De Born Bad en passant par Caméléon, le patrimoine du rock français peut compter sur quelques activistes pour le défendre et le valoriser. Dans la bande, présentons Mémoire Neuve, un label associatif monté par cinq copains. Ils sont collectionneurs de disques (Régis), gérants de labels (Claude de Caméléon, Olivier de Close Up, Ponch de Sam Play) et graphiste (Benoit) et chassent à travers l’hexagone des bandes inédites de groupes d’ici. La grande particularité de la structure réside en effet dans le choix de publier avant tout des morceaux jamais publiés qui dormaient dans les tiroirs, souvent depuis des décennies. À mi chemin entre une démarche patrimoniale et un label de nouveauté, Mémoire Neuve, dont le nom synthétise les ambitions paradoxales, donne enfin une existence matériel et public à de nombreux trésors cachés. Le catalogue donne raison aux cinq amis. Sans réécrire l’histoire, il donne au passé une nouvelle lecture et offre de remarquables surprises. Le label avait frappé un très grand coup avec la compilation de Soggy, une formation mythique originaire de Reims, très influencée par le punk high energy des Stooges et du MC5 (une tradition très française) mais aussi avec un enregistrement de 1974 des mythiques Dogs, passionnant document pour celui qui s’intéresse au rock français. Leur catalogue compte ainsi une trentaine de références oscillant entre punk rock (les Dentist de Nice, groupe pré-Playboys), hard (38 Tonnes) ou new wave (Laxatif 126).
Special Service, un groupe marseillais du début des années 80 s’ajoute à cette fascinante collection. La formation phocéenne développe une powerpop, canal punk et moderniste, dans la veine des Jam et autres Purple Hearts, rarement entendue avec une telle qualité ici, de surcroît en français. Le groupe s’inscrit ainsi quelque part entre les Bikini d’Antony et les Tweed normands. Il est peut être aussi question des nantais de Ticket (sur la quatrième chanson Je n’avais rien demandé), des Lords normands ou des grenoblois de Roxette… Les quatre titres sont autant de tubes en puissance qui raviront les amateurs du genre. Si l’influence des Jam, période In the City, est omniprésente, le groupe brille par sa verve et sa capacité à écrire des chansons explosives et mémorables. Mené par Jean-Luc Scinicariello et Francis Silberich autour d’anciens Cops and Robbers (aussi publiés par Mémoire Neuve), le groupe marseillais déploie une énergie et une morgue digne des meilleures formations britanniques du genre tout en dépeignant la France pré-mitterrandienne, où est question de sortir le samedi soir (Samedi Soir), payer pour avoir accès aux plaisirs charnels (Fallait Payer), les drogues (Et On Te Dit), le chômage… Les Special Service dépeignent ainsi leur quotidien au sons de guitares nerveuses mais ultra-pop. Chacune des quatre chansons de ce 45 tours sonne comme un hymne, de ceux qui vous rendent fiers et courageux. Presque quarante ans plus tard, bien après que tous les groupes modernistes aient rendu les armes et aient rejoint leurs aînés Kinks et Who dans l’histoire de la musique, entendre ces compositions a quelque chose d’émouvant. Les principaux artisans ne sont plus de ce monde (les bandes ont été transmises au label par l’intermédiaire de l’ancien manager) mais la vitalité et la justesse de la proposition eux résonnent pleinement. L’histoire aurait-elle pu être différente pour Special Service ? Pas certain, tant faire du rock dans la France du début des années quatre-vingt était un sacerdoce. En tout cas remercions Mémoire Neuve d’avoir publié ce qui est peut être un des meilleurs 45 tours de powerpop (option punk/mod revival) jamais réalisé en France. Il est trop tard pour les voir sur scène mais pas pour découvrir leur musique.
Pour info, on peut entendre les morceaux de Special Service sur scène via les New Bootleggers, formé par l’un des anciens batteurs du groupe et qui a inclus les compos de Special Service dans le répertoire du groupe.