Quatre décennies à arpenter les scènes avec son jeu de basse identifiable et unique, Peter Hook se souvient au long de différents ouvrages, dont le dernier en date, Substance, New Order Vu De L’Intérieur (Le Mot et le Reste). De Joy Division à New Order, qu’il a quitté depuis 2006 avec perte et fracas, de son club emblématique l’Haçienda jusqu’à Peter Hook & The Light qui revisite une discographie exemplaire, le natif de Salford dans la banlieue mancunienne se livre sans détour, quelques semaines avant la parution de ce troisième ouvrage à l’automne 2017. Touché au cœur par ses anciens compagnons de route et presque dans sa chair par l’horrible attentat de mai 2017 à la Manchester Arena, le bassiste défend sa vie et son œuvre, et écorne la légende qu’il a contribué à façonner, avec cet humour vache du Nord de l’Angleterre. Aminci et sobre, amical et sensible, Hooky revient alors sur sa vision de l’histoire de Joy Division et New Order, et celle de Manchester. S’il n’a toujours pas remisé sa basse au placard, en témoignent les récentes dates françaises de début 2019 avec Peter Hook &The Light, un accord avec son ancien groupe a été signé peu de temps après cette interview, déjà publiée, mais dont voici une extended version inédite.
Que t’évoquent les paroles ci-dessous ?
And So, Sally Can Wait,
She Knows It’s Too Late As We’re Walking On By,
Her Soul Slides Away,
But Don’t Look Back In Anger,
I Heard You Say.
(ndlr. Don’t Look Back In Anger d’Oasis)
« Cette très bonne chanson d’Oasis est devenue le cri de ralliement de Manchester après l’attentat de mai 2017, même si ses paroles ne me touchent pas personnellement. Oasis a joué pour la toute première fois en première partie de mon ancien groupe Monaco, et nous nous sommes beaucoup croisés ces vingt-cinq dernières années. Je raconte dans Substance, New Order Vu De L’Intérieur que lors d’une audition pour devenir leur bassiste, Pottsy (ndlr. David Potts, membre de Monaco avec Peter Hook, et désormais dans Peter Hook & The Light) avait voulu changer les arrangements de cordes pour Wonderwall, ce qui définit bien son tempérament et ce pourquoi je l’apprécie autant ! Ma fille était au concert d’Ariana Grande où a explosé la bombe, et elle en souffre encore. Après l’attentat, il y a eu de nombreuses démonstrations d’amour et d’aide envers la ville, alors que la même semaine, de tragiques évènements touchaient des innocents à Kaboul ou à Mossoul, sans qu’aucun concert de bénéfice ne soit organisé pour eux. Je n’y ai pas joué, mais j’ai pris la parole pour Manchester. »
Quand on lit Manchester Music City (2010) de John Robb, on se rend compte que le fameux concert des Sex Pistols au Lesser Free Trade Hall en 1976 a engendré la scène locale, et que chaque groupe a eu son heure de gloire, des Buzzcocks à Oasis. Et maintenant ?
« Il y a de très bons nouveaux groupes, comme Blossoms ou Everything Everything, mais sans cette portée qu’il pouvait y avoir avant. C’est le moment de laisser un peu tranquille le monde, n’est-ce pas ? Cet énorme capital sympathie demeure, ce retentissement international que la musique de Manchester a pu avoir car de nombreuses formations d’ici tiennent une place très importante dans le cœur des gens. C’est pourtant une très petite scène à laquelle j’ai participé grâce à l’Haçienda. J’étais présent à chaque évènement, depuis son ouverture en 1980, comme salle de concert. Tous les groupes intéressants y ont joué, de Bauhaus à Einstürzende Neubauten, en passant par Madonna. Tears For Fears y a donné un concert pour une centaine de livres, alors qu’ils étaient numéro un des hit-parades. Il n’y avait que soixante spectateurs pour voir John Cale, une dizaine pour Jonathan Richman ou encore huit seulement pour William S. Burroughs ! Il y avait des choses bizarres et très intéressantes pourtant. Je me rappelle ces moments, car j’y travaillais ; et comme il n’y avait pas d’argent, je donnais un coup de main. Je m’occupais de la sécurité des loges, et j’étais payé dix livres par soir, sans me rendre compte ironiquement que j’aurais mieux fait de rester chez moi ! Puis la révolution acid house a transformé le lieu en club emblématique de Madchester, jusqu’à sa fermeture en 1997. Mais toutes ces années à l’Haçienda constituent une aventure unique, qui avec le recul vaut chaque penny que j’ai pu gagner ou perdre alors. Et il y a toujours cet incommensurable amour pour l’Haçienda. New Order a débuté là-bas et joue ce soir à quelques mètres d’ici, ce qui est très étrange. Manchester demeure un endroit très musical, même si la situation a évolué récemment. Internet a changé le rapport des auditeurs à la musique, et c’est sans doute moins important désormais de savoir d’où tu proviens. »
Il y a toutes ces célébrations nostalgiques : le Manchester International Festival a eu lieu en juillet (2017 ndlr.) avec l’exposition True Faith et les concerts de New Order, le concert Haçienda Classical auquel vous participez.
« La nostalgie est un terme péjoratif : aussi longtemps qu’il restera des gens comme moi et que nous aimerons nous retrouver, il y aura toujours une forte demande pour ce genre de rendez-vous. Et je suis très content d’y participer, sans ressentir aucune honte à célébrer cette histoire musicale magnifique et si particulière. Si quelqu’un peut faire mieux, allez-y et foutez-moi dehors ! Mais je ne pense pas que vous y arriverez. Je suis beaucoup plus nerveux et intimidé de jouer Blue Monday lors d’Haçienda Classical avec Rowetta, Bez, Graeme Park et Mike Pickering que de jouer les morceaux de Joy Division ou New Order avec Peter Hook & The Light pendant trois heures. L’Haçienda est resté ouverte tellement longtemps qu’elle garde une place fondamentale dans la vie des gens : ils ont grandi là-bas, c’est le premier endroit où ils sont sortis boire des verres, y ont rencontré leurs amis, se sont mariés, ont eu des enfants, ont divorcé puis y sont retournés ensuite. Célébrer ce passé merveilleux ne m’empêche pas pour autant de faire d’autres choses. Je vais enregistrer un deuxième titre avec les Français des Limiñanas «
Comment t’es venue l’envie d’écrire sur ton histoire ?
« L’idée du livre sur l’Haçienda est venue naturellement alors que je participais à la triple compilation The Haçienda Classics (2006). J’avais énormément d’anecdotes à partager, et cela m’a pris trois années à rédiger L’Haçienda, La Meilleure Façon De Couler Un Club (Editions Le Mot Et Le Reste, 2012), mais son succès a été retentissant. Il y a peu d’ouvrages au sujet des clubs, et j’ai tenté de relater honnêtement et en profondeur ce qui s’y est passé. Du coup, pourquoi pas faire de même avec Joy Division ! Cela m’a pris deux ans à rédiger Unknown Pleasures, Joy Division Vu De L’Intérieur (Le Mot Et Le Reste, 2014), même s’il ne traite que des trois années d’existence du groupe et un peu de mon adolescence. Je ne voulais pas faire de livre sur New Order car je trouvais que nos problèmes étaient trop importants pour être dévoilés, et que je ne voulais pas démystifier notre histoire avec ces querelles d’idiots. Mais après le split de 2007 et la lamentable reformation sans moi en 2011, je me suis dit, qu’ils aillent se faire voir ! Je pensais que cela prendrait à peine un an à écrire, mais là aussi j’ai mis trois années complètes, devant réduire le nombre de signes de 350000 à 100000. Il reste donc 200000 mots à publier… Cela m’attriste qu’aucun de mes trois ouvrages n’ait de happy ending, donc si je devais publier un quatrième livre, j’aimerais qu’il se termine sur une note positive, ce qui n’est clairement pas le cas aujourd’hui. J’aimerais raconter le procès, à la fois frustrant et fascinant pour moi, et pourrais écrire un autre bon livre, mais je ne pense pas que les fans du groupe l’apprécieraient. La semaine où celui sur Joy Division est sorti, cinq autres ouvrages sur des groupes paraissaient. La semaine de parution de celui sur New Order, la biographie de Bruce Springsteen a été publiée. Je lis beaucoup d’ouvrages sur la musique, dont celui de Bruce Springsteen en ce moment. J’ai terminé ceux de Steve Jones, du batteur de Fleetwood Mac, de Ginger Baker de Cream ou celui de Billy Idol, qui est vraiment merdique. Je voulais écrire un livre très détaillé, et pourquoi pas faire un livre audio dans lequel j’aurais mis de la musique. Il y a une telle concurrence dans la littérature musicale. »
Bernard Sumner a écrit un livre, Stephen Morris et Gillian Gilbert vont faire de même. (ndlr. Record Play Pause, le livre de Stephen Morris est annoncé pour le 9 mai 2019)
« J’ai hâte de lire ce que va écrire Gillian. Chapter And Verse, New Order, Joy Division And Me (2014 – ndlr. pas encore traduit), la biographie de Bernard est assez pauvre : il résume New Order à une centaine de pages et passe le reste du bouquin à expliquer quel pauvre type je suis. Ce que je trouve assez flatteur personnellement, mais nos fans n’apprennent rien sur le groupe. A la différence de mes livres, le sien est très amer, autant que sa personnalité finalement. Il ne parle jamais de lui, ni de sa façon de composer, ni comment New Order fonctionne. Les gens en attendaient plus de lui, et ce qu’il a fait en définitive, c’est How Not To Do A Book (ndlr. du titre original du premier ouvrage The Haçienda, How Not To Run A Club). »
Comment te sens-tu désormais ?
« Ma vie actuelle me convient très bien : je suis heureux en mariage, je voyage à travers le monde, je suis très chanceux. Il est très facile pour une rockstar de faire n’importe quoi et de n’en avoir rien à faire. D’autres personnes n’ont pas cette chance. Peut-être est-ce Ian Curtis qui prend soin de moi ! Le seul nuage à mon horizon demeure le procès en cours avec New Order. Ce qu’ils m’ont fait en 2011 est totalement immérité et je me bats pour que justice soit rendue. Je crois en mon combat et jamais n’abandonnerai, même si je ne peux pas vraiment en parler, tant que la justice n’aura pas été rendue. Je suis certain que si l’on connaissait toute la vérité, la majeure partie de nos fans seraient très énervés. »
Malgré toutes ces disputes, tu parviens quand même à apprécier le travail de tes anciens comparses et à distinguer le positif dans toutes vos histoires.
« Nous nous sommes très mal séparés. Nous aurions pu choisir d’en rester là, en continuant nos vies séparément. Au lieu de réussir notre séparation, tout concourt à détruire l’autre, avec tous ces avocats. Au vernissage de l’exposition True Faith, toute l’équipe juridique qui essaye de me mettre à défaut depuis longtemps me tapait dans le dos en me demandant comment j’allais. C’est pourquoi j’ai posté sur mon compte Instagram cette photographie de moi devant le tableau d’Henri Fantin-Latour qui illustre la pochette de Power, Corruption & Lies (1983), en la commentant d’un laconique Surréaliste… J’avais l’impression d’être au réveillon de Noël avec mon ex-femme et tous ses proches qui te regardent du coin de l’œil. C’était vraiment un moment très bizarre. »
Tu te décris comme un archiviste et un lecteur assidu dans le livre, au contraire de ton image de biker viking.
« C’est notre manager Rob Gretton et moi qui trouvions les titres des morceaux, et les mentions des sillons sur les pressages vinyles. Le processus de création et de composition est très complexe et ennuyeux, donc quand tu sors du studio, tu es quelqu’un de complètement différent. Tu alternes des phases de calme puis de frénésie, tout en perpétuant le mythe du rock’n’roll et des drogues. Ce qui était auparavant le fait des rockstars est devenu de nos jours l’apanage de tout un chacun ; tout le monde peut trouver de la drogue et ce sont les musiciens qui sont sobres désormais ! Les membres de Guns N’Roses sont rangés maintenant, par contre leur public est à fond. Tu pourras t’en rendre compte lors de la soirée Haçienda Classical. Toutes ses notices techniques dans le livre prouvent aux lecteurs que nous n’étions pas que des drogués incorrigibles, mais aussi des musiciens qui ont travaillé dur, de véritables innovateurs. Bernard et Steve ont été des pionniers de la technologie, très difficile à dompter en 1981 ou 1982, et New Order a inventé un tout nouveau genre. C’était aussi pour décrire notre façon de travailler, car désormais c’est beaucoup plus simple : tu télécharges un logiciel sur ton ordinateur et tout le monde peut composer de la musique, mais pas écrire une chanson. A l’époque il fallait savoir lier les deux, construire l’ensemble et je voulais décrire les innovations que nous avons su apporter et récolter les mérites de notre dur labeur. Tout en racontant que nous étions de sacrés accros à la drogue ! Cette balance était primordiale pour moi, et nous avons réussi, personne ne peut dire le contraire. L’écriture de True Faith a été fantastique, c’est pourquoi j’ai voulu précisément raconter son processus. Tu peux zapper le passage et t’en tenir aux histoires peu reluisantes, mais je voulais que cela apparaisse dans l’ouvrage. »
Tu avais tout noté ?
« La discographie et la liste des concerts de New Order m’ont servi de prompteur pour me remémorer tous ces souvenirs. Ah oui, la fois où je suis tombé de scène, cela me revient, j’étais tellement saoul ! Tout ceci pour se rappeler combien nous étions radicaux et en avance, comment on procédait pour écrire une chanson et la jouer sur scène. Notre graphiste Peter Saville a une théorie fantastique selon laquelle dès lors que les musiciens se professionnalisent, ils n’arrivent plus à composer de la bonne musique et perdent toute magie. Selon lui, c’est quand tu ne sais pas comment faire que tu écris la meilleure musique. Et cela s’entend chez New Order, devenu adulte et prévisible. Quand tu écoutes Music Complete (2015), c’est un bon album, mais ce n’est pas génial. »
Ta période favorite de New Order dure peu de temps, entre 1981 et 1984.
« La situation alors était égalitaire. Personne n’était responsable, aucun membre n’était plus connu que les autres. Nous étions ensemble. A partir du moment où Bernard a été identifié comme le chef et que nous avons eu du succès, tout a changé. »
Tu parles d’ailleurs de cette théorie des chanteurs qui seraient tous timbrés, qu’il s’agisse de Bernard, Johnny Lydon de P.I.L. ou Ian McCulloch d’Echo & The Bunnymen.
« Mais c’est la vérité ! Je ne rentre pas complètement dans cette caricature en tant que bassiste, même si je peux chanter et diriger une formation. Je ne peux pas être vraiment un égoïste, égocentrique et narcissique, comme peuvent l’être la majorité des chanteurs. J’ai compris que c’était un mécanisme de défense pour eux. Avec Peter Hook & The Light, je suis le leader, mais Pottsy peut l’être aussi, car il sait être très exigeant. Il m’a poussé à retourner avec New Order, alors que je voulais continuer avec Monaco. Ces six dernières années ont détruit toute l’estime que je pouvais porter au groupe. Le pire a été l’enregistrement de Waiting For The Siren’s Call (2005), avec tous ces producteurs, beaucoup moins bons que nous-mêmes. Je disais à Bernard que c’était une perte de temps et d’argent, mais il ne voulait rien entendre, préférant se battre avec d’autres plutôt qu’avec moi : encore un compliment ! Barney est centré sur lui-même, c’est son mode de survie. S’il avait été à bord du Titanic, il aurait porté une robe et n’aurait pas hésité à te piétiner pour pouvoir s’enfuir sur un canoé de sauvetage. Il n’a jamais été intéressé par le groupe, sauf peut-être au tout début. Seule sa propre personne le préoccupe, et il l’écrit d’ailleurs noir sur blanc dans sa biographie. »
Comment expliques-tu que Gillian et Stephen, après vos projets annexes, soient revenus très motivés pour Get Ready (2001), et que cela n’ait pas duré ?
« Barney les a éteints, pas littéralement évidemment, mais musicalement. Je n’en sais rien désormais, mais j’imagine que c’est comme auparavant : Barney écrit la majeure partie de la musique, et ce depuis Republic (1993), à la manière d’Electronic, son projet avec Johnny Marr des Smiths ou les Pet Shop Boys, jusqu’à Music Complete (2015), qui sonne vraiment comme son album solo. A mes yeux, il n’y a pas de coïncidence qu’après la grande crise financière de 2008, qui a touché de nombreux musiciens, ait eu lieu la résurrection de New Order, dans un intérêt purement financier. »
Tu as vécu physiquement ton départ du groupe, lorsque tu as vu le groupe débuter le concert et jouer sans toi à Washington en 1987.
« Tu peux y lire ce qui allait se passer à l’avenir. Mais ils étaient beaucoup moins bons sans moi ! (Rires) Il fallait commencer le concert, ils n’avaient pas le choix, sinon nous n’aurions pas pu rejouer là-bas. On nous l’a souvent dit, de Paris à Boston ou ailleurs. Dans la mythologie du rock’n’roll, on n’aime pas les gentils musiciens. Les gens adorent Liam Gallagher car c’est un trou du cul, et aussi Noel parce que c’est un connard. Il y a aussi ce concert à Reading où je me rends compte que chaque membre de New Order n’entend que sa partie dans les retours et pas le reste du groupe : cela m’a brisé le cœur. On n’a jamais fait de bon concert à Paris non plus. Enfin dans notre première mouture, car dans la deuxième incarnation avec Phil Cunningham et sans Gillian, il y en a eu plusieurs de pas mal. Mais peut-être que celle-ci en parlera dans son ouvrage. »
Tu es très dur avec elle dans Substance.
« C’est étrange car il subsiste une méprise dans son influence sur le groupe. Elle n’a presque jamais rien écrit ! Là aussi, elle me corrigera sans doute, mais je maintiens. Stephen était déjà très inspiré avant que Gillian ne rejoigne New Order. Quand ils se reforment en 2011, tout ce qu’ils ont dit sur moi était très dur également, ils m’ont vraiment manqué de respect. Ce n’était pas la peine, à mon avis, de planter le couteau encore plus profondément dans mon dos. Ils ont été horribles avec moi, j’ai réagi en publiant mon opinion, un prêté pour un rendu, comme on dit ici. »
Tu ne relates aucune scène de joie à quatre. Tu ne t’en rappelles pas ?
« Elles n’ont jamais eu lieu. Nous vivions de façon séparée : Bernard avec sa cour, Stephen et Gillian tous les deux, et moi avec l’équipe technique, de 1985 jusqu’à la séparation de 1990, le fossé se creusant progressivement. La reformation pour Republic (1993) a été totalement différente, nous n’étions plus les mêmes. A la disparition d’Ian Curtis, nous sommes restés longtemps à trois, et on a composé Movement (1981) comme ça, de manière très proche. Peut-être Gillian décrira-t-elle le contraire ! Cela duré quatre ou cinq ans, cette chimie particulière qui nous a permis d’écrire de la musique géniale. C’est aussi cette alchimie qui détruit la plupart des relations. C’est vraiment triste mais c’est ce qui s’est passé. »
Peut-être parce que Ian Curtis assumait le rôle de leader dans Joy Divison ?
« Ian était un chef démocratique, parfait dans ce rôle-là, car il faisait en sorte que chacun participe et que chacun ressente qu’il participait. Il faisait tout pour notre bien, et c’était mon supporter principal non seulement, mais aussi celui de Barney ou de Steve. Il était unique en son genre, et aimait Joy Division plus que tout le reste. Je reste persuadé que lorsqu’il s’est pendu, sa dernière pensée a été pour Joy Division, car il adorait le groupe et sa musique. C’est tout ce qui me manque désormais dans New Order. J’ai sans doute mis du temps à réaliser cette absence intellectuelle et sentimentale pour nous autres. Nous pouvions écrire de la très bonne musique, mais il nous manquait quelque chose. Et ce n’est pas faire injure à Gillian que d’affirmer qu’elle n’a jamais pu remplacer la perte d’Ian Curtis. »
Tu parles beaucoup d’argent et du management anticonformiste de Rob Gretton. Ne penses-tu pas qu’avec le recul, c’est ce qui vous a permis de développer cette place singulière ?
(Très embêté) « Rob était un manager très vieux jeu, pensant tout le temps avoir raison et que nous étions des idiots. Il avait deux poches pour l’argent : une pour lui et une pour nous, et il ne se trompait jamais, crois-moi ! Mais personne n’aurait pu foirer avec Joy Division ou New Order, deux aussi fantastiques groupes. Nous durerons pour toujours. Et le fait que nous gagnions autant d’argent aujourd’hui, est parce que Barney, Steve, moi avons travaillé très dur pour que cela continue, et même Gillian finalement, pas les autres. La seule chose que Deborah Curtis (ndlr. la veuve d’Ian Curtis) a fait pour Joy Division, c’est tuer le chanteur ! Je plaisante. Avec le temps, c’est un vrai plaisir de constater les marques indélébiles qu’ont laissé Love Will Tear Us Apart ou Blue Monday, même si le fracas de la bagarre actuelle par avocats interposés m’empêche de me détendre ou de me retirer. »
Et si ton fils Sam, qui participe à Peter Hook & The Light, avait la même vie que celle que tu décris ?
« S’il était aussi excessif que moi, je le tuerais ! Quand j’allais voir Bernard pour lui dire de ne pas boire, il m’envoyait paître. Avec Peter Hook & The Light, c’est une toute autre dynamique, je suis un patron plus facile. Ma femme me dit qu’après chaque concert de Peter Hook & The Light, je rentre avec le sourire, au contraire de ceux avec New Order, où je pestais : il a été horrible, un vrai connard. C’est pourtant la même musique, mais la différence est tangible. Joy Division était spécial, New Order l’a aussi été en 1981 ou 1982. Ils jouent à Manchester ce soir, seront-ils aussi particuliers ? Dans mon taxi, je vais remonter la file d’attente pour leur concert de ce soir, histoire de rigoler un bon coup et de leur montrer que je suis toujours là. Mais bon, on essaye tout le temps, en tout cas j’essayerai tout le temps. »
Tu as passé une partie de ton enfance en Jamaïque. Est-ce que cela a influencé ta musique ?
« Pas du tout ; je me rappelle Kingston, cet endroit fantastique, mais musicalement je n’ai aucun souvenir. Je crois en avoir plus appris sur la Jamaïque en lisant le très bon livre de Grace Jones, que je conseille à tout le monde. »
La vente aux enchères de Peter Hook aura lieu samedi 2 mars à 13h chez Omega Auctions.
Peter Hook sera en DJ set au Supersonic à Paris le vendredi 22 mars.
Peter Hook & The Light continuent leur tournée et seront en concert le 3 mai à L’épicerie Moderne à Feyzin (69), le 4 mai au Rockstore à Montpellier (34) et le 5 mai au Cabaret Aléatoire à Marseille (13).