Richard Thompson, Wall Of Death (1982) par François Gorin

Richard et Linda Thompson
Richard et Linda Thompson / Photo : DR

A l’occasion du passage de Richard Thompson en France pour deux concerts rares – au Printemps de Bourges le samedi 19 et à Paris au Café de la Danse le dimanche 20 – quelques amoureux de son œuvre ont choisi d’évoquer l’un de leur titres favoris d’un répertoire qui s’étale sur plus d’un demi-siècle.

Sur la pochette de l’album Shoot Out The Lights, un Richard Thompson hilare est assis à même le sol au coin d’une pièce qu’on devine vide, à l’abandon. Aux murs, le papier peint jauni se décolle, est lacéré par endroits, maculé de traces d’humidité, de fumée. Une ampoule nue vacille au plafond. Seule autre présence, si l’on peut dire, un portrait de sa femme Linda, photo encadrée de celle qui pour la dernière fois ici chante avec lui. Richard et Linda Thompson, Shoot Out The Lights (1982)Ce couple jadis en osmose — en témoignent les splendeurs passées de I Want To See The Bright Lights Tonight ou Hokey Pokey — bat de l’aile depuis un moment. L’enregistrement d’un album en duo qu’ils savent le dernier, et surtout la tournée américaine qui va suivre, scellent leur séparation.
Ne pas croire que Richard au cœur brisé s’amuse de la situation. Il suffit d’écouter le disque pour mesurer à quel point ce rictus est une façade. Mais dans la grande tradition des folksingers britanniques, il a toujours masqué la noirceur de ses chansons d’une dignité stoïque, voire d’une bonhomie joviale quand il s’agissait de se montrer en public. L’ombre de la rupture s’étend sur bien des titres, une tension palpable les traverse, A Man In Need, Shoot Out The Lights, Don’t Renege On Our Love, le terrible Walking On A Wire (« I hand you my ball and chain / You just hand me that same old refrain »).

Richard Thompson
Richard Thompson / Photo : Capitol

Point d’orgue et coup de poing final, Wall Of Death conclut l’album en filant la métaphore. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, que les attractions foraines servent de motif à une chanson rock ou pop. Même Mark Knopfler, émule mainstream de Richard Thompson, y est allé de la sienne l’année précédente avec Tunnel Of Love, qui reste un des rares grands morceaux de Dire Straits. Mais ici foin de train-fantôme, de montagnes russes ou de manège qui tourne en rond et ne vous mène nulle part. « Laissez moi tenter ma chance au mur de la mort », supplie le chanteur. Le wall of death est un silodrome dont on peut parcourir en moto les parois de bois verticales, grâce à la force centrifuge. Un rituel largement démodé à l’heure (1982) où Thompson écrit sa chanson et l’interprète avec l’énergie du désespoir. Mais on connaît son goût des engins motorisés et surtout l’image offre un terrain parfait à ses pulsions morbides. Défier le « mur de la mort », c’est pour lui se sentir vivant comme jamais (« the nearest to be alive »).

Ce qui pourrait donner matière à rumination est ici transformé en hymne. Sur un solide midtempo, les guitares mêlent leur tranchant de rasoir — et on se rappelle alors ce que le son de Television devait au maître anglais (et reconnu tel) de Tom Verlaine. A la voix léonine de Richard se joint pour une fois encore celle de Linda, ultime harmonie que vient renforcer en chemin celle de Clive Gregson. Sans Linda, Wall Of Death s’inscrira peu à peu comme un classique du répertoire de Thompson solo, sa dynamique étant si puissante qu’il en donnera une quasi réplique avec Dead Man’s Handle (sur l’album Daring Adventures, 1986). A l’occasion, il ravivera sa forme initiale en duo avec Nanci Griffith (dont l’entousiasme est à constater sur YouTube) ou bien plus tard au milieu de sa Thompson Family, l’amant farouche et conflictuel alors mué en patriarche. Enfin n’oublions pas la version gravée par R.E.M. pour la compilation hommage Beat The Retreat (1994). On savait compter Michael Stipe et Peter Buck au rang des fans — c’est pour son travail avec Fairport Convention qu’ils avaient choisi Joe Boyd comme producteur de Fables Of The Reconstruction, troisième album du groupe sorti en 1985. Leur Wall Of Death est à la hauteur du modèle, et ce n’est pas peu dire.


Wall Of Death est sorti en 1982 sur l’album Shoot Out The Lights de Richard & Linda Thompson, paru chez Hannibal Records

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