Il y a environ trente ans, nous guettions le génie de Lou Barlow plus qu’à son tour. Et absolument partout, il faut bien dire que nous ne fûmes pas à plaindre. De Sebadoh en Sentridoh en Folk Implosion, chaque sortie du chevelu nous mettait dans un état de grâce et d’excitation à peu près absolu. Car Lou Barlow n’enregistrait pas simplement des chansons avec les moyens du bord, il avait en plus le culot de mettre à jour notre journal intime. Quand il ne balançait pas au débotté une série parfaite de morceaux intouchables (Winning Losers chez Smells Like Records en 1994), il avait la bonté d’offrir ce qu’on peinera à appeler ses rebuts à des labels obscurs, dont certains étaient même tenus par des amis proches (Louis Barlow’s Acoustic Sentridoh, Lo Fi recordings, 1993), le tout compilé sur A Collection of Previously Released Songs, paru chez City Slang en 1994, mais pas désagréable en sachets individuels nonobstant.
Et puis au fil du temps, la passion s’est étiolée et nous cherchons toujours une explication sans jamais la trouver. Et peut-être encore plus aujourd’hui alors que sort Reason To Live, qui s’il nous fait dresser la moelle épinière ne serait-ce que sur un ratio de 25 % au regard des tremblements de naguère, n’en est pas moins son meilleur disque depuis environ trente ans. CQFD. Un psy de bas étage pourrait habilement chantourner un diagnostic bêta arguant que, comme nous, Lou n’a pas nécessairement bien supporté le passage à l’âge adulte, le zappant même à raison pour passer directement à la maturité (la reformation de Dinosaur Jr pourrait en ce sens, servir d’argument bien bien foireux) et revenir tel un vieux sachem, sur les bases d’un songwriting brut, pas vraiment éloigné de Weed Forestin (1987 pour la cassette d’origine, 1990 pour une sortie moins confidentielle chez Homestead, puis à nouveau réédité en 2012, j’avais quand même, alors que je prétendais ne plus vouloir y revenir, pris l’édition deluxe avec la clef usb en balsa, ce qui peut donner une idée de l’importance phénoménale de cet album pour moi) et The Freed Man (1989) lorsqu’il fomentait un coup d’état avec lui-même et contre son patron, avant de trouver des équipiers dignes de ce nom et d’en faire, mine de rien, un semblant de carrière.
On ne remerciera donc jamais assez le label Joyful Noise Recordings d’avoir institué cette série de disques où divers baladins ont semble-t’il, l’obligation de s’en tenir au minimum vital. Le cahier des charges est respecté, voire dépassé, faisant oublier tous les errements passés. Si la scansion rapide de certaines chansons revendiquent une forme de hardcore acoustique (j’y ai toujours vu pour ma part une occulte digression oblique sur un folklore ancestral, voire méditerranéen, il serait bon qu’un jour la musicologie s’y penche scientifiquement), c’est néanmoins d’une grande tendresse.
En dix sept titres concis, des éléments de certains étaient restés dans les cartons depuis 1982, Barlow donne à nouveau la pleine puissance de son génie supérieur en allant à l’épure et, ce faisant, retrouve cette étincelle qui nous a mis l’âme et le cœur en feu à l’origine. Comme quoi, effectivement, l’amour revient toujours.