Je ne me serai pas précipité sur ce disque si elle ne m’avait pas envoyé un message m’invitant, de suite, à écouter le dernier album de Rosalía, LUX. Il faut dire que j’avais été effrayé par tout ce que j’avais lu ici et là : chef-d’œuvre, offrande fervente de pop classique avant-gardiste, œuvre néo-classique en quatre mouvements et chantée en treize langues, oratorio exquis pour cœurs chaotiques -, sans parler de son casting de (trop) bons élèves : le London Symphony Orchestra, les collaborateurs de MOTOMAMI Noah Goldstein et Dylan Wiggins, Pharrell Williams, Björk, entre autres -. Pourquoi alors m’infliger ces 18 titres alors même que j’étais complètement passé à côté des trois albums précédents, Los Ángeles, El Mal Querer et MOTOMAMI ?
Attisé par la curiosité, et par son message, j’ai cédé et j’ai écouté LUX, plus que de raison. De manière obsessionnelle. À ne plus pouvoir écouter autre chose. Après quelques semaines – et combien d’écoutes ? -, ce dont je suis certain, c’est que je n’écouterai pas ses albums précédents, comme je n’écouterai pas ceux qui suivront, tellement, cet album a en lui, un je ne sais quoi de particulier qui en fait quelque chose d’unique. D’ailleurs n’est-ce qu’une collection de chansons ? N’est-il pas autre chose ?

LUX, ça serait l’œuvre orchestrale de Rosalía, pensée telle une œuvre classique, en 4 mouvements, et qui, sous fond d’arrangements électro-néoclassiques et musiques traditionnelles, aborde des thèmes tels que la pureté – et l’absence de pureté -, le pardon, le désir, dieu, la féminité, l’abandon, la mort. Mais la forme est tellement puissante – puissante dans le sens aveuglante – que si je n’avais pas lu quelques interviews de Rosalía, je n’aurais pas su ce que racontait cet album. LUX mélange en effet les genres musicaux de manière si naturelle, qu’ils donnent l’impression de s’influer mutuellement à un point tel qu’ils nous étourdissent. C’est comme si Rosalía absorbait les genres et, tel un miroir, en réfléchissait d’autres. Sa voix, qui est le personnage principal de LUX, traverse les musiques – pop, flamenco, électronique, néoclassique, fado -, elle les transperce même, allant jusqu’à se décomposer au contact des arrangements – qui sont fantastiques de précisions d’ailleurs -. Elle se transforme, et les chansons avec, comme si un dialogue s’instaurait entre elles. Avec LUX, Rosalía pense que l’auditeur, s’il se concentre suffisamment, peut vivre une véritable expérience. Je confirme. LUX est, pour moi, un album que je regarde autant que je écoute, qui envahit mon espace, qui m’envahit, un album qui me transforme en spectateur, un album qui me dit : regarde.
J’aurais pu m’arrêter là, sur ce regarde mais une phrase est venue se glisser entre LUX et moi. Cette phrase, ce souvenir, c’était : “la musique, c’est des émotions.” Et je me suis aperçu que LUX ne me provoquait aucune émotions. Cet album, certes, est beau, mais il n’y a rien dessus qui me bouleverse si ce n’est cette chanson, Memoría, mais pour des raisons trop personnelles pour que je puisse les écrire ici. Pas de larmes, pas de picotements, pas de cœur qui vibre. De l’éblouissement, rien que de l’éblouissement. LUX fait déjà partie de ces albums – comme ceux de Frank Ocean, tiens, Blond et Channel Orange – qui vous captent, dont on parle comme on parlerait d’une œuvre d’art. Quelque chose que l’on décrit, plus que l’on ne ressent. Alors, tant pis pour les émotions, je suis prêt à me contenter de la beauté si particulière de LUX, de son côté impalpable, je suis prêt à oublier que c’est autre chose que de la musique. Pas mieux, pas moins bien, autre chose. Au moins, le temps d’une heure, à force de vertiges, il m’aura fait oublier tout le reste. Ce qui n’est pas rien.