En novembre dernier, nous apprenions la disparition de Sheggi (de son vrai nom Katy Clarkson), guitariste et chanteuse des Fat Tulips. Comme Alex Taylor des Shop Assistants – également décédée cette année -, Frances McKee des Vaselines ou encore Amelia Fletcher de Talulah Gosh et Heavenly, Sheggi faisait partie de ces frontgirls iconiques des années 1980-1990 qui ont incarné la quintessence d’un certain type d’indie pop conjuguant l’amour des mélodies acidulées, des rythmiques souvent rapides et des parties de guitare énergiques. Formés en 1987 à Petesborough par Mark Randall et basés par la suite à Nottingham, les Fat Tulips existaient déjà avant l’arrivée de Sheggi et avaient même enregistré un flexi avec une certaine Sarah C. au chant. Sheggi avait d’abord rejoint le groupe en tant que guitariste, mais après le départ précipité de Katie Keen – la deuxième chanteuse des Tulips -, Sheggi est finalement passée derrière le micro et a su s’imposer comme « la » voix des Fat Tulips. Le groupe, resté actif jusqu’en 1994, nous a laissé quelques tubes jubilatoires, addictifs et inoxydables.
Pour ceux qui seraient passés à côté des Fat Tulips et qui n’auraient pas encore eu la chance d’entendre la voix douce, enfantine et ensoleillée de Sheggi, on conseillera bien sûr leur album Starfish (1994), constellé de feux d’artifices pop et de ballades savoureuses mais aussi les divers EPs, qui chacun recèlent des petits trésors. On appréciera le contraste habile entre des mélodies légères, souvent joyeuses, et des textes un peu plus sombres racontant souvent des histoires d’amours brisés. Après les Fat Tulips, Sheggi a aussi composé et tenu la guitare pour The Melons, groupe qui a réalisé quelques 7 pouces et un EP, notamment sur le label Damaged Goods. Daniel Treacy des Television Personalities étaient d’ailleurs un fan notoire. Sheggi s’est éteinte à tout jamais, mais la joie de vivre qui transparaissait dans son chant continuera de se diffuser dans le cœur de tous les fans de pop à travers les hits rayonnant des Fat Tulips et des Melons, dont voici quelques-uns des plus réussis.
Voici une chanson qui démarre dans le pur style de l’indie pop initiée par Talulah Gosh. Jouée sur un tempo enlevé rehaussé par un tambourin, ce morceau superpose progressivement des guitares pour se terminer dans une sorte d’hubris pop ultime, totalement jouissif. Si un tel final vous laisse de marbre, c’est que vous êtes dans le coma.
Ce titre, certainement le plus « punk » des Fat Tulips tire tout son charme du contraste entre des guitares distordues jusqu’au larsen et une mélodie « ligne claire » des plus accrocheuse. Un tube immédiat sans fioritures, sur lequel la voix de Sheggi se pose comme une fleur.
En dépit de leur prédilection pour les tempos rapides, les Fat Tulips ont aussi pondu quelques ballades mémorables. Comment résister aux merveilleux « shoo–Bee–Doo-Wap » de Sheggi ? Attention, la mélodie risque de ne plus vous sortir de la tête !
Ce morceau commence sur les chapeaux de roues et évolue vers break, un ralentissement et un retour au tempo de départ des mieux sentis. Sheggi chante l’amour déçu. You threw my love under a double decker bus, ça c’est du refrain ! Et les petits détails – le flutiau, l’effet Leslie sur la guitare sur le pont, les cloches à la fin -, sont parfaits.
Encore une ballade où la parfaite simplicité du chant du Sheggi touche nos cœurs de popinets en plein dans le mille. Mais l’apparente naïveté de la mélodie ne doit pas nous faire oublier l’acidité des paroles…
You had to kill me
Like I have to kill you now
Like I have to kill you now
Like I have to kill you now
It’s hard to lose the sweetest child
Chainsaw s’impose comme un des morceaux les plus percutants des Fat Tulips, dans la même veine que le bruitiste Deadhead Baby. Et encore une fois, comment ne pas apprécier ces textes incisifs : Cut me cut me cut me with a chaisaw, why do I still love you, when you’ve cut my heart in two ?
Encore un morceau des plus distingués, qui séduit notamment par son accélération finale. La guitare classique donne des accents naïfs bien appréciables.
Ce morceau commence sans payer de mine, en partant d’une intro minimaliste constituée d’une ligne de basse, d’une rythmique et d’arpèges de guitares assez discrets mais qui cachent bien leur jeu. La partie de voix est presque un peu trop grave pour Sheggi au début et donne au morceau une impression de faux départ. Mais l’arrivée des accords acérés de guitare et du tambourin emmène la chanson vers des horizons inattendus et un changement de tempo particulièrement judicieux au milieu de la chanson transforme ce titre en pur et simple hit.
Un morceau phare, qui rappelle bien sûr beaucoup Talulah Gosh. La production, le son de la guitare, les différents changements de tempos en font un petit bijou.
Ok, Sheggi ne chante pas sur ce titre hyper classe qui préfigure The Manhattan Love Suicides, groupe de Leeds des années 2000 qui gagne à être découvert ; mais en 1989, Sheggi jouait en revanche de la guitare, au côté de Mark. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle assurait.
Comme je le disais plus haut, Sheggi a aussi composé et tenu la guitare pour les Melons, qui ont réalisés quelques singles et EP bien cools. Sur ce titre, elle assure aussi les chœurs. Vous remarquerez que le début du couplet est quelque peu pompé sur Happy When it Rains des Jesus and Mary Chain, mais on pardonne tout à Sheggi.
Ce titre à la production brute, avec son petit pattern de guitare folk et la voix un peu lointaine de Sheggi, qui semble chanter depuis un autre monde, a quelque chose de très touchant.
Et pour finir, voici une chanson particulièrement émouvante des Fat Tulips, où Sheggi semble chanter l’impossible espoir de retour d’un amour perdu. Comment ne pas avoir le coeur serré à l’écoute des paroles, écrites par une artiste qu’on aurait aimé ne jamais voir partir : I know one day/ You’ll come back again/ It will be like Christmas/ Summer Holiday/ The day that you come back/ The day that you comme back again.
Matt Johnson, batteur des Fat Tulips et ami de Sheggi pendant 33 ans, a accepté de répondre à quelques questions.
Il y a eu plusieurs chanteuses dans les Fat Tulips avant Sheggi. Est-ce que tu peux nous dire comment vous vous êtes rencontrés et comment Sheggi a fini par devenir la chanteuse du groupe ?
J’avais un ami qui était à fond dans la pop C86 et qui montait souvent en Ecosse pour voir tout un tas de groupes. Il est devenu pote avec une bande de filles d’Uddingston et de Belshill dans les environs de Glasgow. Elles sont venues passer un week-end à Nottingham et c’est là que Sheggi et moi sommes devenus amis. Elle a fini par déménager à Nottingham et on a formé un groupe avec Katie au chant et Sheggi à la guitare. Quand Katie a décidé de quitter le groupe, on a convaincu Sheggi de la remplacer.
Est-ce que tu pourrais décrire la personnalité de Sheggi ? Quel souvenir en as-tu ? Quel est ton meilleur et ton pire souvenir avec elle ?
Il n’y avait pas plus gentil que Sheggi, elle l’était peut-être même trop. Elle prenait le groupe très au sérieux et elle pouvait être très contrariée quand Mark, Paul et moi nous mettions à trop déconner. Elle était aussi très timide, alors en tant que chanteuse, elle était morte de trouille avant chaque concert. Quoiqu’il en soit, tous ceux qui l’ont rencontrée l’ont adorée. En tant que chanteuse des Fat Tulips, elle se faisait tout le temps des potes. Mon souvenir le plus drôle, c’est la fois où on avait fait jouer plusieurs groupes lors d’une soirée indie pop qu’on avait organisée alors que Mudhoney jouait le même soir à Nottingham. Ils sont venus à notre soirée et Sheggi avait pas mal bu, à tel point qu’elle a fini par gerber sur les pieds du chanteur de Mudhoney. Sinon, aucun mauvais souvenir ne me vient à l’esprit. On a bien dû s’engueuler quelques fois mais quand je repense à notre relation, elle n’évoque pour moi que du bonheur.
Est-ce que vous avez joué en dehors de l’Angleterre ?
Oui, en 1992, juste après la sortie de Nostalgia chez Vinyl Japan (label qui a accueilli Thee Milkshakes, The Headcoats, Monochrome Set, entre autres), on a fait une tournée en Allemagne avec Throw That Beat In The Garbagecan. Je me souviens d’avoir joué dans un champ, à côté d’une ferme à Gütersloh avec un groupe qui s’appelait Glaring Surge. C’était top. Toute la tournée a été géniale. On a joué devant des centaines de personnes chaque soir. Throw That Beat In The Gargabecan avaient beaucoup de succès. On était déjà super fans d’eux et en plus, ils étaient vraiment cool. On a même joué dans une piscine vide, avec la scène sur le rebord et le public massé à l’intérieur. Vraiment bizarre ! En rentrant d’Allemagne, on a aussi fait une date en Belgique.
Une fois, pendant cette tournée en Allemagne, on s’était arrêtés pour dormir dans le van. Mais on était tellement chiants que Sheggi a préféré sortir pour pieuter à même la route ! Au retour, on a été arrêtés par les douaniers à la frontière entre la Belgique et la France. Ils nous on fait vider le van de fond en comble en fouillant dans le moindre recoin et ils ont fini par se barrer, nous laissant tout remettre en place. Résultat : on a raté notre ferry…
Est-ce que toi et Sheggi êtes restés en contact après la séparation du groupe ? Est-ce qu’elle vivait encore aux USA au moment de sa disparition ?
Sheggi a vécu a Nottingham jusqu’au milieu des années 90 et on est restés bons amis jusqu’à la fin. Après avoir quitté Nottingham, elle s’est installée à New York et y a vécu pendant 10 ans, ce qui m’a permis de lui rendre visite assez souvent. Après elle a déménagé au Canada, où elle est restée.
Est-ce que tu sais quelles étaient les chansons des Fat Tulips que Sheggi préférait ? Est-ce que tu te souviens des groupes qu’elle écoutait à l’époque où les Fat Tulips étaient en activité ?
Je ne sais pas trop quelles étaient les chansons des Fat Tulips que Sheggi préférait. En ce qui concerne les groupes qu’elle aimait, elle avait des goûts ecclectiques. Étant originaire d’Uddingston, elle connaissait et appréciait plein de formations de Glasgow, comme les Soup Dragons, Primal Scream, BMX Bandits. Elle aimait aussi la plupart des groupes de la scène C86, comme Talulah Gosh, les Razorcuts, les Chesterfields. Elle était super fan de Julian Cope et des Smiths.
Tu peux nous donner ton top 5 des meilleures chansons des Fat Tulips ?
So Surreal, Nostalgia, Death Of Me, Amelia et Angels Amongst Us.
Est-ce que Sheggi a joué dans d’autres groupes que les Fat Tulips et les Melons ? Est-ce qu’elle a continué à faire de la musique ces dernières années ?
Je crois qu’elle a participé ici et là à quelques projets en tant qu’invitée ponctuelle mais, hormis les Fat Tulips et les Melons, elle n’a jamais fait partie d’un autre groupe de façon permanente. Elle n’a plus fait de musique après avoir déménagé à New York mais elle a toujours eu une guitare dans son appartement.
D’autres membres des Fat Tulips ont-ils monté des groupes après les Fat Tulips ?
Mark a fait partie d’un groupe qui s’appelait Confetti, qui a réalisé un single sur Heaven Records – notre label – et qui a sorti d’autres trucs sur d’autres labels. Il a aussi été membre d’”Oscar”, qui a sorti quelques singles en 45 tours.
Quel était votre processus d’écriture ? Qui écrivait la musique et les paroles ?
Sheggi et Mark se chargeaient d’écrire la plupart des chansons et des paroles, les amenaient en répète et on arrangeait tout ça avec la basse et la batterie pour leur donner une forme définitive . On répétait dans la chambre d’amis de mes parents, un endroit vraiment petit et très bruyant ! Mes parents détestaient ça mais ça ne nous a jamais arrêtés. J’ai gardé pas mal des feuilles sur lesquelles Sheggi et Mark notaient des trucs pour les chansons.
Quand vous étiez actifs, principalement dans les années 90, est-ce que vous étiez potes avec d’autres groupes ? Avec quels groupes est-ce que vous avez tourné ?
La scène pop de l’époque était vraiment sympa et on était potes avec des tonnes de groupes, avec qui on tournait très souvent. Ceux avec lesquels on a le plus joué sont les Rosehips, Mousefolk, Heavenly, Strawberry Story mais on je pense qu’on a dû partager la scène avec tous les groupes qui existaient à l’époque. On a fait des concerts dans tout le pays, de Southampton sur la côte Sud de l’Angleterre jusqu’à Dundee en Écosse, la plupart du temps on était tout juste défrayés. C’était pour le pur plaisir de rencontrer des gens et de jouer sur scène.
Pour finir, Amelia Fletcher nous parle de Sheggi.
« Passé un temps, j’avais l’impression de voir Sheggi à tous les concerts auxquels j’allais, que ce soit dans le public où sur scène. C’était une fan absolue de musique et une artiste hors pair qui assurait vraiment en live. C’est toujours chouette de la voir. Son enthousiasme était contagieux. »
pour moi la ragazza la plus iconique des 90’s n’est pas une chanteuse c’est Belinda McConnell White l’ex girlfriend d’alan mcgee de creations records (archive de mon blog de 2018) https://perseverancevinylique.wordpress.com/2018/08/02/belinda-mcconnell-white-rip/
Oh mince,
Triste nouvelle, j’aimais beaucoup… Une voix très attachante.
A l’époque de Myspace son copain m’avait écrit, on avait un peu discuté.
On en sait plus sur les causes du décès ?