À sa sortie, en 1996, la MC-303 de Roland fut un événement. Dépassant le cadre usuel des instruments électroniques, la petite boîte argentée de Roland eût les honneurs de la télévision ou la presse généraliste. Les plus anciens d’entre nous l’auront ainsi peut être vu sur le plateau de Nulle Part Ailleurs sur Canal+, devant un Jérôme Bonaldi mi-amusé mi-circonspect. Le succès surprend aussi la marque japonaise provoquant une rupture de stock. À n’en pas douter, la Groovebox, première du nom, déclencha des vocations. Si aujourd’hui, elle semble bien dépassée, notamment par rapport aux possibilités des logiciels, elle fut un marqueur de son époque et à l’origine d’une nouvelle catégorie d’instrument, toujours très populaire en 2020.
Les années 90 de Roland
Le DX7 redistribua les cartes des compagnies de synthétiseurs. En quelques mois, l’instrument de Yamaha ringardisa la concurrence qui peina à réagir au point de disparaître pour une partie d’entre elle. Roland ne fut pas de ceux-là, bien au contraire, la société japonaise mit au point une redoutable réponse au synthétiseur FM de Yamaha : le D-50. Avec le Korg M-1, l’instrument incarne à la fin des années quatre-vingt l’évolution vers la synthèse numérique. Si les machines embarquent des moteurs sonores puissants, la baisse du prix de la mémoire rend possible l’usage d’échantillons plus importants. Le marché évolue donc vers les Romplers c’est à dire des boîtes à sons dont Roland se fera une spécialité notamment à travers la série JV (par exemple le JV-1080 apparu en 1994). Les interfaces de ces instruments sont généralement très dépouillées et l’usage orienté vers les presets plutôt que la création sonore. En 1991, Roland tente cependant un retour aux instruments plus dédiés à la recherche avec l’unique JD-800 aujourd’hui prisé/recherché des esthètes (1). Son apparence préfigure une déferlante que ne va pas rater Roland : le retour en force de la synthèse analogique et le développement des VA (2).
Du coté de la concurrence
Les années quatre-vingt dix voient le développement d’une nouvelle clientèle pour les machines : les producteurs de musique électronique. S’ils n’ont pas attendu la décennie pour s’intéresser aux instruments, force est de constater que leurs demandes sont désormais prises en compte par les sociétés (Clavia, Novation, Waldorf, etc). Ces dernières orientent ainsi leur offre vers ce nouveau public désireux de machines avec des commandes accessibles et un son analogique (3), des instruments qui ne nécessitent pas nécessairement d’être un musicien accompli mais peuvent être séquencées. Les producteurs remettent aussi au goût du jour des références historiques de Roland comme les TR (808, 909,707), la TB-303, les Juno ou le SH-101.
MC-303, une réponse dans l’air du temps
Le nom de MC-303 offre un lignage particulier à la groovebox de Roland: MC pour micro-composer, inspiré de la MC-202 et le 303 pour la TB-303 évidemment. La MC-303 est tout sauf une réédition de ces deux machines, elle est d’ailleurs loin d’avoir leurs auras respectives, mais elle en reprend un trait assez original. Comme ses inspirations, elle n’est pas un clavier mais d’avantage un séquenceur. En revanche elle substitue à la technologie analogique, un lecteur de PCM (la technologie qui permet d’avoir des sons dans une rom) avec des banques de samples piochées dans l’histoire de la marque (dans les boîtes à rythmes, claviers mythiques). Bref, elle promet sur le papier un instrument autonome pour faire sa musique avec les sons les plus célèbre de la compagnie sans besoin de matériel supplémentaire. La Groovebox était née.
Groovebox : un concept original
S’il existe des précédents de Groovebox, aucun n’avait autant réussi à capter l’imaginaire que la MC-303. Celle-ci va créer une nouvelle catégorie d’instruments. Les Groovebox doivent certainement une partie de leur ADN à des instruments comme la MPC60 (pour les capacités de séquençage) ou le Korg M-1 (pour le coté Workstation / tout en un) mais elle les réunit dans un objet unique, portatif, parfait support pour les nouveaux musiciens que sont les producteurs. Une Groovebox réunit ainsi un puissant outil pour agencer des mélodies/rythmes et une bibliothèque sonore importante. Elle est un outil autonome de création à une époque où la musique assistée par ordinateur est encore balbutiante (4). En 2020, l’instrument reste une catégorie pertinente comme en témoigne les nouvelles Groovebox de Roland ou le Circuit de Novation (5)…
MC-303, un positionnement entre deux mondes
Une des singularités (et faiblesse) de la MC-303 réside certainement dans son placement intermédiaire entre le marché domestique et professionnel (6). Elle est à la fois un outil de séquençage puissant mais avec de nombreux défauts (pas de sorties séparées, le MIDI à la traîne, pas de possibilité de modifier en profondeur les sonorités etc.). Au fond, la plupart des gens qui vont acheter la machine à l’époque, vont se contenter d’enchaîner les patterns programmés par les ingénieurs et livrés dans la bécane. Il faut dire qu’il faut avoir un certain courage et l’envie pour se plonger dans les possibilités (importantes) de la machine (7). Très facile d’accès pour s’amuser, elle devient ainsi nettement plus coriace quand il s’agit d’en tirer quelque chose de personnel. À force de vouloir faire trop, elle en devient assez abscons (8). Cela sera clairement une limite de sa popularité, dans les productions inversement proportionnelles à son succès commercial.
Un instrument peu populaire dans les disques
Beaucoup de musiciens ont possédé (ou possèdent toujours) une MC-303. Elle fut au milieu des années 90, le premier instrument de nombreux producteurs de Vladislav Delay à Deadmau 5. Si nous la croisons dans Métamorphoses de Jean Michel Jarre, difficile de trouver des références de son utilisation en contexte. L’exemple le plus étonnant reste peut être l’album dédié At Home with the Groovebox compilation d’inédits publiées par Grand Royal, produite avec la grande sœur de la MC-303 : la MC-505. L’exemple récent le plus probant et étonnant d’utilisation de la version originale est à chercher du coté de Terrence Dixon dans une Boiler Room. En 2013, le musicien afro-américain de Detroit assure 40 minutes de set avec l’unique MC-303, une vraie leçon de maîtrise et un superbe plaidoyer pour une machine souvent décriée !
Le début d’une saga
La MC-303 est déclinée dans de nombreuses versions. La MC-505 sort en 1998 et corrige une partie des défauts de la première mouture : meilleure implémentation MIDI, plus de sons etc. Elle est un peu plus populaire chez les musiciens (9). Elle sera suivi de la MC-307 en 1999, de la MC-909 en 2002 (la première à intégrer un sampler) et la MC-808 en 2006. La série semblait définitivement avoir disparu des radars jusqu’à l’annonce de deux nouveaux modèles l’année dernière les MC-101 et MC-707, peut-être en réponse à la concurrence et notamment le Novation Circuit. En presque 25 ans, Roland a ainsi créé 7 Grooveboxes dans la série MC.
Une groovebox en 2020 ?
Les Grooveboxes et a fortiori une MC-303 ont elles encore un sens dans les set-ups actuels ? Le contexte est en effet très différent de celui des années 90. L’informatique musicale est devenue la norme, la production avec des machines l’exception. Il y a cependant une frange très active de producteurs s’orientant vers du DAW-less , c’est-à-dire des configurations où les logiciels informatiques n’interviennent pas ou peu. Il existe ainsi une communauté de producteurs postant des vidéos de jams sur youtube et cherchant des solutions pour avoir des ensembles autonomes des ordinateurs. Cela peut certainement expliquer l’intérêt actuel autour des Grooveboxes qui semblaient avoir disparu des studios depuis une douzaine d’années. Utilisées comme séquenceur ou bloc notes pour les idées et déclencher la créativité, elles ont su toucher un public renouvelé. Doit-on alors imaginer un revival de la MC-303 ? C’est peu probable honnêtement, il existe de nombreuses alternatives d’occasion ou neuf (10) pour le séquençage et le choix d’avoir une technologie PCM la rend moins attrayante qu’un vrai moteur de synthèse. Elle reste cependant un marqueur de son époque, un objet de fantasme pour toute une génération de musiciens, un concept original et très fort ayant fait école depuis.
Notes (1) Le JD-800 vaut environ 800€ actuellement. À sa sortie, l'instrument tranche radicalement avec les interfaces dépouillées imposées par le DX7 et suivies par tous les constructeurs (M1, D50, etc). (2) Pour être plus précis : Roland va développer énormément de VA mais va se tenir éloigner de la synthèse analogique. Celle-ci reste dans les années quatre-vingt dix, une niche dans la niche. La situation s'est depuis en partie inversée et Roland a fait quelques timides pas dans la synthèse analogique notamment le Roland Boutique SE-02 en collaboration avec Studio Electronics. Le VA, pour Virtual Analogic est une technologie numérique qui vise à émuler la synthèse soustractive à l'aide de DSP. (3) Pour plus de détail sur les VA et le revival de la synthèse analogique voir l'article sur le Microkorg. (4) Le séquençage sur ordinateur et notamment l'Atari ST est certes très populaire depuis la fin des années 80, mais en 1996 nous ne sommes qu'au début de l'informatique musicale autonome et ne nécessitant par de matériel extérieure. Comme nous le rappelions dans notre article sur le Microkorg, c'est l'année de sortie de Rebirth 338. (5) Citons aussi certains instruments d'Elektron comme l'Analog Rytm, la série Electribe de Korg etc. De manière plus indirecte, les Volcas ou les OP-1/OP-Z de Teenage Engineering sont aussi des héritiers de cette approche globale et autonome de la production musicale. (6) Par marché domestique, il faut comprendre le home market. Des instruments dédiés au grand public mais ne correspondant pas aux attentes des musiciens professionnels ou espérant le devenir. Ces instruments ont souvent des limitations qui les rendent peu pratiques dans un contexte d'enregistrement ou de scène. (7) Un séquenceur 7 pistes, un excellent arpégiateur, 14 000 notes de mémoire, plus de 400 presets, une dizaine de kits de batterie, des effets embarqués, etc. (8) Toutes les philosophies de séquençage ne sont pas nécessairement simple de prime abord, cependant les meilleurs outils (les MPC d'Akai ou les instruments d'Elektron) permettent un excellent workflow quand l'utilisateur s’imprègne de leur philosophie. Il n'est pas si évident qu'un utilisateur chevronné de la MC-303 puisse arriver à ce même degré d'efficacité. (9) Wikipedia cite Juan Atkins, M.I.A., Peaches, Radiohead, Beck, New Order, Freddy Fresh, Chicks on Speed, etc. (10) Côté occasion, la MPC2000 pour les esthètes et les nombreuses autres Groovebox, qu'elles soient de chez Roland ou de la concurrence (la Yamaha RM1X par exemple). Les musiciens souhaitant faire du Dawless peuvent aussi s'orienter vers des séquenceurs comme la série QY de Yamaha ou le MMT-8 d'Alesis. Côté neuf, mentionnons l'offre passionnante de compagnies comme Elektron (Octatrack) ou Arturia (la série Beatstep/Keystep).