Qui aurait cru qu’aussi tôt dans sa carrière, Molly Burch allait sortir un album où les synthés et les rythmes électroniques bouleverseraient un univers dont elle posait encore les fondations ? Avec le single Emotion composé avec Wild Nothing, on sentait pointer une envie de changement de cap. Romantic Image nous le confirme avec onze titres flirtant avec l’indie et la pop grand public. Impossible de ne pas reconnaître certaines marottes de Molly Burch, Ariana Grande en tête. Sa reprise de Needy aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Romantic Image, s’il paraît plus léger en surface, n’est en aucun cas un album superficiel surfant sur quelque vague que ce soit. La personnalité de Molly Burch y est toujours présente ainsi que son talent incontestable de songwriter. S’il est sans aucun doute un album de transition, il ne faut pas oublier que Romantic Image est également un album expérimental. Molly Burch est partie à la découverte d’un nouveau style en modifiant radicalement ses techniques de travail et son approche vocale. En préférant ne pas choisir entre la légèreté et le classicisme, Molly Burch apporte une profondeur qui aurait pu faire défaut à l’album si elle avait opté pour un virage à 180 degrés. Avec Romantic Image, Molly Burch s’affirme en tant qu’artiste ambitieuse avec une forte vision. Elle nous explique dans cet entretien comment ce long processus s’est matérialisé avec ce nouvel album malgré des périodes de doutes et de dépression. Si ces passages à vide permettent d’aboutir à des disques comme Romantic Image, on espère secrètement que Molly Burch ne va pas aller mieux du jour au lendemain.
Quels sont les évènements qui ont entraîné l’orientation musicale de Romantic Images par rapport à tes albums précédents ?
J’avais cette idée de changement en tête depuis un moment. Ça a commencé à se concrétiser lorsque j’ai enregistré un album de reprises de Noël en 2019. Je me suis laissée aller en studio, surtout avec ma voix. Sans doute parce qu’aucune chanson n’était de moi. Je me suis servie de cette énergie pour écrire Romantic Image. La musique pop m’a toujours fascinée et je tenais à explorer ce territoire. J’ai dû écrire différemment. Principalement sur des synthés et des drum pads. Cette évolution vers la pop m’a fait le plus grand bien. J’ai aimé faire quelque chose de différent. C’était proche de l’expérimentation.
Tu avais déjà essayé une nouvelle approche avec ta reprise de Needy d’Ariana Grande. Cette reprise a-t-elle également déclenché quelque chose en toi ?
Oui. Je l’ai enregistré à l’occasion de ma première tournée en tête d’affiche aux États-Unis. C’était juste après la sortie de l’album de Noël. J’ai beaucoup joué ce morceau en concert pour tester la réaction de mes fans. Je voulais savoir s’ils seraient prêts à accepter un changement de direction. Leur réaction a été positive, ça n’a fait que me conforter dans ma prise de décision.
Tu as toujours aimé la pop. Si ce n’était pas ton influence principale, cela s’entendait tout de même dans ta musique. Comment as-tu vécu la perception des médias envers ta musique jusqu’à aujourd’hui ? Ils parlaient souvent de toi en évoquant des termes comme rétro ou jazz.
Ça ne m’a pas dérangé. J’ai étudié le jazz, principalement sa performance vocale. Je suis une énorme fan de ce que l’on appelle les sons classiques. Mes albums précédents sont éloignés de la pop, mais on peut y remarquer que j’aime les refrains et les mélodies qui accrochent l’auditeur. Mais c’est principalement au niveau de ma voix que l’on pouvait trouver quelques indices. A travers elle on devinait déjà que j’étais influencée à la fois par la pop et des musiques plus classiques.
On retrouve le single Emotion sur l’album. Ce dernier est le résultat d’une collaboration avec Wild Nothing. Avais-tu initialement l’idée d’enregistrer tout un album avec lui ?
Dès le départ nous savions que nous n’allions collaborer que sur un seul titre. C’est pour cette raison qu’il a été publié avant même que l’album soit annoncé. A l’époque, je ne savais pas avec qui j’allais collaborer sur Romantic Image. Nous avons travaillé sur Emotion en février 2020. J’ai pris l’avion pour rejoindre Jack chez lui, et nous avons commencé à composer. J’avais envie d’expérimenter. C’était la personne idéale pour ça. Nous partageons le même label et nous nous étions déjà rencontrés. Je ne le lui ai jamais dit, mais je suis fan du son de Wild Nothing. Nous avons dû finir le titre à distance pendant la quarantaine, en faisant des allers retours de fichiers.
Trouver les bons collaborateurs pour l’album a-t-il été difficile ?
Oui. J’ai tourné avec le groupe Tennis en février 2020. L’idée initiale était que je profite d’un break pendant la tournée pour réfléchir à qui pourrait produire l’album. J’avais des rendez-vous de planifiés en mars 2020 à Los Angeles pour rencontrer des candidats potentiels. Tout a été chamboulé car une semaine et demie après le début de la tournée, nous avons été contraints de rentrer à la maison à cause de la pandémie. S’en est suivie une grosse période de confusion. Le plus simple aurait été de trouver quelqu’un sur Austin, où j’habite. Mais je n’en avais aucune envie. Je voulais casser mes habitudes. J’ai appelé Alaina de Tennis pour lui demander des conseils. Elle m’a proposé de venir à Denver car elle et Patrick adoraient l’idée de travailler avec moi. C’était inattendu mais ça m’a rendu tellement heureuse.
Qu’ont-ils apporté à l’album ?
Principalement une compréhension parfaite de mes idées et une aide précieuse pour arriver à les concrétiser. Je leur avais envoyé mes maquettes et le single Emotion. Je ne voulais pas que l’album soit aussi pop qu’Emotion. Par contre, il fallait que les autres titres permettent à ce single d’être bien intégré dans l’album. Alaina et Patrick sont doués pour mixer de la pop et de la musique indie ensemble et le faire sonner impeccablement. Ils ont tous les deux joué sur le disque. C’était vraiment une super expérience. En plus, j’ai adoré travailler avec une femme en studio pour la première fois.
Ce disque donne l’impression que tu t’affirmes en tant qu’artiste, quitte à décevoir tes fans. Est-ce vrai ?
Je n’ai jamais pris autant de plaisir à écrire et enregistrer un album. Mon premier disque a été écrit sur plusieurs années alors que je n’avais même pas de maison de disque. Il est très organique. Le second a été source d’anxiétés. J’avais trop conscience que l’on attendait quelque chose de moi. The Christmas Album m’a libérée de cette pression. Il m’a prouvé que je pouvais faire quelque chose de fun et différent. J’ai été surprise de constater à quel point Romantic Image m’est venu naturellement. C’est sans doute parce que j’ai cinq années d’expérience derrière moi. En ce sens, oui je me suis affirmée.
Tu es une chanteuse de formation. Pourquoi avoir décidé il y a cinq ans de te mettre à l’écriture de chansons ?
J’ai commencé un peu avant, lorsque j’ai emménagé à Austin au Texas. Je venais juste de finir la fac. Avant ça j’étais persuadée de ne pas avoir de talent. J’avais l’impression d’être une ratée. C’est pour cette raison que j’ai passé des années à ne chanter que des reprises. J’aimais chanter car il m’était plus simple de m’identifier en tant que chanteuse. Je n’avais pas vraiment de plan de carrière. Et puis je me suis retrouvée seule à Austin. Je ne connaissais personne. J’ai essayé de trouver un moyen pour vivre de la musique. Composer était l’une des pistes à exploiter. J’ai fini par m’y mettre. Le process a été long car je manque de confiance en moi. C’est toujours un peu le cas aujourd’hui. J’ai l’impression de vivre une lutte permanente. Pourtant je vais sortir mon troisième album et j’ai donné une énorme quantité de concerts.
Après l’écriture, la prochaine étape pourrait être de t’occuper de la production de tes albums. En aurais-tu envie ?
Non. Je préfère continuer à améliorer le son de ma musique et à la faire évoluer avec d’autres. Je ne suis pas tournée vers la technique. Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe en studio d’enregistrement. Je veux me reposer sur un producteur pour qu’il s’adapte à ma vision.
Ton chant n’est pas comparable à celui de tes albums précédents. Quelle approche as-tu voulu avoir pour Romantic Image ?
Jusqu’à ce jour je me sentais plus à l’aise dans un registre vocal plutôt bas. Pour Romantic Image, j’ai voulu sortir de cette zone de confort. J’ai souhaité que ma voix soit plus présente, qu’elle domine. C’est pour ça que je m’en suis donnée à cœur joie sur les refrains. Ça collait parfaitement à un cadre pop. J’ai eu l’impression d’expérimenter. C’était une prise de risques.
Le contact de tes fans et les tournées ne t’ont-ils pas trop manqué pendant la conception de l’album ?
J’ai eu la chance de rester très active pendant la pandémie grâce à la conception de Romantic Image. Mais le public et les concerts m’ont manqué. Au début, j’étais contente de faire une pause car la vie en tournée n’est pas toujours facile. Il y a beaucoup d’interactions avec des gens de l’industrie musicale et c’est parfois pesant. Mais rapidement, se retrouver seule et coupée de tout s’est révélé être brutal. Heureusement, j’ai passé beaucoup de temps en studio. C’est une partie du métier que j’adore. Mais je n’ai qu’une envie, repartir en tournée, principalement en Europe. Paris est ma ville préférée au monde. L’atmosphère de cette ville est unique.
Être créative pendant cette période a-t-il été compliqué ?
Je n’ai quasiment rien composé. Les premiers jours ont été les plus difficiles. Les idées noires m’envahissaient. J’avais des crises d’angoisse. L’incertitude quant à notre futur était difficile à supporter. Heureusement, les chansons de Romantic Image étaient déjà toutes composées. Ça m’a donné un but : les enregistrer. Heureusement car je n’avais qu’une envie : regarder des films en noir et blanc à la télé pour me couper de tout le monde. Je commence à peine à écrire de nouveaux titres. C’est seulement parce que j’ai l’impression que les choses s’arrangent dans le monde. Il y a encore quelques semaines, ma dépression n’aurait engendré que des chansons tristes, et c’est l’opposé de ce que je souhaite.
As-tu besoin d’un cadre particulier pour composer ?
Je déteste écrire en tournée. Il faut que je sois à la maison, au calme. J’attends que l’on me fixe une dead line, sinon je n’y arrive pas.
Ton changement de style musical s’accompagne d’un changement de look. Pourrais-tu nous en dire plus ?
Il n’a pas de grande stratégie derrière tout ça. Le changement d’image a été progressif. J’avais déjà teint mes cheveux en blond avant l’enregistrement. Sur la dernière tournée j’ai commencé à porter des vêtements qu’une amie a créés pour moi. Ce sont des robes un peu Baby Doll, avec de la mousseline. Je voulais prolonger l’expérience dans le cadre de l’album pour créer une imagerie. J’aime l’idée de changer de look régulièrement.
Quelles sont tes idoles pop ?
Quand j’étais plus jeune, c’était Christina Aguilera, Mariah Carey et Britney Spears. Je suis toujours obsédée par la voix et le style de Mariah Carey. Pendant la conception de l’album, j’ai beaucoup écouté Dua Lipa, Doja Cat et Ariana Grande. Je surveille toute les semaines la rubrique New Music Friday sur Spotify. J’ai besoin de savoir ce qui se passe musicalement dans le monde de la pop. Bien plus que pour l’indie. Je veux être abreuvée de musique qui me rend heureuse. C’est ce que j’ai essayé de faire avec Romantic Image, offrir du bonheur aux gens.
Romantic Image, le nouvel Album de Molly Burch est disponible sur son Bandcamp.