Oh bien sûr, il y eut la guéguerre de la Britpop, cette rivalité avec Blur dont nous n’allons pas vous refaire le plan de bataille marketing.
Oh bien sûr, il y eut la Britpop tout court, qui transforma tout un pan du rock indépendant anglais en un phénomène de masse.
Oh bien sur, il y a Wonderwall, cette scie grotesque (« Mais après tout, t’es mon super mur. » Super paroles, non ?) dont on subit encore régulièrement les interprétations les plus fantaisistes à chaque fête de la musique et qui donna lieu à une sanglante bataille d’égo entre les deux frères.
Mais toutes ces choses sont à replacer dans leur contexte et si vous n’avez pas eu la chance ou la malchance de vivre cette époque, des livres existent désormais.
Alors, au bout du compte, que reste-t’il du deuxième album d’Oasis ?
Juste un putain de grand disque ?
On est en tout cas pas près d’oublier le gigantesque élan d’optimisme qu’il suscita pour une nation toute entière et même bien au delà, on parle tout de même d’un disque vendu à plus 22 millions d’exemplaires. Rarement depuis Led Zeppelin on aura vu ascension aussi immédiate et définitive, surtout pour un combo signé chez Creation. On dit même que le soutien du groupe et de son entourage, Alan McGee en tête (il s’en mordra publiquement les doigts) au parti travailliste fut décisif dans la victoire du beaucoup trop souriant Tony Blair aux élections de 1997. Après le succès météorique de son premier album Definitely Maybe (1994), Oasis aurait pu imploser en plein vol, de par son fonctionnement bipolaire et chaotique ou sous la pression monumentale qu’un tel second album suscite immanquablement. Mais la pression, Noel Gallagher s’en bat assez largement les steaks, il s’enferme au Studios Rockfield au Pays de Galles avec Owen Morris, l’homme qui sauva ce premier album du chaos. Il a des chansons qui lui inspirent une confiance de marbre, absolue, une foi inébranlable et concocte un son mo-nu-men-tal, à la fois pop et massif, riche en guitares sales mais pas avare d’espace, quasiment Spectorien, pour leur rendre justice.
Il sait où il va, et il y fonce, le Blitzkrieg est lancé, (What’s The Story) Morning Glory ? sort le 2 Octobre 1995, le monde ne s’en relèvera pas.
Comme il l’avoue : « Definitely Maybe, c’était moi rêvant de devenir une rock star, Morning Glory, c’est toujours moi, mais devenu une rock star ».
Le succès du disque dépassera, à raison, toutes ses espérances.
La charge de la brigade légère s’ouvre par Hello, qui au-delà de sa petite accointance avec Gary Glitter est une remarquable élaboration cinétique sur comment remuer sans aucune forme de pitié une foule, d’entrée et sans concession. On ne comprend toujours pas pourquoi un morceau aussi crétin et efficace que Roll With It s’est fait coiffer au poteau par l’insignifiant Country House de Blur lors de la fameuse course de roquet de l’été 95, on y entend même un sursaut cafardeux (« I Think About A Feeling I’ve Lost Inside ») qui place le groupe à égalité avec la fragilité émotionnelle de deux de ses influences principales, The Stone Roses et The Beatles. Suivent les deux tubes certifiés (Wonderwall chanté par Liam, Don’t Look Back In Anger chanté par Noel) que vous connaissez par cœur, et qui dans le contexte de l’album sont loin d’être les meilleures chansons du cru, lassitude oblige. On redécouvre en revanche avec plaisir Hey Now !, rampant et triste comme une gueule de bois et surtout Some Might Say, énorme single paru en éclaireur plus de 6 mois avant la sortie du disque et qui donne toute la mesure du génie absolu et total de compositeur de Noel Gallagher à l’époque. Sur un riff complètement idiot, une fois de plus pompé à T. Rex, le groupe tisse un monument d’espoir, de rage et de mélancolie.
Rétrospectivement, pour un morceau que Teenage Fanclub aurait vraisemblablement soumis au vote pour une éventuelle face B, ça reste d’une belle envergure.
Après le lourdingue Cast No Shadow et l’insignifiant She’s Electric, on attaque un final monumental avec tout d’abord Morning Glory, qui comme son nom l’indique fout toujours autant la trique, 25 ans plus tard. Après une intro apocalyptique, ce rouleau compresseur emprunte à The One I Love de R.E.M. qui lui même s’inspirait assez largement du Hey Hey My My de Neil Young, et pourtant c’est du Oasis pur jus*, transcendé par la voix transperçante de Liam Gallagher qui n’a jamais si bien navigué entre les deux John (ses deux modèles fictifs, Lydon et Lennon), « All Your Dreams Are Made, When You’re Chained to the Mirror And The Razor Blade… » en référence explicite aux petites décoctions colombiennes qui altèreront considérablement la production du prochain, le décrié Be Here Now, un disque attachant qui devrait définitivement vous mettre en garde contre les méfaits de l’agriculture sud-américaine, ne serait-ce qu’en termes audiophiles.
Il y a effectivement de quoi se choper le super melon de la mort et le groupe ne s’en privera pas. Et comme s’il le savait déjà conclut l’album sur une autre merveille, Champagne Supernova, adoubée par Paul Weller en personne, qui y pousse un solo pour le moins habité.**
« Slowly Walking Down the Hall, Faster Than A Cannonball, Where Were You When We Were Getting High ? », on peut généralement trouver les paroles du Nono simplettes voire même carrément concons, elle sont pourtant parfois, au delà de leur simplicité redoutable, d’une acuité et d’une intuition stratosphérique.
Niveau face B, le boss s’est encore foulé.
Alors que celles de Definitely Maybe (Sad Song, Fade Away) tutoyaient allègrement les étoiles, l’inspiration semble déjà par moment en berne, mais le niveau reste assez alpestre avec le formidable et fédérateur Acquiesce, l’émouvante ballade Talk Tonight, le brutal Headshrinker qui cite dans le texte les Sex Pistols ou encore Step Out ou Rockin’ Chair qui rendent respectivement hommage à AC/DC, Free et surtout Slade (influence monumentale et finalement avouée sur une reprise incendiaire, potache et pourtant fidèle de Cum On Feel The Noize).
Le règlementaire quota de versions live et autres démos, dont une version brute et acoustique de Some Might Say (toujours) à chialer, se chiffre à 14.
Sommet artistique et commercial d’un groupe difficilement oubliable, (What’s The Story) Morning Glory marque un sommet infranchissable d’où les frères Gallagher, rois du monde pour encore quelques saisons hautes en couleurs dégringoleront, non sans bonhomie mais fatalement, avec toujours comme ici mais beaucoup moins régulièrement, juste des putains de bonnes chansons.
Cinquième meilleure vente de tous les temps en Grande Bretagne, pas mal pour des prolos de Burnage menés par un ancien roadie des Inspiral Carpets.
*pardon, vraiment
** Il en fera de même chez Primal Scream sur l’incroyable When The Kingom Comes, face B démentielle d’Acclrtr, que l’on peut considérer comme la dernière référence du label.