SASAMI – fast forward

SASAMI

Avec seulement deux titres dans ses bagages, SASAMI a débarqué sur le devant de la scène à l’automne dernier. Grâce à une solide décoction de dream pop aérienne et de fulgurances grunge, elle a envoûté la presse internationale et s’est vue sur-le-champ décerner les titres de Best New Song par Pitchfork et de « rock’s next big thing » par l’influente revue américaine The Fader. Des prémonitions confirmées par SASAMI, premier album renversant imaginé au cours d’une année sur la route avec Cherry Glazerr, ex-gang de l’originaire de Los Angeles. En dilettante, elle enregistre ses idées sur son iPad et puise pour l’inspiration dans ces messages trop chargés, ceux que l’on renonce à envoyer et que l’on enterre dans les « Notes » de son smartphone. Avec un ferme « Let’s fucking do it! » elle a ouvert notre discussion et, à deux jours de la Journée internationale des femmes – qui, et cela ne saurait être un hasard, fut aussi celle de la parution de son album –, a exprimé sa reconnaissance à toutes les musiciennes et professionnelles qui l’ont accompagnée jusque-là et font évoluer, progressivement, le milieu de la musique.

Tu as été acclamée par The Fader et Pitchfork alors que tu n’avais sorti que deux titres [le double single Not The Time / Callous paru le 9 octobre 2018  chez Domino Records]. L’engouement médiatique a été très rapide. Comment l’as-tu vécu ? 

Je me suis sentie très chanceuse. Je sais que la presse joue un rôle essentiel dans le domaine musical aujourd’hui. Les gens n’achètent plus la musique dans des magasins de disques ; ils l’achètent sur internet. Avoir des articles dans la presse, c’est un peu comme avoir ses disques dans une vitrine : cela te donne de la visibilité.

Tu as signé avec l’un des plus gros labels indépendants actuels, Domino Records, pour ce premier album. Comment cela s’est-il produit ?

Quand j’ai arrêté de jouer avec Cherry Glazerr, je suis directement repartie en tournée, en solo. J’ai fait une tournée de dix semaines, puis j’ai enchaîné avec un autre tournée, pendant laquelle j’ai notamment ouvert pour The Breeders et Soccer Mommy [dont nous avions chroniqué l’album, Clean]. Je crois qu’ils ont vu que je travaillais dur. Je me considère comme une « col bleu » : j’aime être constamment active. Si je ne suis pas en tournée, je suis en studio, je fais des vidéos ou autre chose. Je crois que Domino essaie toujours d’utiliser ses ressources pour nourrir le label, dans le but d’aider les petits groupes à grandir. Par exemple, ils gèrent de gros noms comme Arctic Monkeys, mais ils vont ensuite utiliser ces gains pour aider des artistes comme moi, beaucoup moins célèbres. Je crois que nous étions, le label et moi, mutuellement inspirés par notre force de travail et notre enthousiasme. Aussi, j’avais un album terminé au moment où j’ai signé avec Domino, ce qui m’a sans doute aidée. « C’est déjà fait, c’est là, si ça vous plaît ça vous plaît ». Je ne suis pas arrivée avec une seule chanson en leur disant : « Peut-être que je vais faire un bon disque ». 

« N’importe quel label peut signer des artistes féminines, mais employer des femmes dans sa société, voilà ce qui prouve quelle importance on donne réellement à la diversité. »

Comment était-ce de travailler avec un label si important, en comparaison avec tes expériences passées ?  

Personnellement, j’aime Domino parce que ma A&R Manager est une femme, ma Project Manager est une femme… J’ai rencontré beaucoup de femmes qui y travaillent. N’importe quel label peut signer des artistes féminines, mais employer des femmes dans sa société, voilà ce qui prouve quelle importance on donne réellement à la diversité. J’ai été vraiment impressionnée par le nombre de femmes qui travaillaient dans les bureaux, et je m’y suis sentie très à l’aise. Ce que je veux dire, c’est que si j’arrive à une réunion avec l’envie de faire un clip, que j’ai des idées pour ce clip, je veux me sentir à l’aise de les proposer. J’aime beaucoup travailler avec des femmes, et c’était rassurant de savoir qu’elles étaient autant présentes dans cette équipe.

Quand as-tu décidé de te lancer en solo ? L’avais-tu toujours souhaité au fond de toi ? 

Non, pas du tout. J’ai commencé à jouer de la musique dans des orchestres, ce qui est la chose la plus éloignée de la performance solo : j’étais tout au fond, une personne parmi une centaine d’autres. Je n’ai jamais eu envie d’être pianiste, par exemple, pour être sur le devant de la scène. Cela ne m’a jamais intéressée. Ensuite, je me suis mise à beaucoup composer et arranger pour les autres, à collaborer aux projets des autres. J’emmagasinais des idées au fur et à mesure, idées que j’avais envie d’utiliser dans mes propres chansons, librement. Alors j’ai commencé à composer pour moi-même, pour le plaisir. A un moment donné, je me suis retrouvée avec un certain nombre de chansons et je me suis dit : « Pourquoi ne pas les sortir ? », mais je n’avais jamais eu pour projet de me lancer en solo. J’avais un album prêt, et je sentais qu’il était temps pour moi de quitter Cherry Glazerr. Je me préparais à débuter tout doucement, à faire des concerts dans des maisons… J’étais prête pour cela, mais j’ai eu cette chance que tout aille beaucoup plus vite que prévu.

Tu représentes pour moi, aux côtés d’artistes comme Soccer Mommy, Snail Mail ou Stella Donnelly, une nouvelle génération de musiciennes pour la scène rock indépendante. J’ai l’impression qu’il n’y a jamais eu autant de projets de femmes en solo dans les labels. As-tu l’impression de faire partie d’un mouvement ?

Oui, c’est certain. C’est un mouvement. Avant, il y avait si peu de place dans les labels pour les femmes que c’était un peu… cela m’embête de dire le mot « compétition » mais c’était cela, il y avait plus de compétition. Simplement parce qu’il y avait moins de créneaux pour nous. Aujourd’hui, il n’y a qu’à regarder autour de moi : mon ingénieure du son est une femme, la responsable de ma tournée est une femme… Les femmes s’embauchent les unes les autres et s’aident mutuellement à grandir parce qu’il y a encore un tel chemin à faire pour atteindre l’équité ! La plupart des filles, enfants, reçoivent des poupées et du vernis à ongle. Dès le départ, nous n’apprenons pas à nous servir de matériel électronique, de machines. Il y a tant de travail à faire pour rééquilibrer les choses… J’aime voir cette entraide entre femmes qui se transmettent les emplois, font les premières parties les unes des autres. J’ai été très chanceuse d’être soutenue par beaucoup de femmes qui m’ont emmenée en tournée, donné des conseils et aidée. Très chanceuse.

SASAMI
SASAMI / Photo : Alice Baxley

Tu n’as pas peur d’aborder des sujets intimes dans tes paroles, des luttes dans lesquelles beaucoup de jeunes adultes peuvent se retrouver. Je trouve cela très réconfortant. Était-ce important pour toi de faire de la musique à laquelle d’autres personnes pourraient s’identifier ? 

Ce n’était pas du tout intentionnel car quand j’écrivais ces chansons, je ne me disais pas que j’étais en train de faire un album. J’écrivais simplement des chansons, sans savoir ce qu’elles allaient devenir. Quand tu écris dans un journal, cela fait du bien d’expliquer tes sentiments avec des mots, mais quand tu écris des chansons c’est encore mieux car tu peux rendre compte de tes sentiments par deux moyens : les mots et la musique. C’est tellement thérapeutique que quand j’écrivais, j’écrivais simplement pour moi. Généralement, quand je fais de la musique, je passe beaucoup plus de temps sur les instruments parce que c’est ma formation, et c’est ce que j’aime le plus. J’adore chanter, mais je considère aussi la voix comme un instrument et quand je chante, je réfléchis beaucoup plus à ma manière de chanter qu’à mes mots.

« Pendant longtemps je me suis mise la pression à vouloir faire de belles paroles, mais cela fait tellement de bien de simplement écrire ce que tu ressens. »

J’ai beaucoup lu la poésie et les paroles de Léonard Cohen, qui sont très brutes et intimes, et que je trouve magnifiques. Pendant longtemps je me suis mise la pression à vouloir faire de belles paroles, intéressantes, mais cela fait tellement de bien de simplement écrire ce que tu ressens que finalement je me suis dit : « Ok, je vais juste dire ce que je pense et je vais le dire trois fois : I wish I never met you. I wish I never met you. I wish I never met you. » [« Je voudrais ne jamais t’avoir rencontré. » en français, paroles extraites du titre Pacify My Heart]. Cela m’enlève un peu de pression. Certes je ne fais pas d’éloquentes déclarations poétiques mais en même temps, je crois que les gens s’identifient d’avantage ainsi. Personne ne se promène en disant : « Oh, mon cœur est comme un papillon qui frétille, posé sur une feuille lourde de rosée menaçant de se décrocher à tout instant ». Personne ne parle comme ça [rires]. « Je suis trop mal. Il veut plus me baiser. Je suis dégoûtée. », voilà comment les gens parlent. Alors j’ai écrit mes paroles de cette manière, parce que c’était plus facile pour moi, et plus honnête.

Tu as commencé à tourner en solo alors que tu n’avais sorti que deux titres. Comment était-ce de jouer devant des gens qui ne connaissaient pas ta musique ? 

C’était un challenge, c’est sûr. Tous les soirs je me disais : « C’est cool. Je débute de zéro. Personne ne sait qui je suis. » Cela ajoutait beaucoup de liberté à ma performance, et je me suis éclatée. C’était très excitant quand les gens écoutaient ; je me disais que je devais faire quelque chose de bien s’ils me prêtaient attention sans me connaître, sans en avoir quelque chose à faire au départ. C’est un challenge amusant d’essayer de captiver des gens qui ne sont pas là pour toi, qui ne connaissent rien à ta musique.

As-tu travaillé seule à l’écriture de cet album ou t’es-tu entourée d’autres artistes ? 

C’est moi qui ai tout écrit, mais j’aime des groupes comme Slowdive, Yo La Tengo ou Fleetwood Mac, quand plusieurs voix se mêlent. Je fais de la musique en solo et j’avais envie d’ajouter des voix supplémentaires, juste pour avoir différents timbres et textures dans mes chansons. J’ai donc demandé à Dustin [Dustin Payseur, du groupe new-yorkais Beach Fossils], Devendra [Devendra Banhart] et SoKo de m’accompagner.

J’ai aussi lu que ton frère Joo Joo, que nous connaissons à travers son groupe Froth, avait joué de la basse et de la guitare sur ton album…

Oui, il joue sur beaucoup de chansons. C’est un excellent guitariste. Il écrivait les parties de guitare et de basse. J’enregistre en analogique et je ne peux donc rien éditer ensuite : une fois que c’est enregistré, c’est enregistré. Quand je travaille seule, j’enregistre les choses dix fois parce que je suis très perfectionniste. Avec Joo Joo, en une fois c’est dans la boîte, et c’est le genre d’attitude dont j’ai besoin parfois. C’est mon frère et on a une connexion profonde. Aussi, en tant que productrice, j’avais envie d’avoir la possibilité de prendre du recul, de m’asseoir et de laisser d’autres personnes jouer. Je crois que quand tu joues toutes les parties toi-même, il est plus difficile ensuite de mixer, de savoir quels éléments mettre en avant ou non. Quand tu t’assois et que quelqu’un d’autre joue, tu as d’avantage de perspective. Je fais tellement confiance à Joo Joo… Il est génial. C’est un dieu de la guitare [rires].

As-tu en tête d’autres artistes avec qui tu aimerais collaborer à l’avenir ? 

J’adore travailler avec des femmes, et j’aimerais faire de la musique avec plus de femmes en studio, mais en même temps j’adore coupler ma voix à une voix plus basse. Dès que j’aurai d’avantage de temps, je commencerai probablement à collaborer avec d’autres personnes. J’aime vraiment collaborer, je n’aime pas être seule tout le temps, mais je suis très autoritaire… En plus, maintenant que je travaille pour moi et que j’ai la possibilité de contrôler les choses, j’ai beaucoup de mal à déléguer. Mais je sais qu’en travaillant à deux, on peut parfois faire sortir le meilleur de chacun.

Tu es très active sur les réseaux sociaux, où tu fais du teasing autour de la sortie de ton album, mais où tu documentes aussi ta vie en tournée. As-tu l’impression que les réseaux sociaux jouent un rôle dans ta carrière de musicienne ? 

Je pense que les artistes peuvent choisir à quel point ils veulent être présents sur les réseaux sociaux. Certains musiciens tournent beaucoup, ce qui veut dire qu’ils s’ennuient beaucoup et c’est le premier motif d’utilisation des réseaux sociaux [rires], mais c’est aussi devenu une manière très commune de promouvoir tes concerts et ce que tu fais. Pour moi, c’est juste une autre manière de créer du contenu. J’ai la chance d’avoir 28 ans et pas 18, j’ai déjà traversé pas mal de crises d’identité. Si j’étais plus jeune, ce serait plus dangereux. Les réseaux sociaux font partie de nos vies maintenant. Je ne dis pas que c’est une bonne chose, c’est juste ainsi. Je pense que c’est bien de limiter le temps qu’on y passe. « Poste ce truc et lâche ton portable », voilà ce que je me dis tout le temps, mais on passe tous trop de temps sur nos portables…

Tu as déjà publié trois clips, et tu as posté sur Instagram plusieurs vidéos courtes illustrant d’autres chansons de l’album. Est-ce juste de la publicité, ou des extraits de clips à venir ? 

Je ne sais pas, c’est un mystère ! Tu vas devoir attendre pour le savoir… [rires].

Je me demandais si tu allais faire une vidéo pour chacune de tes chansons ! D’où te viennent toutes ces idées ? 

De mon esprit barjot. J’ai beaucoup d’idées, et j’ai la chance que la musique soit mon travail à plein temps alors tu sais… Je suis dans le van et je me dis : « Tiens, aujourd’hui je vais faire une vidéo de moi avec une batte de baseball ». Mon boulot est de créer des choses. Je tire mes idées du fait d’être bizarre.

Tu joues du cor dans le clip de Not the Time. J’ai fait du trombone pendant quinze ans…

Oh waouh, des filles aux cuivres, yes ! [me tape dans la main]. J’adore ! J’ai étudié le cor, je suis allée au conservatoire… Regarde [me montre ses nombreux tatouages, des noms calligraphiés de compositeurs classiques] : Brahms, Mahler… Une vraie geek !

« Si tu es cool quand tu es jeune, tu ne l’es pas en grandissant. »

J’étais tellement contente de te voir brandir fièrement ton cor dans cette vidéo. Je ne sais pas pour toi, mais j’avais honte de mon instrument quand j’étais plus jeune. J’avais le sentiment que les autres avaient tous des instruments bien plus cool.

Oui, ce n’est pas comme une flûte ou une clarinette mais cela a forgé ton caractère, n’est-ce pas ? Pour moi, si tu es cool quand tu es jeune, tu ne l’es pas en grandissant. Tous les gens qui aujourd’hui me paraissent « cool » étaient de vrais losers quand ils étaient plus jeunes [rires]. C’est la vérité. Ma nièce a 13 ans, elle a du style, elle est cool et je luis dis : « Non, ce n’est pas bon ça, ce n’est pas bon ! Ce n’est pas bon signe d’être stylée et cool à 13 ans, crois-moi ! ». Je compte mettre encore plus de cor dans mon prochain album.

Tu es multi-instrumentaliste, ton frère est aussi un musicien accompli…  Avez-vous grandi dans un environnement musical ?

Nos parents ne sont pas musiciens, mais mon père faisait des compilations sur CD qu’il gravait, dans lesquelles il mettait Steely Dan, Fleetwood Mac ou The Beatles [rires]. Ma mère écoutait de la musique classique. Il y avait toujours de la musique dans la maison. On a été élevés en allant à l’Eglise, où on chantait tous les dimanches, j’ai pris des cours de piano quand j’étais petite… Nos parents nous ont toujours soutenu dans notre envie de faire de la musique.

Trouves-tu que Los Angeles est un bon endroit pour trouver l’inspiration et créer ?

En fait, j’y ai passé très peu de temps au cours des quatre dernières années, parce que j’ai énormément été en tournée. Je sais qu’avant cela, ce que je trouvais très inspirant à Los Angeles c’est que nous vivons dans des maisons et non dans des appartements, et nous passons tous beaucoup de temps dans les maisons des uns des autres. Nous n’allons pas dans les bars. Par exemple, les gens installent des studios de musique dans leurs maisons… Je pense que cela fait partie de notre culture, et cela est forcément propice à la créativité.

Qu’est-ce qui t’enthousiasme dans les semaines à venir ?

L’album sort dans deux jours, j’ai hâte ! Partir en tournée, faire ma première tournée américaine en tant que tête d’affiche… Mon premier concert à New York est déjà complet, ce qui me rend dingue parce que je n’arrive toujours pas à croire que des gens écoutent ma musique. Alors voilà : jouer pour les gens, essayer de garder ma voix, essayer de rester en bonne santé.

Bandcamp : https://sasami.bandcamp.com/album/sasami

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