Dans le cas Dinosaur Jr., il y a ce que l’on sait, ce que l’on a entendu mais qu’il ne faut pas répéter (il est des choses qu’il vaut mieux conserver dans la sphère privée et merci bien), quelques légendes urbaines* qui n’entacheront jamais, au grand jamais, notre amour absolu pour l’un des groupes américains parmi les plus importants (voire nécessaire) de ces quarante dernières années. Ce documentaire assez complet n’aborde néanmoins qu’en filigrane les sujets qui fâchent, et tant mieux. La stature des trois compères y trouve enfin sa juste mesure, celle d’un groupe à la croisée des chemins. Car tout commence par la rencontre, au début des 80s de trois très jeunes nerds au front (souvent bas) du hardcore.
J Mascis, Lou Barlow et Murph sont les seuls dans leur environnement direct à avoir une foi absolue dans ce punk américain véloce et politisé. Ils forment l’éphémère Deep Wound, qui paie son écot au genre mais va rapidement se démarquer de la ligne directrice souvent obtuse du politburo. Trop intelligents, trop isolés surement dans leur fief d’Amherst, Massachusetts, les trois gandins vont rapidement revoir leur scansion à la baisse, prendre en compte les disques de Neil Young et de The Cure qu’ils écoutent aussi, et ne conserver du genre qu’une radicalité totale au niveau du son, ou du volume sonore pour être tout à fait exact. Repérés par Homestead puis SST, ils rejoignent la cohorte de ces autres groupes fondamentaux qui dépassent un style pour se consacrer à la grandeur de la musique enregistrée au vingtième siècle (Hüsker Dü, Minutemen, Sonic Youth) tout en profitant de la dynamique du hardcore qui créera son propre circuit, damant le chemin pour les réussites et les drames à venir – comprendre Nirvana.
Si les trois premiers albums (sortis entre 1985 et 1988) sont désormais et à juste titre considérés comme des classiques, il faut surtout imaginer la sidération des témoins de l’époque devant ce son toxique et massif, n’empêchant jamais des chansons sensibles et grandioses. Kevin Shields (qui ne cachera jamais l’influence décisive du groupe sur My Bloody Valentine), Sonic Boom (Spacemen 3), les membres de Sonic Youth (dont une Kim Gordon aussi maternelle qu’implosive) mais aussi Matt Dillon ou encore Frank Black ne se tarissent pas d’éloges sur la véritable révélation qu’a constitué la déflagration scénique du groupe naguère.
Le documentaire s’enlise alors un peu, après l’éviction de Lou Barlow**, dans une chronologie qui, bien qu’ayant toujours donné de bons disques, constituerait un cas d’école à étudier plus précisément, celle des groupes qui, portés par le succès du « grunge » se trouvèrent fort dépourvus lorsque la bise enfarinée de la Britpop (ou des exécrables suiveurs et autres suceurs de roue) fut venue.
Heureusement, vers 2005, la formation originelle se retrouve, panse ses plaies (il y avait pourtant une sacré dose de pus à drainer) et constate comme nous que cette famille dysfonctionnelle est plus importante que ses divisions, que l’eau a coulé sous les ponts et qu’il est temps de se remettre au travail. Cinq albums en font foi depuis 2007, aucun n’étant négligeable au regard des splendeurs passées. Et je défie quiconque de trouver ça plan-plan sur scène, l’incroyable alchimie de ces trois personnes (et précisément ces trois personnes, c’est là le vrai sujet de ce documentaire***) ravissant toujours les cœurs et les tympans – ou ce qu’il en reste – d’un public fidèle bien au delà de la nostalgie. Et parmi eux, souvent voire toujours il y a l’ineffable Martial Jay Solis, par ailleurs taulier de l’excellent magasin Total Heaven qui, pour la joie des Bordelais, introduira la séance avec le brio et le sens de la répartie que l’on imagine, voire avec deux-trois galéjades de bon aloi, nous plaçons en lui notre entière confiance. Il se murmure même qu’une petite sauterie à l’issue du documentaire le verra affronter aux platines le non moins excellent Hervé Bourhis, dessinateur de renom qui compte aussi parmi les plus grands fans du groupe. CE groupe un peu plus qu’ important, vous l’aurez compris.
* Dont ma préférée, la liaison amoureuse à un âge pré-nubile entre J Mascis et… Uma Thurman. Avoue que ça te la coupe. ** Dont les plus férus d’entre vous connaissent les détails un peu sales ou sinon les trouveront dans l’indispensable lecture de Our Band Could Be Your Life de Michael Azzerad (2001, traduction française au cul du Camion Blanc) *** Un numéro spécial de Capital sur la gestion de la marque Dinosaur Jr et de ses insoupçonnables produits dérivés (de la mule lilas à la planche de skate en passant par les guitares signature chez Fender) par J Mascis serait dans les tuyaux, à confirmer néanmoins…