« Notre musique était sacrée, chaque note l’était. » Ou comment la foi où plutôt la quête d’un éventuel retour de celle-ci, vint à l’aide de trois rejetons de prédicateurs texans pour leur permettre de coucher sur bande la plus apocalyptique des prédictions et rétrospectivement, l’un des disques les plus fascinants du siècle en cours.
Débusqués d’on ne sait où* par les tenanciers du label Bella Union, (les ex-Cocteau Twins, à savoir Simon Raymonde et Robin Guthrie), Josh T Pearson, Andy Young et Josh Browning attendaient pourtant leur heure depuis un moment. « Je n’ai pas eu le droit d’écouter de musique autre que celle qu’on écoutait au temple et nous y allions au moins trois fois par semaine. Le rock était considéré comme la musique du Diable dans certaines régions du Texas, j’ai donc grandi avec le gospel et la country. Nous avions énormément répété, nous étions prêts. » me confiait Josh Pearson il y a quelques années. Heureusement la découverte de My Bloody Valentine ou des plus mordants Swervedriver va illuminer quelque peu la jeunesse locale. On tient là probablement les trois murs porteurs de The Texas-Jerusalem Crossroads, disque achevé dans l’urgence et où selon la formule, on entend plus la guitare (ou pas assez) par la faute d’un mixage originel bâclé par manque de moyens. Il ne fait d’ailleurs que peu de vagues à sa sortie (Juin 2001**), en plein avènement d’un retour du rock signifié par The Strokes et The White Stripes. Ce double album possédé et lyrique est un anachronisme dont nous ignorons encore toute la toxicité. Ces bottes et autres chapeaux de cowboys dénotent cruellement au milieu des converses de rigueur. Mais c’est alors que l’on voit le groupe sur scène et plus rien ne sera jamais pareil, un torrent de lave mystique et bruyante s’abat alors sur nous et le support auditif classique fait bien pâle figure en comparaison de cet engagement quasiment messianique, d’une beauté et d’une agression totale enjolivé par l’apport sonique fondamental d’une cabine Leslie. Le pauvre Ed Harcourt alors au fait de sa gloire, en fera les frais au moment de suivre cette tornade émotionnelle sur les planches du Trabendo.
Même tempête électrique quelques semaines plus tard, lors d’un festival des Inrocks à marquer d’une pierre blanche (2001, l’année de New Order) où dans une Cigale à priori peu attentive, les trois dudes atomisent littéralement l’assistance. La réputation de Lift To Experience croit rapidement lorsque advint le drame, alors que le groupe s’apprête à partir faire la tournée des Zénith de France en première partie de Noir Désir, la femme du bassiste décède dans des circonstances tragiques. Les trois compères annulent tout et repartent au pays mais le cœur n’y est plus pour donner une suite à ce qui devait être à la base une trilogie.
Il faudra une décennie à Pearson pour panser ses plaies et revenir en troubadour country folk de haute volée, cinq années de plus pour que le groupe accepte de se reformer pour quelques dates, en 2015 à l’invitation de Guy Garvey (Elbow), grand fan devant l’éternel. Le salut ne vient que maintenant, plus de quinze ans après les faits, et permet enfin d’apprécier pleinement The Texas-Jerusalem Crossroads tel qu’il aurait du être (#asgodintended, comme le dit la réclame) avec une véritable remise à niveau sur le master d’origine et de fait, des guitares enfin aussi lourdes, tranchantes et menaçantes que sur scène. Mais pas seulement car il aura fallu la révélation d’un Josh T Pearson en solo (Last Of The Country Gentlemen, 2011 puis le plus badin The Straight Hits, 2018) pour apprécier plus sûrement la théologie d’un songwriting accablant de talent, et savourer rétrospectivement toutes les nuances du disque, dont la description détaillée n’apporterait rien. En citant de mémoire les références énoncées à l’époque (Jeff Buckley, Bedhead, Spiritualized, My Bloody Valentine) et en y ajoutant celles que l’on peut y inclure avec le recul (Tim Buckley, 13th Floor Elevators, Gun Club, Slint et jusqu’à Nina Simone en poussant un peu) on ne peut considérer cette chape de plomb biblique parfois étrangement empreinte de ruralité que comme un chef-d’œuvre définitif. Où le génie des texans côtoie, en permanence, et celui de la fée électricité, et celui du christianisme.