Directeur artistique couru dans le monde des musiques pointues et populaires, Jean-Philippe Talaga a exploré toutes les facettes du métier : avant de prendre les commandes du fantastique label Gooom (qui révéla M83 notamment), il a édité le fanzine Junior au milieu des années 90. En graphiste fin et minimal, il évoque pour Section 26 cette expérience fondatrice en pleins (un entretien complet) et en déliés (une playlist évocatrice des années Junior).
Mes Mid 90’s à moi, je les ai passées entre objection de conscience, fac d’histoire et escapades régulières à la Shotgun Gallery à Strasbourg, refuge et lieu de culture marginale pour une famille de personnes d’horizons bien différents : étudiants, intermittents, chômeurs, infirmières, boulangers, graphistes, musiciens, cassos… Au milieu de cette population qui gravitait autour de ce local commercial transformé en appartement, il y avait Momo, Géant, Coco Joe, Chris, les Molies, le Plus Simple Appareil parfois, des visites de mulhousiens (Didi Kaiser, Mutant Pillow, Denis Scheubel), de parisiens (Superdrug, Safety First, Ulan Bator), un gars de Louisville (Michael Pullen aka Loner), les conférences de presse du Politburo, des concerts impressionnants (Borbetomagus, Dust Breeders, Keith Rowe…), des expositions pornographiques, des impros avec Manu Holterbach au saxo, il y avait même un label de disque, Non Mi Piace, le studio Marrakech de KG aussi, il y avait le local de répétition de Sun Plexus, il s’y fomentait les plans de conquête du monde d’Ich Bin. Bref, nous étions sur le territoire du maître des lieux d’origine lointaine frioulane : Sébastien Borgo, dit Ogrob. Il y aurait de nombreux essais à consacrer à un des lieux les plus véritablement souterrain de la Capitale Européenne, mais ce n’est pas le propos ici. Quand l’agitation retombait, l’espace se transformait en salon chaleureux (malgré la température, malgré le béton, malgré les bocaux emplis d’ongles de pieds, les cultures de moisissures géantes dans un placard secret…) où l’on visionnait quelques VHS d’horreur en somnolant, après un bon repas, notre hôte étant un ancien cuistot de l’armée, ou après une partie sauvage d’Uno. On y trouvait aussi toutes sortes de lectures, livres et magazines étrangers, et fanzines parfois. C’est sur la moquette bleue électrique de l’endroit que j’ai dû tomber sur ce numéro de Junior. La Shotgun Gallery, c’était aussi ça : notre anti-bibliothèque, lieu d’initiation à l’altérité musicale qui traçait des ouvertures vers des genres inédits (du harsh noise, à l’electronica en passant par le free jazz) par des personnes pleines d’idées folles et toujours impliquées. Pas étonnant que j’y associe ce fanzine à tête chercheuse, jamais rassasié, toujours curieux, aussi pointu qu’abordable. Je l’ai, je crois, racheté à Ogrob dans une brocante, et il a survécu à quatre de mes déménagements. Il était temps que j’en discute avec son rédacteur principal, Jean-Philippe Talaga, désormais graphiste et directeur artistique dans le monde de la musique.
Je me suis toujours rappelé de Junior par cette interview et ce dossier très long sur Silver Apples. C’est là que je me suis rendu compte de la force d’un fanzine, qu’il pouvait rivaliser en proposition, en histoires, avec les magazines de musique officiels. Tu te rappelles de cet article très long?
Jean-Philippe Talaga : Oui, il faisait écho à la découverte d’une interview fleuve de Simeon Coxe dans le fanzine anglais Ptolemaic Terrascope. C’était sa première interview depuis de nombreuses années. Il revenait pour la première fois sur tout l’historique des Silver Apples. J’avais contacté le mec du fanzine et lui avais juste demandé l’autorisation de traduire et de reproduire cette interview dans Junior. J’avais agrémenté ça d’un article relatant ma découverte du groupe quelques temps plus tôt, via une réédition pirate de leurs deux premiers albums cultes.
J’ai dû lire Junior pour la première fois à la Shotgun Gallery, un lieu à part à Strasbourg, l’antre des Sun Plexus et d’Ich Bin. Le fanzine avait une réputation très pointue, mêlant à la fois la pop, les musiques électroniques et des choses plus extrêmes. Qu’est-ce qui t’a guidé quand tu as décidé de publier Junior, quelle était l’idée derrière le fanzine?
Jean-Philippe Talaga : Je ne me rappelle plus très bien quel avait été le déclic. Sans doute pour épater ma petite amie de l’époque. Ça sonne un peu comme une blague, mais c’est sans doute la réponse la plus honnête que je puisse faire. J’avais dû en partie y arriver car elle a toujours été d’une aide et d’un soutien précieux. J’adorais découvrir des nouveaux groupes, tomber sous le charme d’un album ou d’un single et, avec le même élan d’hyper-enthousiasme, le faire découvrir aux autres. Je crois que c’est quelque chose qui se sentait assez bien à travers ma prose adolescente. Un peu trop même. A Bordeaux, au milieu des années 90, il y avait une vraie scène : des fans d’indie music au sens large, des fanzines, des labels et des disquaires passionnés. La plupart des groupes indés anglais ou américains passaient en concert au Jimmy (LA petite salle de concert mythique de Bordeaux). On était sur la carte de l’International Pop Underground et cela créait une véritable émulation.
Avais-tu autour de toi une équipe, des amis qui écrivaient aussi dans Junior et aviez-vous d’autres canaux d’expression comme une émission de radio, par exemple ?
Jean-Philippe Talaga : Je m’occupais de la majorité des interviews (souvent accompagné de mon pote Julien, qui était bien plus à l’aise que moi avec l’anglais et qui m’aidait pour les retranscriptions des cassettes). J’écrivais 70-80% des articles et toutes les chroniques (181 pour le dernier numéro, ce qui me semble un peu dingue aujourd’hui). Je demandais aussi ponctuellement à des amis mélomanes ou musiciens d’écrire des articles sur des sujets qui les passionnaient. Syril Hoffmeyer (Cosmodrome, Songs of Praise) par exemple à propos de Glenn Branca, Walter « Wendy » Carlos ou Labradford. Philippe Dumez, qui était alors pigiste aux Inrocks, m’a un jour spontanément écrit pour me proposer une interview de Jad Fair. Les Inrocks n’en avait publié qu’un fragment et il m’en proposait l’intégralité. Ça a été le début d’une collaboration fructueuse. Il allait interviewer, pour le fanzine, tous les groupes à qui je rêvais de faire un blind test, mais dont la tournée ne passait pas par Bordeaux. Je lui préparais une playlist ou quelques questions. Il ajoutait les siennes et me renvoyait le résultat quelques jours plus tard. Je me souviens notamment d’un blind test mémorable avec Pavement. Il doit très bien s’en souvenir lui aussi je pense. Les blind tests, c’était vraiment mon truc. Cela me permettait de sortir du schéma de l’interview classique. De faire ce qui me plaisait vraiment : parler musique avec mes « idoles ». Tout ça me permettait souvent d’assister aux balances et de finir parfois la soirée avec eux après le concert. Autre tic obsessionnel auquel je tenais beaucoup, c’était les playlists. Je soumettais systématiquement les artistes interviewés à l’exercice. Ils devaient me faire leur liste des albums / singles du moment. Ils dévoilaient alors volontiers leurs influences et c’était une source supplémentaire de découvertes musicales. Je me soumettais également à l’exercice en exergue de chaque numéro. En parallèle je m’occupais d’une émission de radio, Pure Guava, deux heures, une fois par semaine avec Martial Solis. Il faisait le fanzine Onion’s Soup et faisait partie de l’équipe du label Aliénor. Il tient maintenant brillamment la boutique de disques Total Heaven. Nous préparions chacun dans notre coin 45-50 minutes de musique et nous nous faisions découvrir le résultat à l’antenne. C’était très amusant car nous avions régulièrement des goûts et des avis très différents. C’est vite devenu un jeu de se vanner en direct entre les morceaux.
Comment étais-tu organisé matériellement ?
Jean-Philippe Talaga : Pour l’édition et la publication, c’était avec mon binôme Jérôme Gabet. C’était également lui l’ingé son de Pure Guava. Sans lui, tout cela aurait été beaucoup plus difficile, voire impossible. Il avait accès à un Mac et maitrisait déjà les logiciels d’Adobe. Des soirées entières durant, nous faisions la maquette et les impressions. Je ne me rappelle plus trop du tirage. C’était très artisanal et on re-fabriquait si nécessaire. C’était pensé pour être facilement photocopiable. Le dernier numéro a dû être tiré à plus d’une centaine d’exemplaires. On faisait pas mal de VPC nous-mêmes, mais Junior était aussi disponible via un petit réseau de disquaires indés et de distributeurs qui s’occupaient de petits labels indés étrangers en France.
Avec le recul et en tant que graphiste de métier, comment perçois-tu Junior maintenant ?
Jean-Philippe Talaga : Je suis graphiste et directeur artistique de métier. C’était mon baptême du feu. Cela m’a permis de me faire la main, même si nous faisions vraiment ça à quatre mains avec Jérôme. Nous n’avions pas vraiment de modèles, mais aurions sans doute dû en avoir (rires). On ne voulait pas que ça ressemble à une autre publication. Quand je regarde la maquette aujourd’hui, je ne vois que ses défauts. Ils sont nombreux et le temps n’a rien arrangé. Nous n’avions pas du tout d’argent pour financer ça correctement, c’était très très DIY. L’argent récolté me permettait surtout d’acheter des disques, même si je recevais des CD/LP promos de labels comme Drag City, K Records ou Smells Like Records (avec des petits mots de Steve Shelley en bonus). Je faisais aussi des compilations K7 dont je désignais les jaquettes. Les lecteurs pouvaient les commander en compléments sonores des articles de fond de certains numéros. Sur le krautrock dans le numéro 3, par exemple. Je souffrais quelque peu d’hyperactivité en fait.
Que lisais-tu comme presse musicale ?
Jean-Philippe Talaga : Je lisais beaucoup de fanzines. La liste serait bien trop longue. Je correspondais avec bon nombre d’entres eux, ce qui permettait de se faire mutuellement découvrir plein de choses et de tisser un vrai réseau d’entraide. Je lisais aussi bien sûr Les Inrockuptibles et Magic Mushroom. Comme tout bon fan de musique indé dans les années 90. Je ne lis plus trop la presse musicale depuis quelques années. Maintenant, comme beaucoup, je lis sur internet. Et puis l’offre des livres sur la musique underground, tous styles confondus, s’est très largement développée ces derniers années. Je privilégie cette approche, mais je ne suis pas contre un petit Gonzaï, un fanzine d’irréductibles, ou un petit Audimat de temps en temps.
Combien de temps a duré l’aventure ?
Jean-Philippe Talaga : Il y a eu quatre numéros en un peu plus de deux ans (entre 94 et 97 environ). En recherchant dans mes archives, j’ai retrouvé les ébauches d’un cinquième numéro inédit. Mais mon déménagement à Paris et la création du label Gooom avait visiblement radicalement modifié mes envies.
Tu t’es donc occupé du label Gooom de 1997 jusqu’au milieu des années 2000, est-ce que Junior a joué un rôle ou a été une étape importante dans ta compréhension du monde de la musique ?
Jean-Philippe Talaga : Au départ l’idée du label était étroitement liée au fanzine. Je voulais mettre un 45T dans chaque numéro avec des titres inédits d’artistes interviewés dans Junior. Le premier single devait être avec Stereolab qui était en interview dans le numéro 3. Je leur avais fait un blind test dans les loges après un concert au Jimmy. Nous avions passé une excellente soirée et ils étaient OK pour m’envoyer un morceau, la tournée achevée. Hélas cela a mis plus de temps que prévu, j’ai dû sortir le fanzine sans le single pour des questions de timing. Stereolab a quand même soutenu le projet. Laetitia (Sadier, ndlr) avait très envie de sortir un morceau sur un label français et ils ont suggéré de faire un split single avec Fugu. Ils étaient au sommet de leur popularité, les disques se sont vendus en un clin d’œil et Rough Trade (via Jérôme Mestre et la boutique parisienne) m’ont proposé un deal de distribution sur le seul crédit des sorties à venir et la réputation du fanzine. Je recevais beaucoup de démos via Junior. Je chroniquais celles qui me plaisaient le plus. Il y avait deux groupes sur lesquels j’avais vraiment flashé et avec lesquels j’avais entamé une correspondance et une relation de confiance : Mils et Cosmodrome. Ils avaient une vision et un son uniques en France à ce moment-là. Un croisement entre le post-rock de Chicago, l’electronica anglaise et le Spiritual Free Jazz pour le premier. Un croisement très second degré entre Kraftwerk et ADD N to X pour le second. Les sorties ont été très bien accueillies et Gooom était lancé. Pour le clin d’œil, quelques années plus tard j’ai sorti deux albums de KG qui était au sommaire du premier numéro de Junior. C’en était même la première interview.
Tu continues à travailler sur des pochettes de disques notamment pour le label Transversales. Comment as-vécu l’évolution du monde de la musique depuis Junior et ton expérience de label?
Jean-Philippe Talaga : J’ai la chance d’avoir travaillé, à de très rares exceptions près pour l’instant, toute ma carrière dans l’industrie musicale. Pour de nombreux labels indés ou des majors. J’ai donc vécu de l’intérieur et à diverses échelles tous les bouleversements du secteur. De la mort à la résurrection du vinyle. De l’arrivée du MP3 à l’avènement du streaming. J’ai du mal à avoir du recul sur autant de montagnes russes. J’ai eu la bonne idée d’arrêter le label au bon moment. Gooom était à son apogée après les sorties du second album d’Abstract Keal Agram, du troisième album de M83 et son succès aux USA. Anthony (Gonzalez, M83, ndlr) voulait partir voler de ses propres ailes à Los Angeles et je traversais une période difficile dans ma vie perso. C’était le moment idéal, pas le plus simple non plus, juste avant la crise du disque. Un nouveau business model est en train de durablement se mettre en place avec le streaming. C’est devenu un moyen de consommer la musique complètement rentré dans les mœurs et qui coexiste très bien avec le second souffle du vinyle. Ce n’est plus l’âge d’or du siècle dernier, mais c’est aussi tout un nouveau monde qui se met en place, avec son lot de surprises inattendues. Ma curiosité insatiable d’auditeur est toujours intacte je pense. J’écoute encore plus de musique qu’avant ; et j’ai toujours des gens qui continuent à me faire confiance en tant que graphiste ou directeur artistique. Je suis vraiment très fier de faire partie de l’aventure Transversales. J’étais vraiment très excité quand Sébastien Rosat et Jonathan Fitoussi m’ont proposé de m’occuper de l’identité visuelle et des pochettes du label. C’est un label jeune, mais la qualité des sorties déjà parues et toutes celles à venir sont en train de creuser un sillon qui devrait conférer à Transversales un statut et un destin unique, j’en suis sûr. J’avais fait désigner une compilation K7 pour le numéro 4 de Junior – en complément du dossier sur la musique minimale américaine. Le premier titre était la part. 1 du Music in 12 parts de Philip Glass. Il y a quelques mois, j’ai fait la pochette de l’enregistrement inédit de cette œuvre parue sur Transversales. La boucle est bouclée.
Tu as continué à travailler ponctuellement sur des fanzines, notamment ceux de Philippe Dumez…
Jean-Philippe Talaga : Philippe m’a demandé ponctuellement de faire la mise en page de certains de ces nombreux fanzines ou ouvrages auto-édités. J’adore toujours autant travailler avec lui. Il déborde tout le temps d’idées et de concepts sortis de nulle part. Il a su faire évoluer son travail avec le temps pour ne pas se répéter. J’aime le regard bienveillant qu’il porte sur les autres et le pas de côté qu’il arrive à faire quand il travaille plus sur lui-même, dans le registre du journal intime. Il a su garder sa curiosité intacte et s’en faire une force. Outre l’amitié qui nous lie, je suis un fan inconditionnel du personnage.
BONUS ! SELECTORAMA : Jean-Philippe Talaga
Dix titres choisis et commentés en lien avec les années Junior.
1. BONGWATER, Junior (1990)
Le nom du fanzine vient de ce titre. J’étais fasciné par Kramer et ses productions. J’adore le son qu’il a apporté aux albums de Galaxie 500 – avec cette reverb qui semble être présente partout, même dans les moments de silence. C’est comme ça que je l’ai découvert en premier, puis j’ai découvert son label, Shimmy Disc, son groupe Bongwater (avec l’actrice Ann Magnuson) et ses albums solo. Je conseille très fortement l’album The Power of Pussy… et aussi l’excellente reprise de Too Much Sleep faite par Diabologum sur leur premier album.
2. STEREOLAB, Revox (1993)
L’histoire du fanzine est intimement liée à Stereolab. J’étais vraiment bloqué sur leur son, leur univers, leurs influences… C’est certainement le groupe que j’ai le plus vu en live à Bordeaux. Leurs versions alternatives à rallonge m’hypnotisaient. Leur son y était beaucoup plus brut que sur disque. Revox est un de mes morceaux préférés du Stereolab première période. Ultra répétitif et intense. Il permet assez bien de s’imaginer l’impression que pouvait vous laisser ce groupe (et son batteur Andy Ramsay) dans une petite salle de 70-80 personnes. Je suis très impatient de les revoir en concert ce week-end justement. 25 ans plus tard.
3. Th’ FAITH HEALERS, Everything, All At Once Forever (1993)
Le label Too Pure a beaucoup compté dans mon envie de créer un fanzine puis un label. J’admirais leur vision de la musique, les visuels, le catalogue … D’ailleurs j’ai interviewé presque tous les artistes du rooster de l’époque : Stereolab, Mouse on Mars, Pram, Moonshake, Laika. Sauf Seefeel, par manque de chance, PJ Harvey, par manque d’intérêt et les Faith Healers, parce qu’ils se sont séparés juste avant que je ne démarre le fanzine. Pourtant je les ai vus plusieurs fois en concert. Je me rappelle très bien de leur denier concert bordelais et de leur version épique de ce morceau. Un ami à moi a failli perdre une oreille ce soir là.
4. SPECTRUM, How you satisfied Me (1992)
Mon plus grand regret c’est de n’avoir pas pu interviewer les 2 ex-Spacemen 3 : Peter « Sonic Boom » Kember (Spectrum) et Jason Pierce (Spiritualized). Mes disques des Spacemen 3, de Spiritualized et de Spectrum me suivront toute ma vie et me rappelleront plein de souvenirs. Des bons et des mauvais. Ils continuent à publier des nouveaux enregistrements sporadiquement. Il y a parfois des déceptions, mais aussi des bonnes surprises – comme le Infinite Music – A tribute to La Monte Young de Sonic Boom avec Etienne Jaumet et Celine Wadier. Mes « idoles » ces dernières années c’est plutôt Frank Ocean, Gucci Mane, Future, Drake, Travis Scott, Pharrell, Metro Boomin, ou Southside. J’écoute énormément de musique ambiant aussi – On ne se refait pas totalement. Mais Sonic Boom et Jason Pierce resteront des icones jusqu’au bout.
5. SMOG, Prince alone in the studio (1995)
C’est un de mes « classiques ». Je ne me lasserai jamais de ce morceau. Tout est parfait. Je pense que Drake adorerait le texte. Lui qui parle de spleen du succès, d’illusions sentimentales liées à l’argent ou de la mélancolie tout court à longueur d’album. J’aime beaucoup les textes de Bill Callahan et celui-là est un des plus beaux et des plus inattendus – sur la solitude de Prince après une session d’enregistrement à Paisley Park ! C’est un génie un peu torturé. Tout du moins le jour où je l’ai rencontré et que j’ai essayé de l’interviewer. C’est la seule fois où une interview s’est mal passée. C’était pour la tournée de cet album d’ailleurs, il me semble. Je ne saurais dire pourquoi, comment… J’ai du arrêter au bout de 10 minutes. Il semblait très mal à l’aise. Je ne me rappelle plus pourquoi, mais ça a vite rendu toute communication impossible. Je garde néanmoins un très bon souvenir du concert.
6. CARMINE, Silver Bells and Shady Bells (1993)
J’ai toujours aimé les groupes qui utilisaient leurs guitares de manière peu conventionnelle. Comme dans la scène No-Wave New Yorkaise fin 70’s ou le mouvement Shoegaze anglais début 90’s. Soit en utilisant des accordages alambiqués, en tapant dessus plus qu’autre chose, en coinçant des trucs bizarres entre les cordes, en y appliquant toute une armée d’effets … Pour ça, en France dans les années 90 j’aimais tout particulièrement Sister Iodine et Carmine. J’ai eu la chance de les interviewer pour Junior. Le premier album de Sister Iodine, ADN 115 (1994), est un chef d’œuvre du genre. Ils sortent encore des disques et font des concert au compte goutte. Toujours aussi intenses. Mais Carmine a complètement disparu. Disparu du paysage et des mémoires. C’est pour ça que c’est eux que j’ai choisi. Après un maxi sous le nom de Candle chez Lithium, ils ont enregistrés 3 albums et se sont évanouis dans la nature. Theo Jarrier de la boutique Le Souffle Continu a été leur batteur un temps, mais je n’ai jamais osé l’interroger à ce sujet.
7. ASH RA TEMPEL, Sunrain (1976)
Si je ne devais garder qu’un seul disque de Krautrock, ce serait celui là. La pochette originale du vinyle est également une référence visuelle importante pour moi. Au début des années 90, de nombreux groupes que j’aimais citaient des groupes allemands dont je n’avais jamais entendus parler : Neu!, Faust, Popol Vuh, Ash Ra Tempel, Amon DÜÜL, Cluster … Je connaissais juste Kraftwerk, Can et Tangerine Dream. Puis je me suis rendu compte qu’on pouvait en trouver pour trois fois rien dans les disquaires d’occasion. J’ai commencé à en acheter un peu au hasard et cela été une révélation. ça a été le début d’une obsession pour le genre. Le livre de Julian Cope, Krautrocksampler, qui venait juste de paraitre m’a beaucoup aidé dans cette quête. J’ai fait un dossier Krautrock dans le 3eme numéro de Junior, début 96. Quelques années plus tard, j’ai été invité dans une soirée avec d’autres rédacteurs de fanzines et musiciens. L’un d’eux est venu me voir pour me demander si c’était bien moi, Jean-Philippe Talaga. Il était persuadé que Junior avait été écrit par un vieux barbu, un peu babos sur les bords, en partie à cause de ce dossier.
8. OVAL, Do While (1995)
J’ai découvert ce morceau et cette video en 1995 dans l’émission 120 minutes de MTV. Je m’en rappelle comme si c’était hier, ce fut un choc. Il m’a beaucoup influencé dans mon approche de la musique électronique. C’était comme si My Bloody Valentine avait enfin donné une suite à Loveless, mais l’avait sorti chez Warp. Enfin c’était ma vision (très personnelle) à l’époque. C’est comme si deux fils se connectaient et que d’un coup la lumière fut. Ce qui me fascinait chez My Bloody Valentine (et plus généralement dans le Shoegaze), je le retrouvais dans l’electronica. Ce qui était complètement logique vu qu’ils avaient de nombreuses influences en commun. Et c’est ce qu’il s’est passé.
9. LFO, Shove Piggy Shove (1996)
Si j’avais continué Junior, les sommaires auraient continué à se tourner irrémédiablement vers la musique électronique (et sans doute aussi vers le Hip-Hop au début des années 2000). C’était déjà flagrant dans le sommaire du 4, et encore plus quand on se penche sur l’historique du label. J’avais prévu des interviews d’Autechre, de Fennesz, de Boards of Canada… et j’aurai sans doute rencontré la grande majorité des artistes de Warp.
Mes premiers gros coups de cœur pour la musique électronique furent l’album Frequencies de LFO et le single Pacific d’808 State au tout début des années 90. Depuis ce moment, j’ai toujours gardé une admiration sans bornes pour LFO. Je me rappelle qu’après avoir acheté leur deuxième album, j’étais complètement obsédé par ce morceau. Il fait tellement 90 et en même temps, il annonce tout le début des années 2000. Un blind test avec Mark Bell ça aurait classe quand même…
10. STEVE REICH, 6 Pianos (1974)
L’une des découvertes les plus marquantes pour moi (durant la courte période du fanzine), c’est cette pièce de Steve Reich. Je ne connaissais cet artiste que de nom et j’ai découvert 6 Pianos sur une compilation cassette faite par Laetitia de Stereolab (encore). Ce fut une révélation – dès la première écoute c’était comme si je connaissais déjà, comme si j’avais toujours connu, toujours eu dans un coin de ma tête ou toujours recherché. Une sensation de cet ordre. Cela m’a permis de comprendre ce qui me fascinait vraiment dans la musique. Ce qui nourrissait mes obsessions, conditionnait mes goûts. Cela m’a aidé des années plus tard, quand je m’occupais du label Gooom, pour m’en tenir à une direction artistique, ou quand on me demandait de définir le son du label. Mais ça c’est une autre histoire.