Depuis maintenant une petite dizaine d’années, l’impeccable série Recollection GRM du label Mego permet de rendre accessible les archives impressionnantes du Groupe de Recherches Musicales. Fondé par Pierre Schaeffer en 1958, ce centre de recherche a contribué de façon majeure au développement des musiques électro-acoustiques (via notamment l’invention/théorisation de la musique concrète, ou de la musique dite acousmatique), et en accueillant en son sein des figures aussi importantes que celles de Pierre Henry, Éliane Radigue, Luc Ferrari, Bernard Parmegiani ou encore François Bayle, par exemple. Avec la parution récente de ces deux pièces de Michèle Bokanowski, Rhapsodia et Battements solaires, c’est ainsi l’occasion de découvrir ou redécouvrir le travail d’une figure plus contemporaine du groupe, aux côtés de celles des « grands » pionniers et « grandes » pionnières évoqués à l’instant.
Conçues à 10 ans de distance – 2008 pour Battements solaires et 2018 pour Rhapsodia – les deux compositions permettent en effet d’aborder ce qu’il en serait d’une certaine actualité de l’expérimentation électro-acoustique. Michèle Bokanowski, ancienne élève de Michel Puig et d’Éliane Radigue, propose un travail sur la boucle et le montage de sons concrets qui s’inscrit dans la continuité de cette fameuse pratique du « sillon fermé » inventée par Pierre Schaeffer. Une approche qui a pu consacrer certains des principaux items de la production électronique : la répétition, l’échantillonnage ou le collage de sons. Et à laquelle participe ici Michèle Bokanowski de manière particulièrement fascinante : dans Rhapsodia, qui mêle technique de bouclage et travail sur les cordes et textures atmosphériques, c’est un superbe exercice autour des densités qui nous est proposé. François Bonnet, compositeur (Kassel Jaeger) et actuel directeur du GRM, l’explique dans la notice qui accompagne le disque : « L’art de Michèle Bokanowski est celui des densités, comme la densité d’une couleur, ou d’une certaine profondeur. Ses textures sonores sont en effet profondes, tant par l’espace occupé par leurs fréquences que par la trace temporelle qu’elles laissent derrière elles. C’est sur ce point que réside l’immense talent de la compositrice, en ce qu’elle permet à chaque son de se déployer avant d’être modifié, (…) quitte à revenir parfois à la forme la plus basique, comme une boucle. » L’autre pièce du disque, Battements solaires, composée pour accompagner un film de son compagnon Patrick Bokanowski, participe aussi de cette recherche de la profondeur, du déploiement et de l’étirement du matériau sonore – et nous pensons ici évidemment à Éliane Radigue. Les territoires explorés relèvent donc d’une inspiration et visée communes, malgré une certaine différence d’approche et de dispositif. Mais surtout, une inspiration et une visée qui frappent par leur beauté et radicalité. Un disque exceptionnel.