C’est une sensation un peu bizarre. À chaque fois que je rentre là, par la porte qui donne sur le parvis. Dix mètres dans la pénombre, et elle me saute aux yeux, cette affiche taille XL qui orne l’un des murs de la Petite Coopé, l’une des deux salles – celle-ci fait aussi office de bar – de la fameuse Coopérative de Mai, née il y a 21 ans presque jour pour jour et devenue l’un des lieux emblématiques du Clermont-Ferrand qui rocke, folke, danse, rappe et bien plus si affinités. C’est une couverture de la RPM, une couverture de l’année 2010 où à l’occasion de la sortie du premier album de Mustang, A71 – une autoroute de circonstance pour le trio clermontois alors monté à Paris –, la rédaction du magazine avait pensé à cette rencontre qui semblait tomber sous le sens entre deux amoureux de rock – dans son sens le plus large possible – et de langue française : d’un côté, le chanteur, guitariste, auteur et compositeur en chef Jean Felzine, qui affichait alors 21 printemps, et de l’autre, Daniel Darc, artiste cabossé ressuscité depuis la parution du miraculeux Crèvecœur en 2004…
Depuis, pour eux (et pour moi, un peu aussi), il s’en est passé des choses. Pas exactement celles qu’on avait prédites. Certes, un succès critique au rendez-vous et un paquet de chansons qui auraient dû devenir des hits – mais n’en sont jamais devenues – ont rythmé le parcours d’un groupe insaisissable s’amusant à se jouer des étiquettes pour mieux leur tordre le cou, descendants illégitimes de Suicide et Polnareff, Christophe et Elvis, Can et Gainsbourg – pour faire court, si tant est qu’on puisse faire court avec Mustang… Trois albums en quatre ans, un bel EP de reprises et puis, le rythme a baissé d’un pied. La faute à la lassitude liée à une certaine incompréhension ? Non. Les projets de l’hyperactif Felzine – en solo, en duo avec Jo Wedin, tapi dans l’ombre pour d’autres interprètes – en sont sans doute l’une des raisons principales. Mais contrairement aux apparences, le groupe n’a jamais cessé ses activités – en ont témoigné l’excellent EP Karaboudjan et une tournée anglaise en première partie de Blondie qui ont rythmé l’année 2017. Il n’empêche. Le 19 mars prochain, Memento Mori verra le jour sept ans après son prédécesseur Écran Total. Un album enregistré par ci et par là, avec parfois les moyens du bord mais surtout fort de ce qui me semble être parmi les meilleures chansons jamais imaginées par Mustang.
Avec un titre en guise déclaration d’intention (“Souviens-toi que tu vas mourir” pour ceux qui ont refusé de prendre l’option latin au collège et lycée), ce disque se dévoile comme le plus abouti (et aussi le dernier enregistré par le trio originel, puisque le batteur Rémi Faure a quitté l’aventure, remplacé par Nicolas Musset pour les concerts à venir et l’avenir) d’un groupe écartelé dorénavant entre Clermont (le bassiste Johan Gentile est rentré au bercail) et Montreuil. Armé de la plume de Felzine toujours aussi acérée (dans un milieu où l’hypocrisie va de soi, il en faut pour signer un texte aussi juste que Fils de Machin) et caustique (Dissident, en écho à L’Opportuniste de Dutronc), le groupe signe des chansons qui dans un monde plus juste devraient le porter au firmament – Loyal Et Honnête en ouverture, avec sa mélodie qui colle aux tympans et son rythme qui donne des envies de vivre jusqu’au bout de la nuit – et confirme chez moi cette idée saugrenue d’une filiation avec Orange Juice (je sais, c’est comme une lubie, apparue au détour d’un concert du trio à la Coopé). Peut-être parce qu’il me semble qu’Edwyn Collins et Jean Felzine partagent un certain amour pour les guitares demi-caisse, portent haut la gomina, ont la mémoire longue et un intérêt pour l’histoire (de la musique) et aiment plus que tout se déjouer des codes – Collins, dès la fin des années 1970, affichait l’ambition de marier le Velvet Underground et Chic… Sur la scène de la salle clermontoise qui a toujours cru fermement dans l’incroyable talent de Mustang, le groupe a répondu à quelques questions même pas triées sur le volet, après avoir joué plusieurs morceaux de cet album dont on a le pressentiment qu’il est comme à quitte ou double… Et c’est peut-être justement à ce moment précis que Jean Felzine et ses compères vont enfin finir par rafler la mise.