« J’écris ces phrases avant la nuit,
ce rideau d’enfer qui tombe dru
et tout détruit,
chemin de croix,
machines arrières »
Tout est histoire d’impressions. Quand je chausse mon casque Audio-Technica emprunté au travail, j’attends d’un disque qu’il me promène : géographies intimes ou imaginaires, dimensions temporelles, souvenirs, mondes alternatifs… Je n’attends que ça. A l’écoute de Pour un empire, je suis servi. Voici mes errements saisis au vol durant l’écoute, en exclusivité : il y a plusieurs années, j’avais découvert, grâce à une playlist de Pedro Winter, un disque de Sinner DC, ce groupe suisse que les danseurs stakhanovistes devaient écouter à des heures matinales pour décompresser, mêmes lointaines textures de tapisserie en fil électrique ; il y a encore plus loin dans le temps, j’avais plané sur du Moby / Kronos Quartet dans le final tragique et aéroportuaire du Heat de Michael Mann, même sens du sérieux et de la suspension ; plus récemment, j’avais scotché sur Prince de Perse de mon voisin et ami, Vaillant, même flegme électronique, même rapport détaché aux mots, discret à la voix ; plus petit, j’allais jouer dans les salles de jeux vidéo à Pinarella (Cervia, Italie), j’aimais ça, je me sentais baigne, flotter dans le brouhaha électronique et les éclats de voix floutées par-dessous ; après ça, j’idolâtrais plus que de raison Let’s Go à Goa, le premier album d’Arnold Turboust, élégance et distance… Tout se bouscule à l’écoute du disque de Rémi Parson, dans pleins de directions évocatrices, de pistes et de raccourcis inconnus sur cette carte IGN perso, touchée en plein coeur…
A la fois précis comme de la synthpop et flou comme de la dreampop (cet avatar du shoegaze, lui-même avatar de la fameuse noisy pop), le disque de Rémi Parson tient bien les deux manches de son vélo elliptique : et même, le flou contamine les machines qui sonnent de façon humaine tandis que la précision permet aux mélodies de ne pas se perdre dans des rêves sans queue ni têtes justement. Derrière ce barda, il s’agit bien de chansons, énergiques (Les sentiments, Castor Jr), ou au ralenti (Une épave). On retrouve même les duels basse (dans les mediums)– guitare reverb-chorus comme dans un bain new wave à l’ancienne. Finalement, Rémi pourrait s’emparer de ce genre défini par une petite bande de groupes parisiens de la fin des années 1980 et du début des années 1990 : croiser la variété avec leur système cold wave dans ce micro-mouvement qui me fascine tant, la Touching Pop, tentative amateure de coup d’état journalistique. Sûr que Champs maudits ou Avant la nuit pourraient se faire se lever la nuit ces belles personnes (un peu) perdues pour l’Histoire officielle, si tant est qu’elles aient gardé leur âme de jeunesse. Sur ce royaume désert, Rémi Parson peut déployer ses ailes de chauve-souris, conquérante, avec de sacrés belles chansons en clair-obscur comme Gavarnie : « Le vrai, le faux se trafiquent depuis toujours, j’ai pas tout consigné, j’ai dû avoir mieux à faire, tout ce qui ne s’oublie pas, je l’emporte avec moi ».