Al Jourgensen, tête pensante de Ministry est un sacré numéro. À plus d’une reprise, il a mis au ban le tout premier album de son groupe : With Sympathy. Il fut un temps où le musicien refusait même de signer les exemplaires que ses fans lui apportaient, à moins de lui donner 1000$. Publié en 1983 sur la major Arista, l’album n’est pourtant pas ce vilain petit canard duquel nous devons absolument détourner le regard. Pour certains, il s’agirait même du meilleur album de sa carrière. Sans forcément aller jusque là (quoique…), reconnaissons à ce With Sympathy de vraies qualités, mais revenons un peu plus en détail sur sa genèse.
En 1983, Ministry est alors un duo formé d’Al Jourgensen et du batteur Stephen « Stevo » George. Le groupe existe depuis deux ans et a publié un maxi 45 tours sur le label indépendant de Chicago, dont est originaire le groupe, Wax Trax! Records. Cet EP comprend les morceaux I’m falling et Primental en face A, tandis que la face B est occupée par Cold Life. Cette dernière devient rapidement un tube underground et trouve son chemin jusqu’en Angleterre. Le label Situation Two, une des nombreuses structures (4AD, XL Recordings etc.) montées par des salariés de Beggars Banquet, prend en effet le morceau en licence et le compile par la suite sur l’excellente Sex Sweat & Blood (1982). Le succès de Cold Life doit certainement à son dosage impeccable entre post-punk et dance-music. Comme ESG ou Liquid Liquid, Ministry a un pied sur le dancefloor et l’autre dans les salles de concerts où jouent Joy Division et Killing Joke. Le mythique producteur Clive Davis, à la tête d’Arista Records (Aretha Franklin, Eric Carmen, Dionne Warwick etc.), ne reste pas insensible à cette étonnante performance et signe donc Ministry. Le groupe est envoyé en studio avec Ian Taylor et Vince Ely, batteur des Psychedelic Furs.
Si With Sympathy n’étonnera pas au vu du contexte, il surprend certainement pour les habitués du son industriel et metal de Ministry. L’album est une plongée décomplexée dans les années 80 britanniques, celles de Depeche Mode, Spandau Ballet ou Human League. Synth-pop et New Romantic, Al Jourgensen pousse le curseur, jusqu’à imiter l’accent anglais. Si les versions diffèrent sur les choix esthétiques de With Sympathy, le résultat n’est pas catastrophique, loin s’en faut. L’excellence de la face A ne laisse pas indifférent. Ministry enchaîne quatre remarquables compositions. Effigy et Revenge posent très sérieusement le décor. Nous ne sommes pas là pour rigoler, et Ministry se montre très à l’aise dans ce registre synthétique et sombre. Les corbeaux apprécieront… I wanted to Tell Her et Work for love reprennent quant à elles la suite de Cold Fact. Ce sont deux absolues réussites de ce disque. La première est une épopée funky dubby à la production impeccable tandis que la seconde imagine la rencontre entre Prince et The Cure. Ministry fait preuve sur ces quatre titres d’un sacré flair pour les bonnes chansons pop. Cela situe déjà ce disque au-delà d’un simple exercice de style. La suite est malheureusement un peu plus monotone et peine à autant convaincre jusqu’à l’excellente She’s got a Cause qui conclue brillamment l’album. Nous retiendrons aussi de cette seconde moitié la curieuse (et plutôt réussie) incursion freestyle/electro-funk What He Say.
L’ambivalence de son créateur n’a certainement pas aidé la réputation de With Sympathy, pourtant cet album a du chien et bien plus à offrir que sa primeur. Ministry est beaucoup plus à l’aise que prévu dans ce registre début 80 et peut, sans honte, se mesurer à ses contemporains de l’autre coté de l’Atlantique. With Sympathy est certes inégal mais brille d’un feu particulier dans ses meilleurs moments. L’expérience Arista traumatisera Al Jourgensen, et ce dernier rebondira plus tard chez Sire en quête de ce son industriel qui fera sa renommée mondiale.