
L’année prochaine, Stereolab aura 35 ans. Et nous aussi : nous sommes nés avec ce groupe, avec son premier disque, et nous avons grandi avec lui. Avant eux, le vide. Le concert du 4 juin au Trianon en est une preuve ultime : on s’est rarement senti aussi vivant face à un groupe qui nous regarde autant que nous le regardons – et semble nous écouter lui aussi. Sur cette scène, Stereolab joue des morceaux venus de tout son répertoire, et ils ont entre eux comme des airs de continuité et de constance, hors de tout repère temporel. Les plus récents, issus du dernier album tout juste sorti (le premier depuis plus de 15 ans), se mêlent à merveille à tous les autres. Melodie is a wound, Immortal Hands ou If you remember I forgot how to dream sont tout aussi puissants et hypnotiques ce soir que les immenses Flower Called Nowhere ou Peng!33. La beauté de Stereolab, on le voit, on l’entend ici, réside dans la capacité du groupe à se laisser transporter, à explorer des territoires psychédéliques, à mêler ses âges, sans jamais renoncer à la pop mêlée d’expérimentation et de pistes obliques. Changements, cassures, surprises. Certains moments sont de pures élévations, d’autres évoquent une forme de twist moderne. Le tout est un périple joyeux, tenu par la guitare de Tim Gane – qui tournoie la tête en permanence au rythme de son propre jeu, et par la présence de plus en plus en belle de Lætitia Sadier dont on sent l’émotion vive de jouer là à Paris, ville qui a longtemps tenu le groupe à distance, mais qui désormais l’adule. Lætitia est splendide. On a envie de ne jamais la quitter, l’écouter à jamais. Parfois, elle joue du trombone et c’est simplement merveilleux. Souvent, elle se penche sur sa Fender Mustang tandis que Tim est en boucle sur sa propre guitare, et que derrière eux, claviers, basse et batterie tracent une route ardente. Ce groupe est le meilleur du monde, là, juste là. Dans la salle, le public est enivré, il n’a pas le choix. Stereolab joue comme si toute sa vie était tenue là, sur cette scène. En rappel, ce morceau, parmi leurs premiers, The Way Will Be Opening, mélopée ralentie, utopie politique, à propos de liberté et de voix nouvelles, un hybride marxiste et pop, mélancolique et engagé. Stereolab se déploie ainsi, à la façon d’une utopie. Mais une utopie dans laquelle nous habitons et vivons depuis bientôt 35 ans. Une utopie de notre réel. À la fin du concert, ils signent ce qu’on leur tend. Ils sourient. On a l’impression que Lætitia est au bord des larmes. Nous aussi. L’émotion est vive. Leur vie, c’est la nôtre. The Way Will Be Opening – on n’en a jamais douté.
