Les Olivensteins, Euthanasie (Mélodies Massacre)

Les chroniques anniversaire de l’été

Le rock et la France vivent une relation tumultueuse. La langue de Brassens serait-elle incapable de faire sonner l’électricité ? Coincé entre la chanson française et les Beatles (ou les punks selon l’époque), nos groupes hexagonaux adoptent parfois l’anglais au détriment du français. Cela peut se comprendre, la langue britannique est si facile à malaxer et adapter à la musique, tandis que le français semble lui si compliqué en comparaison. Pourtant, les dernières années ont démontré la vivacité de la scène francophone indépendante (Tôle Froide, LuneApache, Biche, Jesuslesfilles, Carambolage, Requin Chagrin, Pastel Coast etc.). La question reste ainsi ouverte entre anglophiles convaincus et adeptes de l’idiome de Molière. Le patrimoine local est-il reconnu à sa juste valeur ? Rien n’est moins sûr, et il nous appartient de nous pencher dessus et faire découvrir tout ce qu’il est possible de faire d’excitant ici avec nos mots et nos armes.

Les Dogs et les Olivensteins

En tous cas, ce débat n’a rien d’une nouveauté. Dès les années soixante, il existe une dichotomie entre les groupes qui enregistrent pour les grosses maisons de disques (en français) comme les Pollux, les Dauphins ou les Jets et une partie des formations amateurs qui reprennent les groupes anglais et américains dans la langue d’origine (Les Fraises des Bois, The Lionets, Les Fancy Goods, etc). Autre époque, autre exemple, à la fin des années soixante-dix, du coté de la Normandie, à Rouen, deux groupes amis ont pris des chemins différents. Les Dogs, puristes élevés aux Kinks et aux Flamin’ Groovies ont choisi l’anglais quand les potes des Olivensteins pratiquèrent le punk en français dans le texte. Les deux formations partagent de nombreuses influences communes, ils assument aussi un certain héritage des années soixante soudé à la modernité punk. Des Dogs, à la carrière riche et foisonnante, il sera sûrement question ici un autre jour, intéressons-nous plutôt aux Olivensteins.

Fier de Ne Rien Faire

Il a fallu attendre 2017 et une reformation pour que le groupe publie enfin un premier album (Inavalable, SMAP Records), 38 ans après leur mythique premier 45 tours Euthanasie édité par le disquaire Mélodies Massacre, situé sur l’actuelle place Dominique Laboubée (et anciennement… rue Massacre). Comme les Nerves à San Francisco, les Olivensteins ne s’embarrassèrent pas d’un album pour marquer leurs contemporains. Trois chansons seulement mais la formation normande compose un des hymnes les plus fantastiques du punk français : Fier de Ne Rien Faire. À peine plus de deux minutes, le morceau est un afflux d’énergie nerveuse au cerveau, sec à l’os. Les textes nihilistes, brillants et caustiques d’Eric Tandy (qui n’est pas membre du groupe) sont expulsés par son frère Gilles, fulminant de morgue et de cran. La guitare jangly de Vincent Denis amène une dimension pop, en tout cas très accrocheuse, à l’ensemble. Fier de Ne Rien Faire est une grande chanson. La section rythmique constituée de Ludovic Groslier et Romain assure le travail, sans fioritures inutiles et avec dynamisme. L’antienne résonne aujourd’hui avec la même intensité malgré un texte complètement ancré dans son époque. La première strophe évoque ainsi, entre autres, le terrorisme de l’Armée rouge japonaise (« où les Japs se démènent / à détourner des Boeings »), en écho avec les révolutionnaires d’extrême gauche orientaux qui réalisent plusieurs détournements d’avions, notamment en 1973 (Japan Airlines Vol 404) et 1977 (Japan Airlines Vol 472  et surtout la Malaysia Airlines Vol 653). La seconde partie de la chanson s’attaque au chômage, non sans une certaine distanciation : « Je n’ai même pas le courage / d’aller pointer au chômage ». La jeunesse française et plus généralement occidentale s’est en effet pris de plein fouet la crise pétrolière de 1973, dont la courbe ne s’est jusqu’ici jamais réellement inversée. Dans ce contexte de désœuvrement et d’angoisse, Fier de ne rien faire appelle à une forme de catharsis.

Euthanasie

Euthanasie est l’autre zénith du 45 tours, en deux minutes trente secondes, les Normands balancent un brûlot punk menaçant quelque part entre Soleil Vert et malthusianisme, un thème curieusement d’actualité à l’heure où le journaliste Hugo Clément (Konbini) donne dans un élan de progressisme vicié la parole à Jacqueline Jencquel, militante pour le suicide assisté. Un synthétiseur abrasif taillade en arrière plan d’un motif de guitare presque krautrock. La fantastique version démo de la chanson, présente sur la compilation dédiée au groupe de Born Bad sortie en 2011, apporte un éclairage nouveau à la chanson. Peut-être encore plus plus que la version définitive, le spectre de Suicide et du rock new-yorkais grondant hantent la bande d’enregistrement. Pleurage et scintillement de ce trésor exhumé participent à rendre la transcription si singulière et virulente. Il exhale ainsi de l’ensemble une modernité rapprochant les Olivensteins du son lo-fi de groupes garage actuels. La dernière contribution, Je suis négatif, équilibre l’ensemble. La composition confirme l’appétence des Rouennais pour les mélodies byrdsiennes dans un contexte punk, quelque part entre les Buzzcocks et les Boys. Le texte est lui plus classique, un peu moins mordant et dérangeant que les deux autres, mais suffisamment efficace pour compléter avec les honneurs un EP mythique.

La séparation puis la reformation

La suite pour les Olivensteins fut moins évidente, quoique non dénuée d’une certaine ironie, au regard de la seconde vie démarrée par le groupe depuis quelques années. Le docteur Olivenstein (le psychanalyste des drogués) confisque le nom de baptême de la formation et fait par la même occasion capoter un deal avec Barclay. Bye Bye (turbin) les Olivensteins, qui se séparent dans la foulée, bonjour les Rythmeurs dans lesquels sévissent Gilles Tandy et Vincent Denis. L’excellent EP F.I.N.I. (1983), publié par New Rose, donne peut-être une idée de l’évolution ultérieure des Olivensteins historique et complète les inédits de la compilation de Born Bad de 2011 (la très powerpop Je Hais Les Fils de Riche ou la mythique Patrick Henry est Innocent). La formation actuelle reprend en tout cas régulièrement des morceaux des disques mentionnés dans un répertoire piochant dans les chansons du 45 tours, l’EP des Rythmeurs, les inédits comme les temps forts du récent album.

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