Naima Bock, Giant Palm (Sub Pop)

Naima BockEn voilà un qui a pointé le bout de son nez à la dérobée : on cuisinait, ce qui occupe la plupart du temps, et un algorithme d’après-disque a glissé la chanson Working, et malgré un timbre de voix, un calme, une atmosphère, un composé de discrétion, on s’est regardé frappé d’évidence, on a lancé la première plage d’un disque – écouté deux fois à sa sortie d’une oreille très certainement très distraite –, on a plongé sans délai, et depuis Naima Bock et son premier album Giant Palm enchantent le début d’année.

Et le meilleur : ce disque aurait trente ou quarante ans au lieu d’un, on le trouverait aussi formidable.

Naima Bock
Naima Bock

Bock a d’abord fait partie de la merveille londonienne Goat Girl, premier line-up, qu’elle a quitté en bons termes à la suite de la sortie de leur premier album, ne supportant pas le bazar de ce qui accompagne la musique, la promotion, les tournées, trente arrachements par jour de barnum et la déréalisation massive qui s’ensuit – pour elle – elle a donc repris études et chantiers d’archéologie, et la randonnée – convaincue que la musique demeurerait une part de sa vie, mais pas sa carrière, et pas dans un groupe.

Elle avait des chansons, elle a continué d’en écrire.

Seule, un peu seule, elle joue et rencontre un autre esseulé – en rupture de groupe (Viewfinder), Joel Burton souhaite jouer du jazz, pas de l’indie à guitare, il étudie la composition et l’orchestration, les panneaux grand ouverts du minimalisme à l’improvisation libre. L’évidence : créer ensemble, au-delà de la facile dialectique. L’une donne les chansons, nourries de folk anglais, l’autre les arrangements, et les circonstances pandémiques font que le travail peut s’étendre sans se disperser, jusqu’à réaliser un enregistrement en neuf jours de studio préparés avec le plus grand soin – une trentaine de musiciens participent, un effectif pléthorique puisant parmi les condisciples de Burton et, proche de Bock, le collectif caroline – responsable de l’un des meilleurs disques anglais de ces dernières années pour qui aime la chose folk et la chose post-rock, et pas bien les lieux communs.

Les chansons : tiennent la route et le volant, à l’os, timbre de voix un peu voilé, luminescence complète. On cause de mort et de perte, et de magie ordinaire donc – la magie est apparition/disparition, affaire sérieuse – cf. Toll, surligné par un clip aux allusions jodorowskiennes – les chapeaux ! Du sérieux donc, mais qui rigole et qui sourit – on sourit beaucoup malgré tout chez Naima Bock – c’est la sagesse, peut-être. Les mélodies se trimballent dans les interstices signalés plus haut et défrichés par les géants des années 1960-1970 que l’on n’en peut plus de rappeler – Steeleye Span, Fairport Convention, Pentangle.

Les arrangements : chambristes, au sens – la version réduite pour orchestre de chambre de Das Lied von der Erde de Mahler par Schönberg, tout aussi tonaux, tout aussi chromatiques, déployant la même science des timbres – électroniques, acoustiques. Une autre piste, citée : l’aspect semi-brut et pourtant dense, profond, organique du Construçao de Chico Buarque. On est loin de la décoration comme de la citation : Bock a envisagé de cosigner le disque avec Burton. Toll, encore : la fin bruisse de ce qui, sur les brisées de la chanson et de sa mélodie, continue leurs vies. C’est subtil, puissant, à potentiel frissonnant.

Derrière, Every Morning fait duetter Bock avec un chœur de clones de Brian Eno sur une guitare acoustique, désespoir au fond des bottes avant que, eh bien, ne spoilons pas, mais un sifflotement, et pourtant, oui, l’apesanteur, l’air, les harmonies pas pompées dans un tutoriel YouTube, pas ostensibles – on songe pour le soin à Lambchop quand Lambchop s’applique, même si les musiques ne sont pas comparables – mais l’esprit, l’exigence, quelque part, sont les mêmes.

Dim Dum, vieille composition, représente précisément ce qu’Eno ne représente plus, une prière berlinoise, l’électronique coupée dans sa matière, les organes déchirés, par des traits acoustiques jusqu’à ce que les archets meurent, puis : Working, donc. Chanson à deux accords, à la mélodie subtile, impossible, brossée ultérieurement d’une rythmique rétro, “à la” années 1990 – ben oui – Björk circa Post, et en bien en plus – elle arrête l’attention, comme signalé précédemment, et demeure un relief avant Natural, plus acoustique, plus évidente mélodiquement – pas moins émouvante, seulement d’une façon plus attendue.

Ce que Campervan n’est pas – attendue – un impossible single de plus de cinq minutes avec un réel silence, des changements de mesure, et Carla Bley au volant du van du clip, peut-être – il y a comme une euphorie dans la douceur à s’en prendre autant dans la figure, une opulence qui n’empêche pas la retenue – écrire des chansons pareilles, et jouer derrière Enter the House pour s’échauffer le cœur – le rôle de la beauté – puis Instrumental, comme son titre l’indique, qui ne parvient pas, malgré son argument ténu, à se cantonner dans l’anecdote – on aurait bien aimé entendre des anecdotes pareilles en fond de celles de Take No Prisonners, disons – il faut bien ça avant de conclure avec une version à l’os électronique du O Morro de la paire Jobim/Vinicius – le père de Bock est brésilien, ce qui n’explique pas grand-chose mais en permet peut-être.

Giant Palm ouvre le disque auquel elle donne son titre, fausse piste folktronica, grande piste à quarante-huit pistes qui donnent le ton – en piste deux il y a Toll, dont je vous ai peut-être déjà parlé, qui dès la deuxième écoute, puis à la troisième, quatrième, voyons, on compte sur ses doigts pour être sûr de bien tout entendre – c’est impossible – on se perd – alors on laisse passer en regardant, en écoutant, lové dans de calmes méandres, une intensité sans pathos, sans esbrouffe – on se laisse gagner.


Giant Palm par Naima Bock est disponible sur le label Sub Pop.

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