Quand Section 26 m’a demandé à la fin de l’année dernière quel serait mon espoir pour 2019, j’ai spontanément répondu : “voir Tears For Fears en concert”. J’ignorai totalement que le groupe tournerait en 2019, et l’excitation de cette découverte a rapidement été modéré par la découverte du prix du billet. Mais surtout : ce que j’attendais de Tears For Fears (à savoir qu’ils rejouent l’intégralité de leurs deux premiers albums) allait-il correspondre à ce que j’allais voir sur scène ? J’ai hésité jusqu’au dernier jour, et j’ai préféré ne pas confronter mon rêve à la réalité. Le lendemain, par curiosité plus que par regret, j’ai tapé “Tears For Fears Bercy 2019” sur Youtube, et j’ai découvert qu’un spectateur avait filmé pas loin de 45 minutes du concert. J’ai donc pu avoir une idée de ce que j’avais raté. En 1985, Youtube n’existait pas et j’avais trouvé un autre moyen de jeter une oreille sur le concert que le groupe avait donné la même année au Zénith.
En parcourant les petites annonces de Best, j’avais trouvé sans difficulté l’adresse d’un revendeur qui, moyennant un chèque que ma mère avait accepté de rédiger, m’avait expédié un enregistrement approximatif qui m’avait permis de revivre le concert par procuration. Je me souviens encore de mon impatience une fois la commande postée et du jour merveilleux où la C60 tant désirée a fini par arriver. Ai-je écouté cette cassette plus d’une fois ? Je ne pense pas. Mais je tremblais d’un plaisir transgressif, puisque j’avais entre les mains un objet prohibé : une cassette pirate. Les versions live étaient-elles supérieures au version studio ? Évidemment non. Mais j’avais, par bande interposée, la possibilité de retourner à un concert auquel je n’avais pas assisté. Tears For Fears en 1985 au Zénith ? Évidemment, j’y étais.
Sans jamais les avoir collectionné, j’ai plusieurs fois commandé, toujours grâce aux contacts trouvés parmi les petites annonces de Best, d’enregistrements réalisés sous le manteau. J’ai passé au peigne fin les listes photocopiées reçues en échange d’une enveloppe timbrée, cherchant à conjuguer la meilleure qualité de son possible et la plus longue durée de bande. J’ai repensé à cette époque aujourd’hui totalement révolue en regardant Tears for Fears sur Youtube, et je me suis demandé ce qu’étaient devenus ces passeurs qui, très longtemps avant internet, passaient jour et nuit à dupliquer des cassettes audio et faire des aller-retours à la poste. S’étaient-ils tous fait construire des piscines dans le sud de la France ? A quel moment avaient-ils pris leur retraite ? Et surtout : qu’étaient devenues les cassettes ?
Je n’ai gardé aucune liste photocopiée. Le seul nom dont je me souvenais (celui qui m‘avait vendu le pirate de Tears For Fears) figurait aux abonnés absents. Mais après quelques sms bien ciblés, les langues se sont déliées. Des noms m’ont été balancés. J’ai été amusé d’y trouver celui de Christophe, dont j’ai fait la connaissance dans d’autres circonstances, et dont j’ignorai le passé de duplicateur. Il a accepté de me raconter son expérience.
Christophe : Un jour, un ami revient de Londres avec, dans son sac, six concerts de Cure en cassette audio. C’était en 1984, j’avais 16 ans. A l’époque, les live officiels n’étaient pas légion : Press The Eject and Give Me The Tape de Bauhaus, Concert de Cure, la face b de Still de Joy Division et c’était à peu près tout. Les pirates, on ne savait même pas que ça existait. On s’est renseignés. Et on a trouvé des personnes avec lesquelles faire des échanges. C’est comme ça que tout a commencé. Le but, ce n’était pas de se faire de l’argent. C’était d’avoir le plus de cassettes possibles. Toutes les dates de la tournée. Les rappels, les reprises, les inédits, les sessions radio… C’était à la fois gratuit et sans fin. Je suis très attaché à cette expérience, car c’est le début de ma vie musicale. Quand j’en parle aujourd’hui, je dis toujours : “quand j’étais dans les cassettes”.
Combien de temps a duré cette période ?
Cinq ans. A force de faire des échanges, nous avons fini par constituer une collection conséquente. Et pratiquement exhaustive sur certains groupes : The Cure, Bauhaus, Sisters of Mercy, Virgin Prunes, Minimal Compact, Front 242… Un jour, on a envoyé une annonce pour publication dans Best. Et elle a été imprimée alors qu’on avait oublié de l’accompagner d’un chèque. Alors, tous les mois, on a recommencé, sans jamais payer. A partir de là, je me suis mis à recevoir des commandes de façon quotidienne. Et tout mon temps libre passait dans la duplication de cassettes. J’avais jusqu’à cinq appareils chez moi qui tournaient jour et nuit. Je m’endormais en lançant un enregistrement et j’en lançais un nouveau au réveil. Et je faisais des aller-retours quotidiens à la poste.
Combien coûtaient les cassettes ?
J’ai le souvenir de 30 francs pour un C60 et 40 francs pour un C90. Et un peu plus cher si vous préfériez une duplication sur support Chrome. Mais le but n’était pas de se faire de l’argent. Les chèques que je recevais servaient à renouveller le stock de des cassettes vierges et à financer l’achat des duplicateurs. Car on achetait des tonnes de cassettes vierges. Je me souviens d’une boutique située à la sortie de la gare de l’Est, Illel, où on les prenait par lot de 100.
Quand es-tu passé du stade de duplicateur au stade de “producteur” ?
A partir de 85-86, les concerts ont commencé à se multiplier sur Paris et je suis sorti de plus en plus, pour mon plaisir personnel. J’ai investi dans un walkman enregistreur, puis rapidement dans un matériel semi-professionnel : un WM-D6C, qui coûtait une petite fortune. Mais la qualité était à la hauteur de l’investissement. On avait une telle notoriété relative à la qualité de nos enregistrements qu’il arrivait que l’on nous demande, avant que les concerts aient lieu, si on comptait les enregistrer, et on se retrouvait à recevoir des commandes à l’avance et à devoir les expédier dès le lendemain.
Comment parveniez-vous à faire pénétrer un walkman dans la salle ?
Soit en le cachant dans le froc, soit dans les chaussettes – des endroits qui n’étaient pas soumis à la palpation des vigiles. Pour le WM-D6C qui était un appareil un peu plus grand qu’un walkman, j’avais arraché les pages d’un dictionnaire d’anglais pour le cacher à l’intérieur de la couverture – le format était identique. J’arrivais au concert avec un sac bien rempli pour faire diversion : le dictionnaire était noyé au milieu d’autres affaires.
Tu ne t’es jamais fait choper ?
Jamais à l’entrée. Deux ou trois fois dans la salle, quand le service de sécurité passait avec des lampes torches dans le public. Certains concerts étaient plus “fliqués” que d’autres. Chaque fois qu’on m’a demandé d’arrêter, j’ai toujours respecté la consigne.
Avais-tu l’impression d’effectuer un trafic ?
Pas du tout. Le but du jeu, encore une fois, n’était pas de se faire de l’argent. L’important, c’était la transmission. Ma fierté, ce n’était pas d’enregistrer, c’était de partager avec d’autres. J’étais toujours ému de recevoir une lettre d’un fan de Christian Death originaire du Havre ou d’Annecy. Les groupes qui figuraient dans notre liste de diffusion, s’ils étaient essentiels pour nous, demeuraient très confidentiels aux yeux du grand public. Et ils n’étaient pratiquement pas couverts par la presse, si ce n’est par les fanzines.
J’étais très fier de notre liste, parce nous faisions le travail sérieusement. La liste était tapée à la machine à écrire et photocopiée au Monoprix en bas. Nous donnions une note la plus objective à chaque enregistrement selon la qualité du son. Et sur les enregistrements que nous réalisions nous-même, nous faisons attention à ce que les morceaux ne soient pas coupés en fin de face, qu’il n’y ait personne qui bavarde par-dessus, que la copie soit toujours réalisée à partir de la matrice quand c’était un enregistrement que nous avions réalisé nous-même… Rétrospectivement, je pense qu’on fonctionnait comme un média, car les personnes qui passaient commande découvraient des groupes grâce à notre liste.
A combien de cassettes live se montait votre collection ?
Je n’en ai aucun souvenir. Je dirai entre 1.000 et 5.000.
Jusqu’à quand a duré cette expérience ?
Cinq ans. Et on arreté du jour au lendemain. Toujours dans une logique de transmission, nous avions commencé un fanzine, Prémonition, et nous sollicitions les groupes pour des interviews. L’un d’eux, Trisomie 21 si je ne me trompe pas, a entendu parler du fait que nous faisons de la vente de cassettes et a remis en cause la proposition d’interview que nous leur avions fait parvenir.
Que sont devenues les cassettes ?
Elles sont toutes parties à la poubelle. J’ai écrémé d’année en année, et j’ai fini par donner le dernier carton à une copine. Un jour, elle m’a écrit pour savoir si elle pouvait le foutre en l’air. Je lui ai donné ma bénédiction et lui ai juste demandé de les prendre en photo avant de s’en débarrasser.
Vous n’avez rien gardé ?
Non, même pas les concerts que nous avions enregistré nous-même. J’ai sans doute jeté des pièces uniques. Je n’avais pas réfléchi à ça sur le moment. Il y a une dizaine d’années, quelqu’un m’a dit qu’il avait toujours une de mes listes. Même chose, je lui ai demandé de m’en envoyer une photo. Ce sont vraiment les seules choses qui me restent aujourd’hui.
Quel souvenir gardes-tu de tes “années cassettes” ?
Ca a été un événement fondateur. Des gens m’en parlent encore aujourd’hui, qui me connaissent de cette époque. C’est toujours un sentiment étrange, d’être abordé par quelqu’un que tu ne connais pas mais qui lui te connaît. Durant les cinq années qu’a duré la liste, on a créé un réseau entre des personnes passionnées un peu partout en France, sur lequel nous nous sommes ensuite appuyé pour diffuser notre fanzine Prémonition.
Quels étaient les meilleurs concerts de votre liste ?
Spontanément, je ne me souviens que de concerts de Cure. Celui au Melkweg à Amsterdam, le 12/12/79, fabuleux. C’est une des six cassettes audio du début de l’histoire, et je me souviens précisément de la première fois que je l’ai écouté, notamment parce que la version de 10:15 Saturday Night est prolongée par Simon Gallup à la basse.
C’est avec réconfort que j’ai pu trouver à lire, au milieu de ce récit passionnant, le terme de « transmission », parce que la K7 pour nombre d’entre nous, était avant tout un vecteur idéal pour le passage de culture. Ces cassettes pirates, j’en trouvais, adolescent, dans une boutique du Mans restée mythique (Short Stories, rue Nationale, tenue royalement par l’extraordinaire Loul), dans une présentation sommaire qui ajoutait à la dimension mystérieuse de ce sentiment de transgression très bien décrit ici. Tapées à la machine sur papier blanc, les jaquettes annonçaient les Kinks au Winterland 1977 ou le concert de Hendrix à l’Olympia 1968 avec les Animals en première partie, etc. On trouvait aussi l’intégrale des enregistrements de 21 h 21, projet d’alors du regretté Jean-Luc Le Ténia, et je voudrais rien qu’en y repensant, remonter le temps et retourner à Short Stories rafler le rayonnage entier. À l’époque, on avait déjà des snobs (on n’appelait pas encore ça des hipsters mais plus simplement des trouducs) et des audiophiles méprisants (même vocable pour les désigner), mais le contenu avait une prédominance certaine sur le contenant, qui ne nous servait pas à nous déterminer vis-à-vis des autres auditeurs. Le support avait cette seule importance qu’il etait pratique, pas cher et facilement duplicable, transportable et… offrable.
de 1990 a 2000 j’ai enregistré pour moi et mes amis et girlfiend une serie de compilation de k7 audio (que des artistes de coeur de mr perseverance) la serie s’appelle « la politique des songwriter » un clin d’œil a la politique des auteurs des cahiers du cinéma) j’ai pondu exactement 500 volumes puis je me suis arrêté. j’ai toujours essayé à ma bien modeste échelle d’etre un passeur , il y a peu lors d’un dégât des eaux dans le garage de mes parents je suis retombé sur une partie des k7 , et dans les 1er volume je suis tombé sur des marottes de coeurs qui me parlent encore en 2019 , la vol 3 etais consacré a johan asherton ,le vol 7 a Dave Kusworth ,bref que des losers magnifique ,je vais progressivement mettre en ligne sur mon blog cette série de cassette avec mon adresse perso et je me ferais un plaisir a qui sa intéresse encore de lui faire une copie et de lui envoyé via la poste moyennent 2 francs si 6 sous ,histoire que sa couvre les frais port
Salut Mr Perseverance,
Je suis intéressé par ton projet de blog et de passage de k7 🙂 Pourrais-tu nous partager l’adresse de ton blog s’il te plaît ?
Merci !
c’est pas encore en ligne mais mon blog le voici https://perseverancevinylique.wordpress.com/
tiens françois https://perseverancevinylique.wordpress.com/2019/05/29/la-politique-des-songwriter-vol-2-the-wolfhounds-une-serie-de-compilation-en-k7-audio/
De 1990 à 2000 j’ai enregistré pour mes amis et girlfriend et moi même une série de compilation de k7 audio (que des artistes de cœur de mr persévérance) la série s’appelle « la politique des songwriter » (c’est un clin d’œil à la politique des auteurs des cahiers du cinéma) j’ai créé exactement 500 volumes puis je me suis arrêté. j’ai toujours essayé à ma bien modeste échelle d’être un passeur , il y a peu lors d’un dégât des eaux dans le garage de mes parents je suis retombé sur une partie des k7 .Cette série de compilation est une ode au support physique K7 et aux artistes qui constituent la colonne vertébrale de ma culture musicale. Le vol 2 est consacré aux immense THE WOLFHOUNDS . La ligne éditoriale de cette série compilation est éclectique et ne souhaite se conformer à aucun style de musique en particulier. En mars 2019 j’ai décidé de reprendre cette série de compilation qui s’achèvera définitivement au volume 1000.Cela intéresse t’il encore quelqu’un en 2019 ? si OUI , c’est avec plaisir et Gratuitement que je vous enverrai par la poste une copie de la précieuse K7 (voici mon mail perso hanslucas12@gmx.fr)
Merci Mr Perseverance, j’avais gardé le lien de cet article en favoris et je découvre à l’instant ta mise à jour ! Je suis en train d’écouter les chansons que tu as partagé sur ta série d’articles 🙂
Merci pour le partage, je vais également suivre ton blog.
je recherche une K7 pirate d’un concert de Serge Gainsbourg au Casino de Paris en 1985, surtout les 1ers jours, comme la générale par exemple.
Qu’il est passionnant de lire ces anecdotes sur les années k7s…
J’ai connu cette excitation de commander des k7s pirates fin des années 80 et début des années 90, de découvrir ces enregistrements rares …. Les années New Rose, Danceteria….
A mon tour je me suis mis à « pirater » les concerts à partir de 1997 (au MD, DAT et SD recorder) et aujourd’hui, en 2024, j enregistre toujours les concerts auxquels je vais 🤗
La passion est toujours là,intacte.
Depuis toutes ces années j’ai conservé l’intégralité de mes k7s pirates qui tournent de temps à autre sur mes platines analogiques et DAT. A cela, il faut ajouter un nombre considérable de cdr pirates accumulés au gré des échanges….
S’il lit mon commentaire, je serais vivement interressé par récupérer le concert d’ AATT enregistré en 1987 par Stéphane Duval (mon mail sherminator74.fb@gmail.com).
Merci.