A l’origine, il y avait donc The Ocean Party. Ce groupe australien d’indie-pop approximative qui s’est inscrit, pendant sept années – de 2011 à 2018 – dans le sillon commun qu’il a contribué à tracer en compagnie de The Twerps, The Goon Sax ou Dick Diver pour ne citer que les moins inconnus. Plus prolifique que la plupart de ses camarades – huit albums et même davantage, si l’on inclut les productions marginales et dispersées de cassettes et autres singles – le groupe possédait la particularité d’abriter pas moins de six songwriters répartis géographiquement entre Melbourne et Wagga Wagga. En 2018, le plus jeune d’entre eux est brutalement décédé d’un kyste au cerveau et la première partie de l’histoire s’est achevée. C’est dans ce contexte dramatique que Pop Filter a fini par resurgir, toujours aussi prolixe.
Deux albums ont été publiés cette année – Banksia en août, Donkey Gully Road au début de ce mois de décembre et c’est peu dire qu’on les chérit déjà, bien davantage que tous ceux qui les ont précédés. Il y a souvent quelque chose d’un peu particulier chez les groupes qui se survivent. Peut-être est-ce l’intérêt d’entendre le temps de la réinvention succéder à celui du désarroi, la curiosité d’observer l’urgence de la résurrection lorsque, au pied du seul mur qu’il est impossible de contourner, l’élan vers une vie nouvelle semble s’imposer. Ou peut-être s’attend-on à y trouver quelque chose de plus essentiel encore, comme un témoignage en acte qu’il existe une alternative à l’absence, une piste bienfaisante qui mènerait vers cette vie apaisée, avec le deuil plutôt qu’après le deuil. D’emblée, Lachlan Denton conserve le silence pendant près d’une minute, le temps pour le cliquetis des guitares acoustiques et des claviers de lui confectionner un espace propice à l’exercice de la réflexivité intime, avant de s’interroger sur la disparition de son frère cadet, Zac, de se demander ce qu’il aurait pu faire de différent. La réponse est « rien » et il finit par se résigner à l’inacceptable. Une fois passée cette première épreuve de confrontation directe et de purification, les chansons reprennent leur cours, presque habituel. L’équité est toujours strictement respectée – deux titres pour chaque contributeur – et pourtant, le ton est étonnamment homogène dans sa simplicité directe et maîtrisée. Nul besoin de surinterpréter le poids du contexte personnel pour prétendre discerner ici une forme de maturité adulte et inédite dans ces créations du collectif recomposé. Sans doute les ex-membres de The Ocean Party sont-ils devenus, tous, un peu meilleurs parce qu’ils ont simplement grandi et progressé. Peut-être aussi est-on davantage touché par ces morceaux qui ne sont plus imprégnés par l’énergie juvénile et adolescente des débuts mais par une volonté différente, tout aussi puissante : celle d’accorder encore une place centrale à la musique dans des vies d’adulte éloignés, avec leurs contraintes inévitables et divergentes.
Chacun s’exprime ici dans des formes musicales qui lui tiennent particulièrement à cœur – le claviériste Jordan Thompson dans deux instrumentaux mélancoliques ; Nick Kearton dans le registre de la ballade folk où il excelle tout particulièrement. Quelles que soient les nuances et les tonalités, toutes finissent par s’accorder harmonieusement sur un socle commun d’instruments et de références – The Go-Betweens, pour ne citer que la plus évidente. C’est ainsi que s’érige cet édifice fragile, comme un symbole du redressement toujours difficile. Les guitares y tracent des lignes claires et vacillantes à la fois, comme sur Paradise où la mélodie hésite, flageole un peu avant que le rythme régulier finisse par la soutenir et l’aider à tenir d’aplomb. C’est dans tous ces flottements irrésolus qui convergent toujours vers un aboutissement imparfait que se trouve sans doute le point le plus sensible. Comme dans la vie, en un peu plus beau.
Merci pour cette (très) belle découverte !