Stranger Teens #23 : « Californication » par les Red Hot Chili Peppers

Tout l’été, les morceaux qui ont sauvé notre adolescence.

On est le 21 avril 2006, aux alentours de 8h30 dans la cour de mon collège de Haute-Savoie. J’ai 14 ans et ce matin-là, je suis surexcitée au moment de faire la bise à mes copines. Je leur raconte que la veille au soir, j’ai regardé en direct sur Canal+ un concert des Red Hot Chili Peppers à la Cigale. Attirée par la musique et les exclamations de mon père (toujours très expressif devant la télé), je m’étais timidement levée de mon lit pour le rejoindre au salon. Je n’avais vu que très peu de concerts, que ce soit en vrai ou à l’écran, et c’est avec une fascination immédiate et toute nouvelle pour moi que j’ai observé Anthony Kiedis, son look insensé, sa manière de bouger sur scène, puis John Frusciante, reprenant How Deep Is Your Love avec cette voix de fausset insoupçonnable.

Mon père avait enregistré le concert, écrasant sûrement un prime de la Star Ac’ au passage. Pendant des semaines, je mange mes céréales devant Scar Tissue et cours à la sortie du collège pour danser devant Dani California. Camille vient chez moi après les cours pour regarder la cassette et on se dit que les mecs comme Anthony Kiedis, ça n’existe pas dans la vraie vie. La routine perdure jusqu’au jour où une erreur de programmation du magnétoscope remplace les soixante minutes bénites par un match de foot, sort tragique mais inévitable de toutes les VHS de la maison. S’en suit un été passé seule dans ma chambre, les volets fermés, à écumer YouTube : aucune vidéo liée aux Red Hot et publiée avant cet été-là sur la plateforme, mauvaises vidéos amateurs comprises, n’a pu m’échapper. C’est d’ailleurs ce même été que j’ai commencé à développer la myopie qui me caractérise toujours. Le titre que je préférais les voir jouer en live, c’était Californication, qui démarrait systématiquement par une longue introduction guitare-basse. Je me souviens d’une nuit passée à regarder en boucle leur « AOL session », les larmes aux yeux, sachant que j’allais partir le lendemain pour une semaine de vacances en famille sans internet, et donc sans eux.

Cette douce folie m’a suivie jusqu’au lycée mais mon intérêt, d’abord concentré sur le charismatique chanteur, s’est rapidement déplacé vers le plus discret John Frusciante. Une interview en particulier, celle réalisée par la chaîne néerlandaise VPRO en 1994, a marqué mon adolescence. Le guitariste, drogué à ne plus tenir droit, y joue quelques titres de son premier album, chef-d’œuvre pour certains, témoignage des ravages de l’héroïne pour d’autres, Niandra Lades and Ususually Just A Tee-Shirt. Il y parle aussi des disparitions récentes de Kurt Cobain et de son ami River Phoenix, mort d’overdose dans les bras de Johnny Depp devant le Viper Room.

Red Hot Chili Peppers
Red Hot Chili Peppers

En fait, les Red Hot ont été cette ouverture vers tout ce qui me passionne encore aujourd’hui, soit les États-Unis et ses subcultures : j’ai regardé la filmographie de River Phoenix et ainsi découvert Gus Van Sant, qui m’a amenée à Richard Linklater et à Larry Clark ; parce qu’ils côtoyaient Timothy Leary, j’ai fait des listes d’auteurs beatniks à rechercher à la bibliothèque ; parce que Frusciante sortait avec Emily Kokal, j’ai observé les débuts de Warpaint et appréhendé la scène indépendante de Los Angeles. Je ne peux compter le nombre d’artistes que j’ai découverts grâce à eux, qu’il s’agisse de musiciens, de cinéastes ou d’auteurs ; artistes qui m’ont  permis, très souvent, de me raccrocher à ces mots de John : « I am very happy to be alive. There is much fun to be had. Music, movies, books, paintings, drawings. I hope you have these things where you are. If you have them, what does the real world matter anyway? ».


Californication par les Red Hot Chili Peppers est sortie le 20 mai 2000 sur le label Warner Bros.

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