Trop de gens l’ignorent, mais la britpop, terme aussi galvaudé que le Cool Britannia de Tony Blair, serait née à Paris, et plus précisément à la Cigale, un soir d’octobre 1991. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais Russell Senior, le violoniste visionnaire de Pulp qui l’écrit dans sa savoureuse autobiographie Freak Out the Squares : My Life in a Band Called Pulp. Loin du cliché de Brett Anderson enroulé dans le Union Jack pour la couverture de Select, ou de la très médiatique bataille des singles entre Blur et Oasis de l’été 95, il explique très justement comment ce soir-là, en compagnie de Blur et de Lush (tête d’affiche de cette légendaire édition du Festival des Inrocks), il y eut une prise de conscience collective et alcoolisée qu’il se passait quelque chose. Quelque chose de différent.
Pulp, après un peu plus de dix ans de galère et alors que le groupe s’apprêtait à jeter l’éponge, réalisait qu’en France, on ne les prenait pas seulement pour des freaks ratés en quête perpétuelle d’un insaisissable succès. Tout d’abord parce que les membres de Blur, déjà célèbres, admiraient leur travail, mais aussi parce que les journalistes et le public présents ce soir-là les encouragèrent à s’adresser à leurs semblables non pas d’un point de vue extérieur, mais à devenir leur porte-parole.
Durant les quatre années (et 11 jours) qui séparent le concert parisien de la sortie de Different Class (1995), l’impensable se produit pour Pulp : ils sont devenus cools. Leur esthétique improbable, des décors rétro-futuristes en papier alu aux costumes chinés dans les magasins de deuxième main (mod pour Russell, d’inspiration George Best 70s pour Jarvis), incorpore désormais les trouvailles de son public, des boas en plume aux paillettes trouvées dans les pound shops (« Tout à 10 balles »). Ils ne sont plus des phénomènes de foire, mais les héros imprévus d’une scène musicale pas encore bouffie par le succès. On remarque d’ailleurs que ce tournant artistique, qualifié de commercial par les « fans français de la première heure » (je cherche toujours des gens qui achetèrent réellement Freaks à sa sortie en 87), est encore aujourd’hui une source de débat amical parmi les amateurs du groupe. Avec la bonhommie qui le caractérisait, Mark E. Smith décrivit Pulp comme « The Fall for children », ce qui n’était pas un compliment, mais fut perçu comme tel par le groupe. C’est finalement peut-être la meilleure explication à l’engouement populaire que souleva cet album qui devint dès sa sortie le manifeste d’une génération de misfits revendiqués.
En 1995 j’avais 16 ans. Je prenais le métro pour aller au lycée, je n’étais pas cool, mais je m’en moquais enfin. Quelque part, outre-Manche, d’autres gamins pas très populaires avec des goûts « bizarres » pour l’époque (de la Nouvelle Vague aux Smiths en passant par Bowie) se retrouvaient pour danser, boire et coucher. Dance, drink, and screw. Parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Quel adolescent ne rêve pas de s’entendre dire ça par un type qui semble avoir fait le tour de la question ? Comme un grand frère (un peu pervers, certes), il nous laissait entrevoir un monde où les plus jolies filles du lycée allait devenir des mères de famille (sous-entendu, des thons), alors que les anciens losers allaient vivre une vie bien plus glamour… Ce nouvel album offrait même la bande-son romantique des premiers amours avec Something Changed, d’une fausse naïveté touchante avec ses violons et ses interrogations métaphysiques un peu bidon. Si Jarvis, pourtant âgé de 32 ans à l’ époque, donnait voix à des préoccupations toute adolescentes (les premières expériences en festival, les premières cuites, les premiers retours à l’aube, les premières fois où l’on se retrouve dénudée avec un inconnu, et l’éternelle question : « Pourquoi vivre dans le monde quand on peut vivre dans sa chambre ? »), c’est peut être parce qu’à cette époque le groupe, après une enfance difficile à Sheffield sous les railleries, se voit enfin célébré à Londres pour sa différence et se comporte alors comme un ado sans surveillance, entre euphorie et crises existentielles dont l’alternance rythme l’album.
Different Class, et particulièrement Mis-Shapes, son morceau d’ouverture, est l’incarnation de la revanche des nerds, la dimension sociale des paroles ne se dissociant jamais complètement des vignettes personnelles racontées par Jarvis, comme dans Common People où il dresse le portrait des filles qu’il fréquentait à l’époque où il était étudiant au Saint Martin’s College, et qui « jouait aux pauvres ». A titre personnel, venant d’un milieu bourgeois, Common People m’aura incitée à couper mes cheveux, quitter Paris après ma classe préparatoire pour devenir serveuse dans un restaurant turc de Fleet Street, emménager dans une collocation pourrie du nord de Londres avec des dingues, et faire graviter temporairement mon existence autour de la table de billard du Good Mixer à Camden. Je ne m’étais jamais véritablement posé la question de mon milieu social avant ce morceau, il aura eu le mérite de me rendre moins hypocrite, car je savais pertinemment qu’en trois heures d’Eurostar, je pouvais reprendre mes études à la Sorbonne et que si ma fierté m’empêchait d’appeler chez moi pour m’aider à me nourrir d’autre chose que de la sauce salade Sainsbury’s sur des toasts, tout le monde n’avait pas cette chance. Rétrospectivement, ce n’était donc pas tant le désir de s’identifier à une classe sociale typiquement anglaise qui m’avait inspirée, que l’histoire de Cendrillon qui s’inscrivait en filigrane dans la production même du disque.
Musicalement, le groupe doit sa transformation de demi-sœur ingrate en princesse des charts à Chris Thomas, producteur de génie qui aura su reprendre les éléments caractéristiques du groupe (célébration du voyeurisme sous toutes ses formes, flamboyance héritée de longues heures passées à rêver devant Top of the Pops, beat disco inspiré par The Human League, et imperfections techniques en tous genres) pour les sublimer, peut-être de manière trop caricaturale pour certains. Le succès commercial des singles de Different Class a souvent occulté l’immense richesse de ce disque, qui porte en lui aussi bien le passé du groupe (Monday Morning aurait eu sa place sur His’n’Hers) que son futur (Live Bed Show, qui sonne comme du John Barry, ou le très noir I Spy, inspiré par la chaleur étouffante de El Paso, anticipant This is Hardcore, sorti deux ans plus tard en 1997). Chris Thomas, cette bonne marraine, ne se contenta pas de « faire du John Barry », puisque c’est lui qui avait programmé le clavier moog pour le thème de The Persuaders ! Il n’encouragea pas non plus le groupe à laisser gronder sa colère sociale pour une version 90s des Sex Pistols, puisque c’est lui qui les avait produits. Il permit juste à un groupe qui se percevait davantage comme Slade de se hausser au niveau de Bowie ou de Roxy Music (et oui, il était là, encore une fois). Cette année 1995, du live à Glastonbury de Sorted For E’s And Wizz (qui entremêle donc The Stone Roses, raves et ecstasy), au beat quasiment jungle de F.E.E.L.I.N.G.C.A.L.L.E.D.L.O.V.E, en passant par le mythique Bar Italia de Soho, semble figée comme autant de polaroïds d’une brève période optimiste durant laquelle les inadaptés furent brièvement les rois et les reines d’une fête qui n’allait pas tarder à sentir le tabac froid.
Pour donner au lecteur une idée de l’ampleur de la scène parisienne de l’époque, quelques temps plus tard, après avoir rencontré mes semblables au Shéhérazade, boîte légendaire qui abrita un temps les premières soirées « britpop » de Paris, une amie me dira : « Tu ne prenais pas le métro, ligne 6, en passant par la station Pasteur ? Ouais, t’étais LA fan de Pulp ! » En France, Different Class ne pouvait pas avoir la même résonance qu’au Royaume-Uni, pour des raisons aussi linguistiques que sociétales. Mais le seul fait d’écouter Pulp faisait de nous une bande à part.
Dans son livre, Russell Senior évoque avec affection « The kids », ces fans jeunes et moins jeunes, qui « méritent de voir Pulp sur scène au moins une fois » et qui furent pour le groupe à l’origine de la formidable reformation de 2011. Ce ne sont pas uniquement des quarantenaires avec des boas, « qui devraient savoir que c’est une mauvaise idée », mais une nouvelle génération qui aura décidé de voir en ce disque une déclaration au droit d’être un prolétaire lettré, un pervers, une femme adultère, une ancienne star du lycée devenue mère de famille, un festivalier perdu, un amoureux éconduit, un romantique un peu niais, un fêtard désabusé… Il est aisément compréhensible qu’après plus d’une décennie passée à expérimenter dans l’ombre, puis presque trois autres à créer, découvrir et partager son art sans faire de compromis, l’ironie d’être associé pour l’éternité à une culture lad à laquelle il ne cessait de s’opposer ait pu laisser un goût amer à Jarvis Cocker, dont le poil aujourd’hui poivre et sel continue de se hérisser dès qu’il entend le terme « britpop ». Mais tout comme il serait idiot de réduire Face to Face des Kinks à un énième album de British Invasion, il serait plus que dommage de ne voir en Different Class, que l’incarnation éphémère de son époque. Bob Stanley écrivait dans Mojo : « Les discussions à propos de Blur contre Oasis sont hors-sujet. Pulp est d’une classe différente. » Je souhaite donc à mes enfants la chance de voir leur vie bouleversée de la sorte par un disque qui leur donnera envie de sortir de leur zone de confort, d’être fier, comme d’autres avant eux, de ne pas être comme tout le monde, de rencontrer des tas de gens « bizarres » et de continuer à rêver, 25 ans plus tard, de danser en leur compagnie le samedi soir, sur un dancefloor en damier lumineux. Stomach in, chest out.
Je suis un très grand Fan des 3 premiers albums de PULP et pour moi leur age d’or va de 1983 à 1992, durant cette période le groupe fut absolument dantesque et unique et hélas quand le groupe a signé sur la major ISLAND RECORDS en 1993, leur son est devenu de plus en plus mainstream et Pulp a fini par rentrer dans le rang. Le NME et le MELODY MAKER ont tôt fait de classé Pulp dans la catégorie extrêmement réductrice de groupe BRITPOP. Pulp existe depuis 1978 et leur premier album « IT » est paru en 1983 soit 10 ans avant les débuts de la Britpop et donc pour moi Pulp est tout sauf un groupe Britpop.
Indeed, and in some ways understandably, Pulp are pretty much the only contemporaneous band Haines seems to have any respect for, despite them being rivals at the time: « It does seem ridiculous now, that I’d be watching chart positions and saying things like ‘Pulp have blown it now’, because ‘Lipgloss’ had gone into the charts three places lower than ‘Lenny Valentino’. Because ‘Razzmatazz’ for me was the Pulp single, and anything after that was going to be a disappointment. With the mood of the time, it was ‘It’s all over for Pulp!' »LUKE HAINES
(je cherche toujours des gens qui achetèrent réellement Freaks à sa sortie en 87 ) par contre je me souviens comme si c’etais hier : un apres midi tres pluvieux circa 1990 j’ai trouvé coup sur coup chez un disquaire à fribourg en Allemagne IT et Freak les deux premiers albums de PULP en vinyle ,j’étais fou de joie car à cette époque en province ils étaient totalement introuvable en vinyle ,cette journée fut mémorable car le soir j’ai vu toujours a fribourg pour la 1er fois en concert de ma vie Robert Forster pour la tournée de l’album Danger In The Past ,et pour moi plus jamais désormais ne serait comme avant