Meyverlin : « On est sortis de notre zone de confort »

Meyverlin / Photo : D. Hamilton
Meyverlin / Photo : Maud Platiau-Bourret

Meyverlin est de retour avec un deuxième album, Therefore, sorti sur le label Too Good  To Be True. Notre précédente rencontre datait de la fin de l’année 2021 suite à la sortie de Daily Events. Ce petit miracle de pop était né de la fusion entre trois mondes musicaux a priori très éloignés, d’un trait d’union habilement dessiné entre trois régions du globe (Paris, Lexington et Auxerre). La spontanéité, le côté récréatif et une complicité autant artistique qu’amicale furent les éléments fondateurs, un cahier des charges implicite du premier album de ce trio pas comme les autres. Les chansons avaient été écrites et composées dans une sorte d’urgence, sans véritable plan préconçu ni arrière-pensée. Trois ans plus tard, on a retrouvé Philippe Lavergne (Les Freluquets, Qu4tre, Herzfeld, Bassmati…), Thierry Haliniak (My Raining Stars) et Gilles Ramey à Paris pour qu’ils nous racontent la genèse de ce nouvel album sorti au printemps dernier.

On aurait pu imaginer que la période Covid avec son lot de restrictions terminées, le retour en France de Philippe et le bénéfice de l’expérience très positive du premier album rendraient les choses plus faciles, plus fluides. Mais les contraintes de la vie en ont décidé autrement. Guidé par une direction musicale moins évidente, moins immédiatement lisible que celle du précédent album, nourries d’influences totalement assumées (comme pour Daily Events) Therefore a peut-être décontenancé certains suiveurs – pour schématiser grossièrement, les inconditionnels de l’indiepop à guitares. S’il est fier du résultat, s’il est loin de renier son orientation clairement dance et électro, le triumvirat Meyverlin reconnaît que l’accouchement de Therefore a été plus long et sans doute plus douloureux. A les écouter, on pourrait presque dire traumatisant. Heureusement pour nous, les romantiques ne meurent jamais.

Interview co-réalisée avec Marianne Vergé

Trois ans se sont écoulés depuis le premier album. Pourquoi autant de temps ?

Philippe
: Au niveau composition, on a été aussi rapide que pour le premier album, trois ou quatre mois, mais la production a pris du temps. Nous sommes très fiers de Daily Events, mais on avait estimé qu’on aurait pu faire mieux au niveau du son. On a décidé de faire appel à quelqu’un qui aurait les connaissances techniques que nous n’avons pas, Rodolphe Vassails, l’ancien batteur des Freluquets avec qui j’avais fait un projet qui s’appelait Bassmati à la fin des années 90. Au départ, on voulait juste faire le single Casanova ensemble, mais le résultat était tellement probant qu’on a fait tout l’album avec lui.  Rodolphe est un passionné du son, mais il fait ça quand il est disponible donc ça nous a pris un an et demi pour finaliser Therefore. C’était indépendant de notre volonté car Thierry et moi, on aime travailler dans l’urgence. Thierry travaille très vite, on le voit avec My Raining Stars, c’est pour ça qu’on aime bien travailler ensemble.

Les démos ressemblaient aux versions finales ou vous avez un peu bifurqué ?

Thierry
: Rodolphe a vraiment marqué l’album de son empreinte. Philippe et moi ne sommes pas d’accord sur tout mais globalement, il a tellement apporté qu’on s’est un peu assis sur ce qui nous plaisait un peu moins. C’était un peu un quatrième membre du groupe. Il s’est beaucoup investi, il a même dormi au studio pour bosser sur certains morceaux.
Philippe : Thierry et moi aurions aimé qu’il y ait plus de guitares sur certains morceaux. Mais le vrai directeur artistique de cet album, c’est Gilles. C’est lui qui a lancé la direction en proposant de faire quelque chose de plus dansant. Thierry a adapté mes démos sur lesquelles il y avait beaucoup de guitares en ajoutant des rythmes « tatapoum ». Mais il y a certaines démos que Rodolphe n’a pas beaucoup changées. Il a bien sûr largement amélioré le son, mais dans l’esprit, ça reste fidèle.
Gilles : La structure était déjà là. Je voulais être en réaction à Daily Events. Je leur ai fait écouter des albums que j’ai adorés depuis 10 ou 15 ans, Matthieu Malon, mais aussi groupe californien qui s’appelle Cannons. C’est de la pop bubble-gum avec un son électro. Rodolphe nous a permis d’assumer ce côté organique et électro. Parfois, on n’était pas toujours sur la même longueur d’onde, on pouvait s’engueuler, mais chaque fois que Rodolphe sortait son mix, il nous mettait d’accord, comme une sorte de juge de paix. J’ai bien aimé les tensions sur cet album même si ça commençait un peu à chauffer, car je sais que le résultat est exactement ce qu’on voulait au départ.

Ça a dû vous bousculer aussi un peu…

Thierry
: Il nous a sortis de notre zone de confort, c’est le moins qu’on puisse dire. Je me suis retrouvé un peu à poil sur certains morceaux ! J’assume totalement le fait de venir des deux premiers albums de Madonna et de toute la scène pop 80’s ! Je n’étais pas sûr de vouloir faire ce type de musique. En même temps, j’avais fait des démos à un moment où j’en avais un peu marre des guitares, que j’avais fait écouter à Gilles. C’est peut-être là qu’il s’est engouffré dans la brèche.

Thierry, c’est peut-être toi qui as été le plus sorti de ta zone de confort, comment l’as-tu vécu ?

Thierry
: Au début, pas très bien ! Je n’ai pas l’habitude que ma voix soit autant mise en avant. Gilles et Philippe m’ont rassuré comme ils ont pu. Rodolphe a corrigé quelques imperfections vocales, quelques fausses notes, des trucs qui font que, même si bien sûr je ne suis pas un grand chanteur, ça tient la route !
Gilles : Je trouve que globalement, cet album représente un changement dans la continuité. On va sûrement dire « On ne sait pas si c’est de la pop ou de l’électro ».
Philippe : Le succès du premier album, la rapidité avec laquelle il s’est vendu nous a surpris. C’était une agréable surprise qu’il y ait autant d’adhésion. Pour Therefore, des radios passent l’album aux Etats Unis, en Angleterre, en Espagne, en Italie etc. J’aurais juste aimé qu’on reconnaisse davantage le travail et les efforts qu’on a fournis. Des choses qui nous paraissent évidentes le sont moins pour les suiveurs.
Thierry : Ils ont sûrement été décontenancés par le manque de guitares, le parti pris électro.

Il y a aussi le fait qu’à l’échelle d’un label comme Too Good To Be True ou d’une façon générale tous les petits labels indépendants, il n’y a pas de service promotion. C’est un peu à tout le monde de se relever les manches quand le temps le permet.

Philippe
: Comme on ne sait pas comment le label fonctionne, on s’attendait peut-être à avoir une meilleure couverture dans la presse. C’est dommage, quand il y a de l’autoproduction française de qualité, que les médias soi-disant spécialisés se contentent de servir la même soupe. Je pense que le label a eu un peu du mal avec la transition de indiepop à dance, il a fallu du temps pour les convaincre. On aime les deux mondes, on écoute les deux en fait. On adore les groupes à guitares, enfin surtout Thierry et moi, mais on aime aussi la dance.
Gilles : Je pense que les fans d’indiepop ne prennent pas l’électro au sérieux, ils trouvent que c’est de la musique pour danser.
Thierry : Il y a quelques ayatollahs de la guitare quand même. Ils préfèrent la vraie indiepop à guitare, même s’ils ont un peu écouté New Order.

Meyverlin / Photo : D. Hamilton
Meyverlin / Photo : Maud Platiau-Bourret

Sur la 2° de couverture du CD, on peut lire « Romantics never die » et « Discipline in chaos »

Gilles : Romantics never die est une réflexion d’un grand ami à moi sur nos relations avec les femmes. J’ai souvent constaté au cours de mon existence que malheureusement, les filles préféraient les connards. Nous, on est des romantiques mais on se comporte un peu comme des salopards. Revelation, c’est une femme qui parle, du désir de l’infidélité. Comme c’est un mec qui chante, on pense que c’est un salopard. Discipline in chaos, c’est une chanson sur ma mère. Quand tu ne vas pas bien, quand c’est le bordel dans ta tête, accepte-le. Philippe voulait qu’on appelle l’album comme ça. J’aime que l’on puisse faire danser les gens en disant des trucs pas très clean.

C’est toute la magie de la pop !

Philippe : Les Pet Shop Boys c’est ça, une chanson comme Rent : « I love you, you pay my rent »
Gilles : Oui mais pour moi les textes doivent rester accessoires.
Thierry : Je ne suis pas super attaché aux paroles non plus, si tu écoutes les paroles de Supersonic d’ Oasis par exemple… je m’en fous, la chanson est tellement géniale !
Philippe : Si tu es français, c’est quand tu commences à comprendre les textes que ça devient important. Je suis fan absolu des Jam et c’est quand j’ai compris les paroles que je me suis dit que j’avais raison d’aimer ce groupe car ça me parle d’un point de vue social, politique, et personnel etc. Ils arrivaient à marier tout ça.

Gilles, certains textes semblent très personnels, y trouve-t-on également une part de fiction ou de fantasme ?

Gilles : C’est un peu de l’autofiction. Ça été un peu déstabilisant car tout ce que je racontais, ça a été vécu et fantasmé en même temps, plus que sur le premier album. Là c’est plus direct. J’ai fait exprès d’accentuer certaines paroles pour que Thierry soit mal à l’aise et que ça se sente dans sa façon de chanter. Sur Revelation, je voulais rendre hommage à Andrew Weatherhall.

Y a-t-il d’autres hommages ou des influences assumées sur cet album ?

Gilles : Je ne remercierai jamais assez Philippe pour ça, on s’est dit « la basse, ce sera Peter Hook et rien d’autre ». On partait sur moins de guitare, plus de basse et des synthés. Je ne voulais pas de guitares à la Slowdive (rire).
Philippe : Comme la batterie c’est son truc, Rodolphe a épuré pour que ce soit le rythme qui mène le morceau, comme dans la soul dont il est fan, et dans la dance. Tout le reste, les guitares, les synthés, c’est du bonus. Ce qui l’intéresse, c’est le rythme et la voix. Il y a eu beaucoup de travail sur les voix.
Thierry : D’ailleurs au bout d’un moment ça commençait à me gaver le Poum Tchak, Poum Tchak, Poum Tchak !
Philippe : On n’a pas une différence d’âge énorme avec Thierry. Je suis fan des Jam, lui est fan d’Oasis. Malgré tout ça, on arrive à faire un front commun qui permet d’enrichir les morceaux. On n’a pas forcément la même vue sur les arrangements, mais à chaque fois, l’un parvient à convaincre l’autre.
Thierry : Par exemple sur Casanova, le synthé que j’avais fait en termes de basse, c’était un petit hommage à Into The Groove de Madonna. Et puis Philippe a ajouté une basse à la Peter Hook.

Philippe et Thierry, vous avez d’autres groupes en parallèle. Quels sont vos prochains projets en dehors de Meyverlin ?

Thierry : Mon prochain album est enregistré et il est entre les mains du label Shelflife depuis quelques mois. Cela ne me dérange pas, il est important de garder un laps de temps entre la sortie du Meyverlin et de My Raining Stars. J’ai aussi un album électro sous le coude. Je demanderai peut-être de l’aide à Philippe pour y ajouter quelques lignes de basse. Il y a toujours un lien entre nous. Même s’ils n’ont pas leur mot à dire sur mes autres projets, je leur demande parfois leur avis sur des compos que je ne destine pas à Meyverlin.
Gilles : je vais peut-être écrire pour d’autres personnes. C’est étrange car quand j’écris, j’ai toujours Thierry et Philippe en tête. Ils restent quoi qu’il arrive ma priorité. 

Philippe, tu as annoncé il y a quelques mois la reformation des Freluquets en vue d’un concert à Paris à la rentrée. Est-ce que l’aventure avec Meyverlin a joué un rôle dans cette dynamique ? 

Philippe : complètement. Sans Meyverlin, je n’aurais jamais pensé à reformer les Freluquets. Nous ne pouvons pas donner de concerts avec Meyverlin et la scène me manque. Je commence à avoir des problèmes de tendinite récurrents, donc c’est maintenant ou jamais. Le déclencheur a également été de voir des vidéos de Miki de Lush jouer au Paris Popfest. Je me suis dit que si la salle était pleine pour quelqu’un issu d’un groupe contemporain des Freluquets, alors pourquoi pas nous ? J’ai repris contact avec des anciens membres du groupe et ils ont sauté sur l’occasion. Nous avons en parallèle la chance que le label Too Good To Be True nous accompagne dans cette reformation en ré-éditant le premier album, La Débauche. Nous corrigeons en ce moment le son qui ne nous plaisait pas à l’époque. Nous serons accompagnés d’un nouveau chanteur, Marc Poitvin, ex Via Romance et du bassiste Olivier Blot qui faisait partie du groupe Gypsophile, signé sur Elefant Records. Nous nous produirons le 27 septembre au Paris Popfest.

Avez-vous des chansons en vue d’un troisième album ?

Philippe : la digestion de l’album a été difficile. Il y a eu des tensions liées à des problèmes de santé ou familiaux. A la vie en général. J’aimerais beaucoup faire un troisième album car nous avons déjà des titres en stock, mais je ne sais pas si ça arrivera à ce stade. Je n’ai aucune idée du son ou de la direction à prendre, je sais juste que je veux qu’il soit chanté en français.
Thierry : le process a été trop long, ça devenait compliqué vers la fin de l’enregistrement. Ça a cassé notre enthousiasme sans remettre en cause notre complicité. J’aime bien l’idée de tenter quelque chose de différent à chaque fois, pourquoi pas !
Philippe : la frénésie de la création du premier album me manque. C’était stimulant de travailler en ping pong. 
Thierry : notre pire ennemi est notre incompétence technique qui nous empêche de tout maîtriser de A à Z. Heureusement, nous avons le luxe d’avoir d’autres projets individuellement. C’est très bien comme ça, car j’aime le côté récréatif de Meyverlin.
Gilles : Pour mieux se retrouver, il est important que Thierry et Philippe se consacrent à My Raining Stars et aux Freluquets. Nous verrons après pour la suite de Meyverlin.

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Therefore de Meyverlin est disponible chez Too Good to Be True

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