« à tous ces enjeux mouvants qui ne m’arrêteront pas »
Il y a quelques jours à peine, j’ai eu la chance de (re)voir Sinaïve – trio strasbourgeois dont j’ai déjà fêté avec ferveur les deux premiers EP, ici et là – dans les conditions optimales du lieu dont on ne peut dire le nom : son poussé à fort volume, ambiance apaisée, présence attentive et amicale du public, volutes de fumées non identifiées, verres de bière généreux. Durant une petite heure, Sinaïve a déroulé son psychédélisme empreint d’une froideur concentrée, portée par une rythmique robotique et implacable. Sur place, une rumeur persistante promettait un inédit du groupe, enregistré disait-on avec du matériel analogique, à base de cassette, et de matériel d’equalisation en guise de production rudimentaire. Le disque était là, tiré à 69 exemplaires numérotés pour l’occasion, dans sa pochette de carton brun anonyme – si ce n’est les adresses postales et internet du groupe tamponnées, un polaroid du trio, de dos, à genoux et les mains sur la tête (en écho à de marquantes images de l’actualité récente) et un dépliant en noir et blanc avec les paroles des sept nouveaux morceaux.
Il y a quelque chose d’exaltant à voir un groupe grandir de concert en concert, de séances d’enregistrement à une autre, et à chaque étape se transformer, s’affiner, muter, de façon toujours surprenante. C’est ici un parti-pris très fort dans une production dynamique tellement évidente (encore fallait-il y penser), de nouvelles influences, et des détails qui font la différence : la longue dérive dub de Esclave est maître (notez la référence à Hegel), une certaine froideur new wave, une pop song cachée dans l’ombre des constructions rythmiques audacieuses de Velours amour, la poésie abstraite et amère marquée des légères ridules mystiques des paroles de l’ensemble, magnifiée par des effets, des amorces de buzz d’amplis, des voix doublées… Sinaïve va vite et profite de cet état de grâce pour marcher sur l’eau : chaque chanson se tourne comme une page de pop-up avec des surprises en trois dimensions, plus le temps, avec des plages étirées avec justesse (plus ou moins cinq minutes à chaque fois), pour provoquer un certain état d’hypnose. Le son est clairement fait pour être poussé à fort volume, les guitares sont abrasives comme jamais, les rythmiques toujours plus compactes. J’ai déjà énoncé tout ce que me renvoyait ce jeune groupe, assurance tranquille de l’œuvre, science de la composition et de l’écriture, simplicité retrouvée du rapport à la musique, désintérêt pour les scories satellites (l’emballage) et synthèse sans passéisme. Alors je prends tout, comme un voleur, de peur que tout ne s’envole à la prochaine étape, mais dans l’excitation d’une suite, que j’espère inattendue, encore une fois.
P.S. : Peut-être que Révélation Permanente Bootleg est encore disponible ici : sinaiveofficiel@gmail.com, tentez votre chance.