Un ciel bas, des vitres embuées. Le shoegaze c’est avoir la tête penchée. Maria Somerville est rentrée chez elle, dans le Connemara, là où les montagnes plongent dans l’Atlantique et où le lac Corrib réfléchit des ciels changeants — et Luster, son deuxième album paru chez 4AD, porte en lui toute la lumière diffuse de ce retour-là. Dans le petit studio de son salon, avec des comparses de l’île (Henry Earnest, Finn Carraher McDonald, Ian Lynch de Lankum à la cornemuse uilleann sur Violet), Somerville a filé 12 titres comme des petits tableaux sonores — le paysage irlandais vu à travers l’eau perlée d’une brume, comme J. M. W. Turner quand il vise le point d’abstraction atmosphérique (soit le train ou la guitare). Une musique comme un linge humide posé sur un front fiévreux : apaisement mais chute du linge au moment exact où nous penchons la tête justement.

Tout est matière lente, le shoegaze se mêle à l’ambient — musiques classiques — où les guitares éthérées s’emmêlent dans des nappes électroniques brumeuses. Contorsion pop moderne : le pied gauche dans Grouper, la tête dans MBV, la tête à l’envers certains y voient Cocteau Twins, Fennesz et Mazzy Star bien sûr — mais en fait le disque s’adresse à celles et ceux qui connaissent tout cela et aussi les autres qui n’en savent encore rien. En fait, et surtout, il y a une voix qui flotte, tiraillée entre tradition et modernité, qui se suspend brillamment entre les brumes et la lumière, une voix qui chuchote des touches d’aquarelles saturées d’émotion. Cette voix arrive de loin, elle ne chante pas : elle dérive. Pas de vraiment de refrain — juste un miroitement. On avance dans ce disque comme on marcherait dans une lande intérieure, les mains vides, le cœur vaste, au diable les comparaisons. Projections, Garden, Spring — les titres défilent comme des saisons intérieures, et sur October Moon — tout se dissout. L’écho, le vent. Cette beauté qui prend à la gorge sans jamais forcer le trait. Le Luster, c’est l’éclat discret, une façon de pleurer sans eau, une maison faite de vent. On y retournera en rêve avec plaisir certainement.