Pavements d’Alex Ross Perry

Pavements d'Alex Ross Perry (Mubi)
Pavements d’Alex Ross Perry (Mubi)

On en parlait depuis des mois, des années. Maintenant, il était question d’un biopic et ça provoquait un peu l’hilarité chez ceux qui connaissaient le groupe, le doudou américain des années grunge, surtout de ceux qui avaient envie de chemins bizarres pour traverser ces années où le punk rock avait broké. Un biopic de Pavement, pourquoi pas un pour les Pastels (avec Jesse Eisenberg en Stephen) même si on l’avait eu par la bande avec le film de Stuart Murdoch (God Help The Girl, curiosité de 2014 et ode à Glasgow), mais très romancé alors. Mais je m’égare, revenons à la bande à Stephen Malkmus. C’est le propre des grands groupes, chacun a le sien, le mien c’est celui d’un album d’abord, Crooked Rain au carré, équivalent des chefs d’œuvre des années soixante dont on nous rebat les oreilles, limpide, proposant une musique cabossée mais adorablement pop, énergique, à la fois synthèse de ses influences agrémentée d’un truc perso inédit. Comme le dit Malkmus a un moment en substance : la musique est toujours à 80% une vision de ce que l’on aime (The Fall, Swell Maps, Sonic Youth…), et 20% un truc plus perso. Bref, mon Pavement à moi, c’est aussi des chansons magnifiques par ribambelle, un collier qu’on s’est fabriqué au fil des sorties qui ne nous ont pas toujours convaincus mais qui apportaient de nouvelles clés à l’univers du groupe de Stockton, Californie. Le mystère Pavement est un mystère que le film ne dévoile jamais d’ailleurs, si ce n’est qu’on sent cette emprise du lider maximo Stephen Malkmus sur ses troupes. Admiration, reconnaissance, on ne saura jamais, certainement que ça se joue dans des méandres personnels propre à chacun des membres ; mais quand Stephen t’appelle, que ce soit pour quitter le lycée, que ce soit pour renoncer à ton travail de chauffeur de bus, tu ne peux dire non. Il y a tant de choses à dire sur les deux heures de film, tant de sujets abordés sur la vie d’un groupe : la jeunesse, les amitiés qui en découlent, l’envie d’avancer groupé, à la vie à la mort, puis les amitiés qui se compliquent (Berman, Young), la dope, l’alcool, les tournées, le rapports au succès, aux médias (avec le recul, on comprend la mine déconfite de SM devant chacun des entretiens qui lui sont proposés tellement les questions semblent à côté de la plaque, effet montage cruel bien sûr, mais pas que), à la publicité (je ne connaissais pas cette campagne pour Apple, dingo – mais fausse parait-il), à l’argent, au métier tout simplement, au public aussi. Tant de choses traitées de façon unique par le film d’Alex Ross Perry, ou devrais-je dire les films.

Parce que, attention, on est devant un objet ambitieux,  kaléodoscopique, gros abus du split screen : on ne sait plus où donner de la tête, entre plusieurs projets qui chacun posent ses propres questions à l’érudit comme au néophyte : la fiction en tant que telle, avec quelques scènes jetées en pâture, son making of intégré (avec notamment les deux scènes incroyables avec l’orthophoniste consultée par l’acteur principal et qui dissèque la voix de Malkmus, au point d’aller prendre en photo sa gorge, incroyable moment d’une grande drôlerie). On y trouve aussi les répétitions pour une comédie musicale qui donne lieu là encore à des moments forts, notamment en ce qui concerne la force des chansons du groupe qui semblent avoir touché le cœur de nombreuses personnes à travers la planète et les générations (les chansons resplendissent parfois au détour de voix – et de corps – magnifiques), le montage d’une exposition sur les œuvres et l’histoire du groupe (moment poignant où Nastanovitch et Ibold découvrent le lieu, les larmes). Et plein d’autres choses, archives, répétitions pour une reformation, actualités récentes, anciennes… Tout s’entremêle, s’entrechoque, on se perd dans les différents registres, on n’est jamais loin non plus de la manipulation et du détournement (on n’arrive jamais trop à savoir quelle est la véritable implication du groupe, c’est troublant), une sorte de found foutage de gueule aussi, mais finalement, conforme à l’attitude de ce collectif de garçons un peu dingues mais secrets, si spéciale, pince sans rire tourmenté, dépressifs un peu sans doute, réunis autour d’un control freak mais cool. Cliché ultime, Ross Perry semble chercher dans ce maelstrom – jamais fatigant – une forme cinématographique qui s’accommoderait des formes labyrinthiques de la musique de Pavement, peine perdue bien sûr. Mais c’est peu dire que ça fonctionne dans ce grand delbor de deux heures qui passent à la vitesse grand V. On a envie de tout voir au final, la comédie musicale, le biopic, le concert de reformation, on en a que des bribes, et c’est déjà pas mal, dans cette confusion des années 90 clignotante des talk shows, des festivals, de MTV, de l’internet naissant et réserve distante et méfiante aussi face à ce cirque qui ne cesse de tourner en rond.

Et la musique omniprésente orchestre ce défilé d’images, reprises (les jeunes groupes qui reprennent Pavement devant les musiciens originaux amusés à l’expo, priceless), versions concerts, anciennes contre récentes, clips, … On en a pour notre argent puisque tous les classiques de l’histoire complète du groupe résonnent du plus profond de notre mémoire et en ressortent comme des peluches d’émotion coincées dans notre nombril. Bien sûr, on a grandi depuis, on a exploré d’autres choses, mais force est de constater que Pavement, ce vilain petit canard mené à la baguette par un tennisman filiforme et complètement cadenassé de l’intérieur qu’est Malkmus, a essaimé, touché, bouleversé bien des vies depuis son avènement et sa trajectoire chaotique. Le mystère est peut être qu’il n’y a pas de mystère, qu’un groupe de musique est avant tout une histoire entre plusieurs personnes, une histoire qui ne regarde qu’eux (seuls contre le reste du monde) et sur laquelle d’autres plaqueront ce qu’ils veulent, un réalisateur comme un fan, un chorégraphe comme un journaliste, un acteur comme un collectionneur, toi comme moi. Pavement, Pavements, c’est ça, il y en a autant que tu veux. Le groupe nous appartient, on joue tous dedans, et c’est super beau.


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