Les clips au milieu du Village

Retour sur ce fascinant laboratoire d’images via une rétrospective à L’Étrange Festival à Paris

Super Discount, "Le Patron Est Devenu Fou réalisé" en 1997 par Marie de Crécy pour Le Village
Super Discount, « Le Patron Est Devenu Fou réalisé » en 1997 par Marie de Crécy pour Le Village

Ce vendredi 16 septembre, L’Étrange Festival, dont c’est la 28ème édition, propose dans le cadre du Forum des Images à Paris, une grande soirée rétrospective autour de la société de production Le Village. De la fin 1989 à 2004, ce “laboratoire d’expérimentation visuelle appliqué à l’art marchand, non subventionné” selon son responsable Charles Petit (1) a été l’origine de programmes courts novateurs pour Canal+ comme L’Œil du cyclone ou des vidéoclips musicaux, parmi lesquels Le Patron Est Devenu Fou de Super Discount ou bien The Child d’Alex Gopher. C’est tout sauf un hasard si L’Étrange Festival rend hommage avec une soirée Le Village à Charles Petit, disparu en février 2022 : parmi les organisateurs du festival figurent Alain Burosse, ex-responsable des programmes courts de Canal+, son alter ego Pascale Faure, Frédéric Temps, réalisateur lié au Village, et Marc Bruckert, associé jusqu’au début des années 2000 de Charles Petit.

Marc Bruckert / Photo : Philippe Puiseux
Marc Bruckert / Photo : Philippe Puiseux

Ce mardi 13 septembre, Dieu est mort, ou tout au moins une certaine vision du cinéma. C’est le jour de l’annonce de sa disparition choisie par Jean-Luc Godard que nous rencontrons Marc Bruckert, un des joyeux drilles à l’origine de la société Le Village, bienveillant et capable de mettre tout de suite à l’aise son interlocuteur. Suite à une question initiale à propos de la sélection de vidéoclips musicaux parmi tous ceux du Village, il nous raconte d’emblée les rebondissements autour du premier produit dès 1987, Vis À Vis D’Elle de Gérard Blanchard. C’était aussi le premier clip réalisé par Jean-Pierre Mocky, qui en a fait voir de sévères à la toute jeune équipe qui avait eu l’idée de le solliciter. Marc Bruckert, alors directeur artistique d’un magazine sur la création publicitaire et graphiste de formation, était en contact avec des maisons de disques pour concevoir des pochettes comme celle de ce 45 tours du chanteur relancé par le succès de Elle Voulait Revoir Sa Normandie, six ans après les débuts fracassants avec Rock Amadour. La maison de disques Barclay valide le choix de Mocky, le budget est de 200 000 Francs de l’époque, et le clip avait été pré-financé par un sponsor, ce qui était alors permis, les barres chocolatées Nuts, effectivement omniprésentes à l’écran. L’équation à résoudre est donc déjà des plus improbables : un clip musical qui prétend raconter une histoire + la marque Nuts + Mocky à la manœuvre. L’histoire décrite à l’image ? Feue l’actrice Françoise Blanchard, bien connue des amateurs de cinéma-bis français, pour ne pas dire “nanards”, reconvertie ensuite comme voix dans l’animation, alors petite amie du chanteur homonyme sans qu’ils soient mariés, est harcelée dans une gare par des satyres. Mocky s’en donne à cœur joie autour de la signification anglo-saxonne sexuellement connotée des noix (“nuts” en anglais) et il faut calmer ses ardeurs pour éviter la censure. Un comble pour des producteurs volontiers amateurs de Russ Meyer ! Deux jours avant le tournage, l’ingérable Mocky, adepte de la numérologie, veut renoncer : le convaincre de se présenter le jour prévu dans les Studios de La Victorine à Nice requiert des trésors de persuasion. La chanson n’est pas un “tube” et le commercial de Nuts tenu responsable par la marque de ce placement de produit pas forcément approprié aurait été viré dans la foulée.

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Le Village en quelques captures d’écran.
Le punk à Estienne, Paris Latino et Métal Hurlant contre Zoulou

Flashback : 1976, en pleine effervescence punk, le néo-bachelier Marc Bruckert, un Parisien pur sucre, se plait beaucoup à la faculté d’arts plastiques parisienne de Saint-Charles, dans le quinzième arrondissement, où il organise même un concert de Guilty Razors et Asphalt Jungle. Mais ses parents, parce qu’il n’a pas l’air de travailler beaucoup, lui mettent la pression pour passer le concours de L’École supérieure des arts et industries graphiques, plus couramment appelée L’École Estienne. Pas vraiment enthousiaste, notre drôle de zèbre le réussit. Changement d’ambiance. Il déteste ce que représente cette institution mais y fait la rencontre, décisive, de Charles Petit, déjà en troisième année. Il seront après le service militaire de Marc colocataires, d’abord à deux, puis à trois dans un très grand appartement avec la sœur de Charles Petit.

Zoulou numéro zéro

Au début des années 1980, la sous-culture est encore globale : musique rock, BD, graphisme, cinéma-bis pas forcément accessible en deux clics, libération sexuelle et même publicité font bon ménage. En 1983, le Paris Latino de Bandolero, (avec trois anciens Guilty Razors, sorti sur Mankin, le label d’Alexis Quinlin, manager de Taxi-Girl), fait danser la France entière à défaut d’oblitérer le tournant de la rigueur deux ans après “l’élection d’un président socialiste”. Charles Petit, costume new wave de jeune homme moderne, transfuge de la publicité, est devenu depuis l’automne précédent le directeur artistique du mensuel de BD Métal Hurlant, dont le directeur de la rédaction est Jean-Pierre Dionnet. Même s’il n’en est plus nominalement le rédacteur en chef, Philippe Manœuvre est toujours là parallèlement à ses activités télévisées avec son compère Dionnet dans Les Enfants du Rock sur Antenne 2. Au printemps 1983, il est question d’écarter le secrétaire général de la rédaction Marc Voline et une partie importante des dessinateurs de Métal Hurlant, 100 000 exemplaires de tirage, mécontente des absences récurrentes de Dionnet et Manœuvre, prend fait et cause pour Voline. Sollicité par Jean-François Bizot d’Actuel, Marc Voline part préparer le numéro zéro de Zoulou pour le présenter au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême début 1984 avec comme graphiste Marc Bruckert, aidé en sous-main par Charles Petit resté celui de Métal Hurlant. Le premier numéro de Zoulou a beau sortir en avril 1984, Bizot ne respecte pas les promesses faites à Voline, écarté après le numéro zéro, et aux dessinateurs solidaires de Voline. Zoulou fait long feu et dès l’été 1984, les dissidents reviennent en ordre dispersé au bercail Métal Hurlant.

Ardisson/Blachas, Delépine/Salengro, “de bonne, bonne humeur ce matin”, Vu à la télé et Le Village
Christophe Salengro, Charles Petit et Marc Bruckert en 1997 / Photo : Denis Esnault via laspirale.org

Marc Bruckert propose ses services à Thierry Ardisson, collaborateur de Rock & Folk en binôme avec Jean-Luc Maître pour la rubrique Descente De Police. Il a appris que le publicitaire à succès, pas encore passé à la télévision, envisage de lancer un nouveau mensuel musical, Vinyle. Mais d’une part il a déjà recruté un graphiste, d’autre part l’éventuelle alternative à Rock & Folk et Best restera à l’état de projet. Ardisson lui souffle que Christian Blachas, responsable depuis 1971 du titre de presse spécialisé dans la communication devenu hebdomadaire, Stratégies, compte lancer un nouveau titre, Création Magazine, suivi ensuite par ce qui deviendra CB News, avant de passer à la télévision en monsieur Culture Pub (où un certain Franck Annese, futur patron de So Press, s’est fait les dents) sur M6. Bombardé Directeur Artistique de Création Magazine sans réelle expérience préalable, Marc Bruckert s’y retrouve associé à un autre débutant débarqué de Lille intronisé lui aussi via Ardisson rédacteur en chef, Benoit Delépine. Une interview prolongée tout un après-midi par le tandem de Création Magazine du comédien Christophe Salengro, vedette improbable d’une publicité pour la marque de restauration rapide française Free Time (1982-1992) tournée par Étienne Chatiliez, initie une amitié triangulaire finalement rompue par la mort à 64 ans de l’ancien élève architecte d’origine lensoise aux grandes oreilles en 2018.

Trente plus tôt, en 1988, Tristan, le chanteur des Guilty Razors, fait à son tour danser la France avec Bonne Bonne Humeur Ce Matin, et le trio Salengro-Delépine-Bruckert fait ses premiers pas à la télévision. Les 50 épisodes pour les programmes courts de Canal+, tournés en seulement 6 jours, de Spiky TV, où Salengro incarne un présentateur télé coincé dans l’écran d’un appareil cathodique, supposent la création d’une société dédiée. Ce sera Vu à la télé, première entité avant Le Village, avec deux connaissances de la société de post-production Duran, deux autres, associés du Book Editions, et un copain lillois de Benoit Delépine qui travaille sur TV6, éphémère chaîne musicale hexagonale pré-M6. Le clip pour Blanchard par Mocky, production Vu à la télé mais invisible sur YouTube jusqu’à la soirée du 16 septembre, a finalement été retrouvé par hasard il y a quelques semaines par Marc sur une bande démo Vu à la télé …au format VHS ! Marc explique d’ailleurs qu’il n’existe aucun inventaire exhaustif des productions Le Village et que la question des archives, comme souvent en pareil cas, est un véritable sacerdoce. Si côté Vu à la télé cela se limite de 1988 à 1989 à quelques pilotes d’émissions et vidéoclips, dont La Lettre De Jersey pour Graziella De Michele de Jean-Michel Roux avec Dominique Pinon et La Fille Du Soleil pour Mikado par Pierre et Gilles, à qui Charles Petit avait précédemment commandé une couverture de Métal Hurlant autour de “Claude François vivant !” quelque part en Amazonie, au grand désarroi de Manœuvre, les 15 ans d’activité du Village ont été pour le moins intenses.

Rien que pour les clips, les 14 retenus par Marc pour l’occasion ne constituent qu’un aperçu. Poussé dans ses retranchements, notre homme a pu en lister une trentaine supplémentaires faute de tout se rappeler, depuis Au P’tit Bonheur à Gérald de Palmas, et s’en explique : Le Village, Production & Design, comme son nom complet l’indique, se partageait entre production audiovisuelle, la partie de Charles Petit, et design, celle de Marc Bruckert, au-delà de la circulation des idées et talents. Si Le Village compte cinq associés, avec Delépine et Salengro, présents à titre amical, la dénommée Martine Jamaux, agente d’illustrateurs dont Marc Caro, est bien le “troisième homme” plutôt que le numéro 3 après Petit et Bruckert. Le Village, nom proposé par Charles Petit, fait en effet référence au décor quasi unique de la série télévisée britannique Le Prisonnier de George Markstein et Patrick McGoohan tournée en 1967. Mais Le Village est aussi un bar à cocktails de Saint-Germain-des-Prés où la petite bande a ses habitudes.

L’Esprit Canal : Professeur Choron ou Charly Oleg ?

Au-delà des vidéoclips, publicités et court-métrages liés à Canal+, c’est bien sur cette chaîne que l’émission hebdomadaire L’Œil du Cyclone, diffusée en clair de la fin de 1991 à début 2000, en pleine normalisation voulue par Jean-Marie Messier, sert au Village de fonds de roulement autant que d’agora pour associer, parfois au forceps, une belle brochette de fortes têtes venues d’horizons différents. Via Benoit Delépine, il y aura aussi l’habillage des débuts des Guignols de l’Info. En 1993, le Groland réunit Benoit Delépine, présent depuis la première saison l’année précédente avec Jules-Édouard Moustic, et Christophe Salengro, devenu depuis 1986 l’un des danseurs fétiches du chorégraphe Philippe Decouflé. Via Salengro, Marc Bruckert réalise des visuels pour Decouflé et continue encore aujourd’hui. À la télévision, “Le président Salengro de la présipauté du Groland” sera de facto déclaré “inmourable”.
Le premier janvier 1994 à la mi-journée en clair sur Canal+, Gaspar Noé, déjà réalisateur de deux court-métrages et de Carne, propose Une expérience d’hypnose télévisuelle, d’abord essentiellement verbale, n’était le côté Twin Peaks et un jeu sur les couleurs à partir de la 16ème minute avec l’actrice et chanteuse Marie France. Via Gaspar Noé pré-Seul Contre Tous, Le Village fait appel à Jan Kounen pour le clip “grolandesque” de Formidable, disque de Noël improbable qui réunit Professeur Choron, nouvelle grande rencontre grâce au dessinateur Charlie Schlingo, et le musicien Charly Oleg, déjà là pour La Vérité sur la guerre du Golfe de Vincent Hachet deux ans plus tôt et tout jeune retraité de l’émission quotidienne Tournez Manège ! sur TF1, autour d’une composition arrangée par Bertrand Burgalat. Au début des années 1990, Choron avait convaincu les éditions Panini de financer un nouveau magazine mensuel pour enfants, Grodada, d’après un personnage récurrent de Charlie Schlingo, avec pour graphistes Charles Petit et Marc Bruckert. Si Choron puis Charlie Schlingo sont tous les deux morts en 2005, Marc Bruckert est resté fidèle à un certain esprit Hara-Kiri, et a mis en page l’an dernier Michel Lépinay premier photographe de Hara Kiri 1961-1966 (Serious Publishing).

Bienvenue au Village

L’argent de Canal+ pré-Bolloré sauve déjà la mise, surtout comme quand New Rose “oublie” d’honorer la facture du clip de O Mana réalisé en 1991 dans le Lubéron par Jean-Michel Roux pour son groupe Kni Crik. Au nom d’une certaine idée esthétique, Le Village s’astreint au clip confidentiel, même quand l’artiste présente un plus grand potentiel commercial que l’attelage Choron-Oleg ou bien Kni Crik : pour Un Monde Parfait, qui ouvre le troisième album Post-Partum du groupe Les Innocents en 1995, Le Village tente d’imposer la patte Pascal Baes, alors apprécié aux Etats-Unis pour ses publicités à base de poses longues, mais la greffe a du mal à prendre de ce côté-ci de l’Atlantique. Le Village met aussi en images Colore, un autre extrait du même album, via le réalisateur Denis van Waerebeke, mais pour cette rétrospective, Marc Bruckert n’a pas voulu transiger avec l’esprit défendu par Le Village.

Spectateurs de L’Étrange Festival dès ses premières années au Passage du Nord Ouest rue du Faubourg Montmartre, les protagonistes du Village sympathisent dès le milieu des années 1990 avec les instigateurs du festival et Marc Bruckert devenu son Directeur Artistique l’est depuis resté. Curieusement, à l’aune de ses origines punk et de son goût pour une certaine sous-culture “trash”, Le Village va trouver un terreau favorable dans la “French touch” électronique de la fin des années 1990 plutôt que dans l’explosion rap, malgré Je Suis L’Arabe de Yazid, compagnon de route des débuts de Suprême NTM par Vincent Hachet dès 1996. Marie de Crécy, épouse du Étienne qui se cache encore derrière Super Discount, met en images en 1998 Prix Choc et surtout Le Patron Est Devenu Fou, inspiré par l’artiste helvète Felice Varini.

Toujours en 1998, Marc Caro qui avait déjà signé sans son comparse Jean-Pierre Jeunet deux clips pour Indochine réalise, outre une publicité Reebok avec le sprinter trinidadien Ato Boldon, celui de Coloured City pour Laurent Garnier sans parvenir à dépasser l’esthétique “clubbing” en vogue à l’époque. A contrario, Antoine Bardou-Jacquet, un des H5 originaux avec Ludovic Houplain, rapidement rejoints par Hervé de Crécy, frère d’Étienne, marque les esprits au début de l’année 1999 avec The Child d’Alex Gopher. Le parti pris de l’animation dans un new York stylisé jusqu’à l’épure ouvre des perspectives radieuses, dix ans avant l’Oscar de Logorama ? Les H5 rejoignent Partizan-Midi Minuit, la société de Georges Bermann productrice de Michel Gondry, avant de se déchirer. Parmi la queue de la comète “French Touch”, il y a le trio Kojak avec son Stupid Jack filmé par Édouard Deluc, une douzaine d’années avant son passage au long-métrage. Nantais comme les frères Poiraud, autres habitués de la maison parisienne Le Village futurs réalisateurs pour le cinéma, Laurent Tuel, après Le Rocher d’Acapulco en 1995 dans les salles, se charge des clips de Ma Colère pour Françoiz Breut en 1998 puis l’année suivante, Je Suis Une Ville de Dominique A. Selon notre interlocuteur, Alain Artaud, à la tête de la maison de disques Labels refuge de ces deux artistes loin du tourbillon “French touch”, aimait bien Le Village.

Mais contrairement à l’année 1999 chantée par Prince dès 1982, aucune trace de “We gonna party like it’s 1999” : la fête du vidéoclip est déjà finie. Les maisons de disques sont en crise avant même la généralisation du téléchargement, les budgets des clips s’en ressentent et Le Village commence à fatiguer. Côté programmes pour Canal+, Marc Bruckert réalise avec Frédéric Temps un Mondo Trasho, effectivement à ne pas soumettre aux âmes trop sensibles, à base d’images et de commentaires préexistants. Facile me direz-vous ? Pas vraiment, en ces temps pré-Internet à haut débit, où il faut d’abord mettre la main sur ces programmes tous plus improbables les uns que les autres avant de s’en assurer ensuite les droits pour bonne diffusion. Et que dire de Furor Teutonicus, réunion au sommet de l’absurde des réalisateurs belge Jean-Jacques Rousseau (c’est son vrai nom ! Il est mort en 2014) et nancéen Vincent Hachet, deux des figures marquantes parmi toutes celles dans Le Village. Votre serviteur a même cru entendre en fin de parcours un extrait du What Time Is Love? de KLF, mais peut-être avait-il déjà été emporté trop loin par cette histoire d’un boucher chevalin descendant de Thor, au cours de laquelle apparaît brièvement l’entarteur Noël Godin

Coïncidence, mais en est-ce vraiment une avec ces gens-là, L’Étrange Festival propose aussi cette année la découverte de Who Killed Nancy, chouette documentaire d’Otomo de Manuel sur la scène rock de la métropole lorraine au-delà des seuls Kas Product, avec parmi les protagonistes Catherine Mamecier, bassiste de Wroomble Experience, son compagnon de l’époque Vincent Hachet, membre de plusieurs formations, parfois avec le futur compositeur Laurent Petitgand. D’après Marc Bruckert lui-même, il y avait bien eu une bande de Nancéens lâchés dans le Paris des années 1980, à commencer par l’actrice Solveig Dommartin, compagne de Wim Wenders, Jean-Michel Roux ou bien le futur luthier californien James Trussart.

C’est Vincent Hachet qui filme en 1998 la mini-opérette plus ou moins autobiographique Ivre Mort Pour La Patrie de Choron, composée par Bertrand Burgalat avec des décors de Philippe Vuillemin, dont la distribution impressionne (2). Désolé du cliché, mais Le Village cultive un tropisme belge au-delà du seul Rousseau Jean-Jacques, sujet du documentaire La Belge Histoire co-réalisé en 1997 par Vincent Hachet et Marc Bruckert, avec par exemple Marco Laguna, qui a signé entre autres clips Mes Vacances A Rio en 2001 puis Le Rock Summer en 2001 pour les Montpelliérains de “rinôçérose”.

La Fin du Village
Charles Petit

Au début des années 2000, Marc Bruckert prend ses distances avec Le Village pour, selon ses propres dires, préserver sa santé mentale. Entre publicité, esprit Canal+ historique, maisons de disques et spécificités propres au Village, pas besoin de vous faire un dessin, sans alcool et produits excitants prohibés, la fête est moins folle… Mais les fêtes et les amitiés parfois durables qui en découlent peuvent aussi aider à travailler. Dix ans après une tentative d’associer Étienne Daho et Marc Caro, Le Village produit le clip de L’Année Du Dragon pour le chanteur réalisé par son complice désormais habituel Antoine Carlier parce que Nathalie Noennec, responsable image des artistes pour Virgin puis EMI avant de se retrouver jurée de La Nouvelle Star sur M6, est une vieille connaissance du Village depuis son arrivée à Paris dans les années 1980. Si Charles Petit, excellent photographe, déjà aux manettes du vidéoclip de Destination Terre pour Eddy Mitchell en 1999, réalise lui-même pour Michel Houellebecq à partir de “found footage”, des images préexistantes, le vidéoclip de Playa Blanca, extrait de son album Présence Humaine en 2000 sur le label Tricatel de Bertrand Burgalat, le résultat visuel ressemble finalement au clip de Girls & Boys pour Blur par Kevin Godley de 10cc sous Prozac. Et seuls des liens amicaux, sans se limiter au seul Burgalat, peuvent expliquer les 14 clips liés à Aube Radieuse, Serpents En Flammes, second album sur Tricatel d’Étienne Charry, chanteur de Oui Oui, lequel ne compte pourtant que 13 titres… Outre Charles Petit qui s’y colle à nouveau, chacun des clips est confié à un réalisateur différent, avec parmi eux des noms devenus familiers du grand écran : Bertrand Mandico, Olivier Babinet, Régis Roinsard… Charles comme Marc étaient des grands fans du groupe Oui Oui, qu’ils ont connu après avoir fait travailler Étienne Charry comme illustrateur pour Création Magazine. Marc a réalisé les pochettes des quatre 45 tours et des deux albums de 1989 à 1992 puis du premier album 36 Erreurs d’Étienne Charry sur Tricatel en 1997. Charles et Marc ont donc bien sûr très tôt eu accès à ce que pouvait proposer Michel Gondry, le batteur, sous forme de publicités animées contre les accidents domestiques. Il va réaliser les clips de Oui Oui avant de passer à ceux de Björk et bien d’autres puis de se lancer au cinéma, mais Partizan Midi Minuit, la plus grosse société du secteur de l’âge d’or du vidéoclip en France avec Bandits ou bien Gédéon, va rapidement couper aux deux amis l’herbe (encore tendre) sous le pied. Parmi les réalisateurs de clips pour Étienne Charry, il y a un autre Étienne, Labroue, qui a depuis sorti un long-métrage, L’Élan, en 2016, au scénario co-écrit par Marc Bruckert, BO de Charry, avec Aurélia Petit (rien à voir avec Charles même si elle est une habituée de Groland et a travaillé avec Salengro sur des spectacles de Decouflé jusqu’à assister ce dernier sur Sombrero en 2006), Olivier Broche, François Morel et Bernard Montiel dans son propre rôle, va alors être associé aux Wampas. Une douzaine d’années après le succès improbable de Petite Fille, le groupe de Didier Wampas revient en force en 2003 avec le tube Manu Chao, extrait de l’album au titre à rallonge Never Trust A Guy Who After Having Been A Punk, Is Now Playing Electro. Le clip de Manu Chao produit par Le Village est mis en boîte par Labroue et Jo Dahan, autre fois bassiste de Mano Negra devenu guitariste des Wampas, réunit Jack Lang, Dick Rivers, Guillaume Depardieu, Guy Montagné et Patrick Juvet. Dont les Wampas reprennent ensuite le Où Sont Les Femmes ? pour un clip “made in Bollywood” des mêmes Labroue et Dahan. Mais Charles Petit doit fermer le Village en 2004. Il poursuit dans le même domaine d’activité avec une nouvelle société Yellow House mais sans grand succès. Plus récemment, en 2019, Marc, cette année-là également responsable de la DA du Grolivre : l’album souvenir de Groland (Hugo Desinge), et Charles avaient signé ensemble la pochette de l’album Love de leur amie commune la créatrice de mode parisienne Fifi Chachnil. Clap de fin pour Charles Petit en février dernier, qui disparait d’une crise cardiaque. Mais au-delà de l’hommage rendu via sa société emblématique Le Village par L’Étrange Festival, il semble sincèrement regretté par ceux qui l’ont connu, chose suffisamment rare à propos d’un producteur audiovisuel pour être signalée. Le Paris de Charles Petit était toujours un village pour ceux qui s’aimaient d’un si grand amour.


Clipographie sélective

Gérard Blanchard, Vis À Vis D’Elle réalisé en 1987 par Jean-Pierre Mocky
Mikado, La Fille Du Soleil réalisé en 1987 par Pierre et Gilles
Kni Crik, O Mana réalisé en 1991 par Jean-Michel Roux
Professeur Choron et Charly Oleg, Formidable réalisé en 1994 par Jan Kounen
Les Innocents, Un Monde Parfait réalisé en 1995 par Pascal Baes + publicité Paramount Hotel réalisée en 1991
Super Discount, Le Patron Est Devenu Fou réalisé en 1997 par Marie de Crécy
Laurent Garnier, Coloured City réalisé en 1998 par Marc Caro
Alex Gopher, The Child réalisé en 1999 par Antoine Bardou-Jacquet
Kojak, Stupid Child réalisé en 1999 par Edouard Deluc
Dominique A, Je Suis Une Ville réalisé en 1999 par Laurent Tuel
Michel Houellebecq, Playa Blanca réalisé en 2000 par Charles Petit
Uncommen Men From Mars, Pizzaman réalisé en 2001 par Marco Laguna
Étienne Charry, Osmose réalisé en 2002 par Bertrand Mandico
Les Wampas, Où Sont Les Femmes ? réalisé en 2003 par Étienne Labroue et Jo Dahan

Et aussi…

Une expérience d’hypnose télévisuelle réalisé en 1993 par Gaspar Noé (27 minutes)
Publicité contre le SIDA Good Boys Use Condom réalisée en 1998 par Lucile Hadzihalilovic (5 minutes)
Ivre-Mort Pour La Patrie réalisé en 1998 par Vincent Hachet (30 minutes)
Mondo Trasho réalisé en 1999 par Frédéric Temps et Marc Bruckert (23 minutes)
Furor Teutonicus réalisé en 1999 par Jean-Jacques Rousseau et Vincent Hachet (26 minutes)


Charles Petit comme Marc Bruckert sont cités dans le chapître 4 (1983-1986) du Métal Hurlant 1975-1987 La Machine à rêver de Gilles Poussin et Christian Marmonnier (Denoël, 2005).
Merci à Jean-Bernard Émery et Juliette Pannequin attachés de presse de L’Étrange Festival.
Merci aussi à Laurent Courau de LaSpirale.org dont l’interview préalable de Marc Bruckert m’a bien aidé pour m’y retrouver dans Le Village.
(1) in letempsdetruittoutnet, site consacré au cinéaste Gaspar Noé, avril 2004, via laspirale.org
(2) Arielle Dombasle, Évelyne Leclerq, la fille de l’auteur Michèle Bernier, Alain Chabat, Luis Rego, Jackie Berroyer, Dick Rivers, Éric Morena, Jo Dahan ex-Mano Negra alors membre des Wampas, Treponem Pal, Jules-Edouard Moustic, Benoit Delépine, Christophe Salengro, Charlie Schlingo, Philippe Vuillemin, Chick Ortega, Zinedine Soualem et… Plastic Bertrand.

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