O. de Flashdance me collaient toujours légèrement le bourdon, mais par contre, je ne me suis jamais lassé, même aujourd’hui, du single de Ça Plane pour moi, surtout de la face B – Pogo Pogo –, qui me mettait dans tous mes états, même si je n’avais strictement aucune notion de ce qu’était un pogo.

Un jour, vers 1991, alors que j’entrais tout juste au collège, mon frère a commencé à ramener des cassettes des Beastie Boys, de Public Enemy et de De La Soul, tandis que mon père achetait une platine laser et nous offrait quelques disques : une compilation des triomphes de Karajan, un best of de The Police, le Zénith de Gainsbourg, une compilation de Brassens, un Pink Floyd et un album de Supertramp dont j’ai oublié le titre. J’ai même le souvenir d’avoir acheté à cette époque l’album Read My Lips de Jimmy Somerville, dont j’avais aimé la couverture, pourtant affreusement moche. Avec l’absence de discernement propre au jeune âge, j’écoutais tout ça avec le même plaisir et je ne cherchais guère à aller plus loin.

Et puis, vers l’âge de 11 ans, s’est produite une rencontre musicale fantastique, du genre à vous faire basculer dans un nouveau monde. Mon frère et moi, en visite dans la famille de mon père, étions impatients de retrouver nos cousins, et particulièrement Ben, qui avait 10 ans de plus que moi. Le Ben en question avait tout du parfait héros : acquis à la cause du punk, il avait une coupe de cheveux d’Iroquois, portait des Creepers, était champion national de BMX, avait déjà le permis de conduire, et possédait une chambre remplie de posters de groupes inconnus, dont un de Trompe le Monde des Pixies, un autre de Tom Waits – artistes que je n’allais écouter que des années plus tard – et une affiche sur laquelle on voyait un type en maillot de bain portant des lunettes noires, sirotant un cocktail sur une plage à côté d’un ghetto blaster, avec inscrit en rouge : « No school, no job, no problem ». Il y avait même sous son lit des numéros des Inrockuptibles de l’époque, dont le tirage mensuel était en grand format. Ben nous tenait en haleine et nous faisait rêver en nous régalant d’anecdotes de concerts, sur les Garçons Bouchers, les Wampas ou les Cramps. Je me souviens particulièrement de celle de François Hadji-Lazaro qui, sur scène, écrasait sur son front les cannettes de bières qu’il venait de s’envoyer.

Ramones
Ramones

Je ne sais plus trop comment on s’est retrouvés embarqués dans sa R5 rouge, mais toujours est-il que ce fut pour moi le lieu d’une épiphanie. Ben avait décidé de nous amener faire des dérapages contrôlés sur les bords de l’Allier (idée génialement débile), et il s’était empressé de mettre une bande-son ad hoc pour accompagner sa démonstration de conduite acrobatique. Soudain, après avoir mis une cassette* dans son autoradio et poussé le volume au maximum, voici que retentit le mythique One, Two, Three, Four des Ramones. Et là, je me prends Blitzkrieg Bop en pleine figure comme un uppercut, sidéré par l’impression de n’avoir jamais rien entendu de semblable, comme si cette chanson renvoyait aux oubliettes toutes celles écoutées précédemment. Côté musique, aucun chichi, le riff de guitare est basique, brut de décoffrage. La basse est limitée à sa plus simple expression. La chanson avance comme une  Panzerdivision, puis les guitares s’arrêtent d’un coup, tandis que continue la rythmique martiale de Marky Ramone, accompagnée du légendaire Hey-Ho-Let’s Go, scandé par ses comparses. Alors que la basse rentre à nouveau, bientôt rejointe par la guitare de Johnny et accompagnée de Marky qui repasse au charley, voici que surgit une mélodie imparable et jubilatoire, comme j’allais en découvrir tant d’autres plus tard dans la discographie de ces Beatles du bitume. Plus qu’une chanson, il s’agissait d’une véritable opération commando, destinée à tout renverser sur son passage. Entendre ça pour la première fois alors qu’on se trouve dans une voiture lancée à pleine bourre avec son cousin qui se prend pour Rémy Julienne, ça relève presque du cinéma !

La rencontre fulgurante avec Blitzgrieg Bop allait déterminer ma prédilection pour les artistes capables d’exprimer la jubilation, et je continue aujourd’hui de partager la conviction nietzschéenne que, en dépit des apparences, « la joie est plus profonde que la tristesse ».

Quoi qu’il en soit, après une régression durable vers le hard rock – oui, jusqu’à ce que je rentre en troisième, j’ai été fan des Guns n’ Roses et j’avoue même honteusement avoir échangé les fameuses cassettes des Beastie Boys et de Public Enemy contre les deux volumes de Use Your Illusion suite à l’écoute de You Could Be Mine des Gunners dans Terminator 2 –, il m’a fallu attendre la venue de Smells Like Teen Spirit de Nirvana pour retrouver la vibration ressentie avec Blitzkrieg Bop, et me remettre à nouveau dans le droit chemin qui, à la fin du collège, m’a mené à Sonic Youth et aux Pixies.

Blitzkrieg Bop est devenue une tarte à la crème, et aujourd’hui les T-shirts des Ramones vendus chez H&M sont portés par des fashionistas qui n’ont jamais écouté le groupe, mais qu’importe. Je remercie le hasard, et surtout mon cousin, de m’avoir inoculé le virus du rock and roll à un âge aussi précoce.


* D’après mes recherches, la cassette en question devait être le premier volume de la compilation All The Stuff and More, sortie en 1990, et qui commençait justement par Blitzkrieg Bop. Je me souviens d’avoir été marqué par la couverture, où se trouvait un aigle qui tenait une couronne de lauriers dans une de ses serres et une batte de base-ball dans l’autre. Bizarrement, j’ai mis du temps à acheter des albums studio des Ramones, mais leur Loco Live m’a donné et continue de me donner un plaisir sans mesure, même si Marky et Dee Dee ne faisaient alors plus partie du groupe.

Blitzkrieg Bop des Ramones est sorti aux États-Unis en avril 1976 et en Angleterre en juillet 1976 sur le label Sire Records.

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