Liam Hayes, Mirage Garage (Weird Vacation)

Mais où donc a bien pu passer Liam Hayes ? « Dans ton culte ! » a-t-on souvent été tenté de répondre, comme pour désamorcer avec une pointe d’ironie grossière les désillusions inévitablement accumulées au cours d’une non-carrière qui s’étale désormais sur plus d’un quart de siècle, et où les coups de génie ont souvent succédé à de longues plages de disette forcée. C’est bien l’un des artifices rhétoriques les plus communément employés dans l’exercice écrit de la réhabilitation critique que de feindre l’incompréhension devant l’échec de ces idoles méconnues : tel groupe, lit-on souvent, aurait-dû être énorme ; tel songwriter maudit, s’étonne-t-on encore, est inexplicablement passé à côté du succès mérité alors que d’autres, moins doués, ont fini par lui voler éhontément la vedette. La mauvaise foi a ainsi ses vertus propres quand elle permet de mieux restituer l’intensité de la passion en accentuant les paradoxes et les dissonances.

La plupart du temps, il faut bien en convenir, il n’est pourtant pas bien difficile de discerner les logiques à l’œuvre dans de telles situations, quand bien même elles ne demeureraient que marginalement esthétiques : une mauvaise coupe de cheveux du chanteur, un management déplorable, un sens défectueux du timing, un label incompétent, une phobie des tournées ou tout autre détail témoignant d’une incapacité à se compromettre avec le réel. Dans le cas qui nous préoccupe aujourd’hui, la vérité s’impose avec la même évidence implacable : en dépit de son immense talent, Liam Hayes n’a cessé de manifester une réticence à la fois tragique et salutaire à s’inscrire paisiblement dans son époque. Une preuve parmi tant d’autres : à l’heure de témoigner poliment de sa gratitude à votre serviteur après une interview à distance réalisée en 2015, lors de la sortie étonnamment officielle de son dernier album en date, Slurrup, l’homme n’eut pas recours aux outils à ses yeux trop convenus de la communication moderne mais préféra envoyer… deux cartes postales. Il en va malheureusement de même pour Mirage Garage, à côté desquels les fans les plus ardents – et il en reste – n’ont eu parfois d’autre choix que de passer puisque son auteur a choisi de le publier une première fois en 2018 sous forme de cassette éditée à une poignée dérisoire d’exemplaires. « I don’t need a screen or batteries or wires cos’ I’ve still got my brain. » assume-t-il ici sur Here In Hell, délicat hymne luddite en forme de bras d’honneur au monde contemporain. Que faire quand la scoumoune récurrente s’ajoute ainsi à une mauvaise volonté ostensiblement technophobe ? Pas grand-chose sans doute, si ce n’est de patienter jusqu’à ces beaux jours de printemps qui permet enfin de découvrir ces neuf chansons d’une splendeur radieuse en vinyl, par l’entremise bienvenue de Light In The Attic dans leur pays d’origine et de Rough Trade et Norman Records au Royaume-Uni.

Mirage Garage apparaît comme la synthèse la plus aboutie des tendances qui traversent depuis le début des années 2010 les œuvres précédentes de Liam Hayes, entre soul-pop mélancolique et fulgurances rock plus abrasives. L’atmosphère y est à la fois sereine et dépouillée, presque ludique parfois, comme en témoigne Herr Garage, délicieuse petite pochade fredonnée sur fond de kazoo, comme du T-Rex acoustique confectionné pour servir de bande-son primesautière à un tour d’autos-tamponneuses. Hayes semble se détendre, se risquant plus ouvertement à l’exercice peu familier de la confession. « Once I had a dream to follow/Once I had a dream to live/I could see a new tomorrow in me/Once I had to beg and borrow/Now I have what I need.» : c’est en ces quelques mots qu’il résume d’emblée son chemin vers le renoncement apaisé sur In Me/Again, diptyque somptueux qui ouvre l’album sur des tonalités douces amères qui ressuscitent en un instant les fantômes d’Arthur Lee et de Steve Martin Caro, feu chanteur de The Left Banke dont l’une des œuvres les plus remarquables – Two By Two, 1971 – fût elle aussi, en son temps, précocement enterrée dès la naissance par un label qui refusa de la commercialiser. Plus que jamais les pistes qui s’entremêlent à l’écoute de ces chansons aux belles résonances intimes ne semblent laisser que bien peu de place au hasard des rencontres. L’album enregistré lors d’une brève escapade de quelques mois à Los Angeles est ainsi coproduit par Luther Russell, collaborateur de Jody Stephens au sein de Those Pretty Wrongs : les chemins qui mènent à Big Star sont vite parcourus et ramènent encore et toujours aux illuminations crépusculaires de ce troisième album – Third/Sister Lovers, 1978 – dont les ballades claires-obscures pour piano et guitares ne cessent d’affleurer au fil des écoutes de Masters & Slaves ou The More I Live. On souhaiterait tant que cette beauté fragile puisse bercer encore quelques illusions, que cette lumineuse évidence serve à éclairer un avenir prometteur et radieux. Il est malheureusement à craindre qu’il s’agisse une fois encore, de ces quelques lueurs douces d’avant-nuit qui précèdent le retour implacable de l’éclipse. Leur déclin prévisible ne doit pourtant pas entraver la joie persistante de la découverte.

Pour acheter l’album : https://www.liamhayesandplush.com/releases/mirage-garage

2 réflexions sur « Liam Hayes, Mirage Garage (Weird Vacation) »

  1. j’ai acheté l’album a sa sortie (dispo en k7 audio mais va etre reedité bientot en vinyle) je suis un gros fan de Liam Hayes
    et de Plush,

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