Après le constat d’accident et les demandes de réparation formulées sur Highway Songs (2016), disque somme néanmoins varié des traumas vécus par David Pajo sur la dernière décennie (adultère, tentative de suicide, catastrophe motocycliste), notre homme a tout bonnement choisi de quitter la voie rapide. À l’instar d’un Townes Van Zandt, qui partait vers les bois dès qu’il sentait la dépression l’empêcher de tout contact humain, ou d’un Jim Harrison qui préféra souvent la compagnie des arbres et des animaux à celle de ses semblables, Pajo a préféré se perdre en forêt pour une raison bien précise : y construire une cabane en bois pour mieux s’y abriter. Sous-titré Music for Four Acoustic Guitars, A Broke Moon Rises est donc une construction lente, exigeante ; plusieurs saisons sont passées pendant sa conception, et le chemin pour y parvenir ressemble plus à un jeu de piste hermétique qu’à un sentier de randonnée bien balisé. Au bout de plusieurs écoutes nécessaires, où l’auditeur n’a jamais l’impression d’être baladé mais bien de se perdre comme l’auteur du disque, la destination est enfin atteinte. Ivre de fatigue, les vêtements arrachés, les muscles hurlants de douleur, trempé de pluies glaciales et de sueur, on s’y retrouve quand même au chaud. Il y a de l’espace et des épines, le bois y est brut, travaillé pour la beauté du geste, rarement pour le confort intérieur. Serait-ce ce Upright Path faussement bucolique qui l’y a emmené, des éléments percussifs comme seule canne d’inconfort ? La beauté du clair de lune sur ce Walt’s à l’émerveillement inquiet ? L’agitation au loin de cette Lighthouse Reverie qui met des embruns sur les conifères comme un survivaliste qui n’oublie pas le sel sur ses maigres réserves ? L’espagnolade rassurante de Shimmer qui marque la fin du chemin ? La longue (13 minutes) litanie de Spiegel Im Spiegel indique-t-elle en bout de course, la fin du jeu ? Tant de questions que pose un disque mystérieux et dont l’austérité s’apprivoise finalement au bénéfice d’un doute permanent. Elle n’est pas si mal, cette cabane tapie au fond des bois (*), on peut y pleurer comme y panser ses plaies, on peut même y rêver des jours meilleurs qui viendront aussi lentement que sûrement.
(* On ne sait juste pas si elle est au Canada, pour citer Line Renaud, qu’on a peu entendue sur l’affaire Benalla par ailleurs.)