Ne pas glisser : comment évite-t-on l’écueil du publirédactionnel quand on connaît depuis longtemps les auteurs d’un disque ? On demande à l’éthique, qui grogne – ce disque fait-il du bien ? oui. Écris-tu pour partager de bons disques ? oui. Tu n’oublieras rien ? oui. Vas-y.
Depuis que le groupe Niandra Lades existe dans la hometown Clermont-Ferrand, j’ai des réserves – poids des influences, travail toujours trop appliqué, toujours trop un travail. De supers pintes en concert, deux albums sympas à découvrir, mais voilà – sympathiques. Depuis quand écoutons-nous des disques sympathiques sans en connaître les auteurs ?
Nous mettons des disques dans une platine pour qu’ils transforment absolument et systématiquement nos vies, que ce soit en apportant un peu de ré-confort, de récréation, ou en changeant irréversiblement la formule du Technicolor vers de l’autre/de l’inconnu/plus profond/plus riche. Mais comme je dois aux garçons de Niandra Lades de mémoire un peu mieux que des rigolades et des camaraderies de camion, comme le leader/songwriter Alexandre Costa est capable en quarante-sept secondes de conversation sur un trottoir de te convaincre d’aller t’ébahir devant les œuvres de Pius Fox, comme je sais qu’il se donne beaucoup trop de mal pour avoir l’air plus bête qu’il ne l’est, je joue chacun de leurs disques, all in, chaque fois, car c’est peut-être – enfin – le bon. Celui qui les dépasse. Celui qui ne tient pas dans un dossier de presse.
Et You Drive my Mind sort. Et j’applique la méthode dite du soin : casque, pérégrinations. Et j’entends les détails d’abord, et j’entends les chansons enfin, et j’entends enfin appliqué à Niandra Lades l’axiome : les chansons ont toujours raison.
Ne pas se laisser décourager par les premières secondes musculeuses de l’ouverture de ce disque : le lecteur de Section 26 peut d’abord filer en deuxième piste, chanson-titre, ça tombe bien, ça commence avec une batterie dite « inoffensive », puis les couleurs défilent, un peu de Cure là, un peu de Jay Mascis sans guitare ici – sans guitare, entendons-nous : sans tralala – puis advient ce qui arrive si rarement – on accroche une main amie. On entend une chanson. Ce n’est pas la fête, c’est Robert Smith à la campagne et sans maquillage, ou son cousin inconnu, qui chante comme s’il ne pouvait évidemment pas chanter autrement, les claviers hurlent à la grosse ambiance, aucun t-shirt fluo sur scène ni dans les armoires, juste des Vans, des amplis qui s’élèvent plus haut que la tête, et une passion pour ce qui s’énonce clairement en trois minutes, et est bien conçu.
Et donc cette émotion rare mais sublime : les amis qui toquent enfin, des années plus tard, à la porte de ta collection de disques précieux, et à qui tu ouvres bien volontiers.
Ensuite, The Same Boat, vade-mecum de chiaderie de détails qui ne perd pas l’essentiel – la même chose, toujours – faut-il encore le répéter ? une chanson.
Parce que le décor, de plus en plus maîtrisé, affiné, épuré, demeure celui d’une indie américaine (surtout) des années 1990 et suivantes avec des bouts de new-wave et des bouts de Canada d’après le rock, le disque avance masqué, connotations, chronique en p. 137 du numéro de New Noise (Mike Patton en couverture), et on pourrait oublier de l’écouter comme on oublie des montagnes de disques – il en sort autant que des livres – il en sort autant que des bandes dessinées – pourquoi en sortir un ? – pourquoi se le procurer ?
Parce que Where Is your Smile n’attend personne et surtout pas Kevin Shields – c’est conscient, et c’est beau, et c’est mis en son : plan-séquence, focale fixe, plan fixe, pourtant le monde s’écoule dans ce petit moment – Niandra Lades accepte le single et le clip.
Parce que Malvo est ce truc craché qui ne sonne pas comme – mais qui a la même intensité que – Interpol à Saint-Malo en 2001 – qui ne comprend pas n’y était pas.
Parce que les mid-tempo à la croche, qui ne devraient jamais être des gros mots mais des #Untitled W / Bass.
Parce que ça ne sonne pas enregistré sur mon huit-pistes, ni sur Protools : ça sonne comme un disque. C’est si rare.
Alors oui, il y a l’accent anglais des Combrailles, un peu, parfois, comme sur It’s Time, dont la fin donne soif tellement elle est bien et tellement elle est bien amenée, et tellement elle nous est offerte. On a le droit de préférer ça à un accent parfait sur des chansons en carton. On a le droit, vraiment, de s’en foutre.
On a tous les droits, on a les chansons.