Lee Hazlewood, cow-boy pop

Lee Hazlewood
Lee Hazlewood

Avez-vous lu l’hilarant et très instructif Dictionnaire snob du Rock de David Kamp, critique rock à Vanity Fair, et Steven Daly, ancien membre d’Orange Juice ? On y trouve pléthore d’anecdotes savoureuses et de listes en tout genre, ainsi que maints classements éminemment polémiques et subjectifs, supposés établir de manière irrévocable quelques « vérités » esthétiques définitives. Si les auteurs au goût très sûr se trompent plutôt rarement dans leurs jugements, certains classements inadmissibles peuvent inévitablement mettre en rage le lecteur. Ainsi, dans la catégorie « dix instances douteuses revendiquées par les rockologues », on trouve… Lee Hazlewood en solo !

Je ne vois qu’une hypothèse pour expliquer la cécité de Kamp et Daly face au génie de Lee Hazlewood : les auteurs n’ont pas dû écouter les bonnes chansons. Car s’il y a certes quelques morceaux mineurs – bien que souvent plus qu’honorables – dans son répertoire solo, on trouve une quantité impressionnante de diamants bruts de très grand style. Et ce dans un registre qui va de la country à la pop psychédélique, en passant par le rockabilly ou la folk.
Après des années d’écoutes régulières des disques de Lee Hazlewood, je reste ébahi par la qualité de ses compositions, par ses mélodies d’une simplicité parfaite, par ses arrangements d’un exceptionnel standing, par son imposante voix de baryton travaillée au whisky et au tabac blond, par sa diction admirable. Et ne parlons pas des guitaristes, bassistes, batteurs qui sont intervenus sur ses disques, souvent membres de la mirifique « Wrecking Crew », peut-être les plus grands musiciens de studio de tous les temps dans le domaine de la pop. On peut aussi louer sans mesure dans les compositions de Lee ce savant mélange de chant « ligne claire » et d’orchestrations ambitieuses, qui donne cette impression d’amplitude qui plonge immédiatement l’auditeur dans une atmosphère cinématographique, celle des westerns, de l’Amérique des grands espaces. Même dans l’épure la plus poussée, on continue de sentir dans la musique de Lee Hazlewood une épaisseur et une densité toutes particulières, émanation directe de son charisme hors-normes.

Membres du Wrecking Crew lors de la session produite par Phil Spector de “Wait ‘Til My Bobby Gets Home” de Darlene Love / Photo : Collection Jeff Marcus collection.

Je me souviens qu’un des premiers musiciens que j’ai entendu louer très tôt Lee Hazlewood en tant qu’artiste solo fut Steve Shelley de Sonic Youth, qui dans les années 1990 avait même réédité un certain nombre de disques du maître sur son petit label Smells Like Records. Parmi les aficionados de Lee, on pouvait aussi mentionner Nick Cave, les Tindersticks ou Richard Hawley, qui ont prêché sans relâche pour la réhabilitation de son œuvre.
On ne manquera pas non plus de mentionner l’existence de la compilation-hommage Total Lee!, au casting impressionnant, à laquelle ont notamment participé Jarvis Cocker, Calvin Johnson ou encore Evan Dando. D’autres pointures comme Black Francis des Pixies, Eddie Argos d’Art Brut ou Courtney Taylor-Taylor des Dandy Warhols auront bien eux aussi tenté de rendre hommage à Lee Hazlewood en reprenant son album Trouble is a Lonesome Town sous le nom de Thrifstore Masterpiece, mais le résultat s’est avéré désastreux en raison d’une production abominable. On peut toutefois saluer la bonne intention, même si le cow-boy a dû se retourner dans sa tombe.

Lee Hazlewood
Lee and kids

N’empêche que pendant des décennies, les disques du moustachu sont restés purement et simplement introuvables, à tel point que Lee Hazlewood lui-même – qui ne possédait pas ses propres albums en vinyle (!) – n’avait réussi à se les procurer qu’en échangeant un de ses disques d’or contre les 33 tours d’un collectionneur ! Heureusement, après Smells Like Records, le label Light in the Attic a repris le flambeau de la réédition de son catalogue, réparant une injustice esthétique aussi intolérable qu’incompréhensible.

Je me demande aussi par quel prodige aucun biographe n’a pris la peine de revenir sur le passé romanesque de ce personnage colossal, au destin singulier, qui a joué avec les plus grands et qui a composé quelques uns des meilleurs tubes de toute l’histoire de la pop. Et quelle tristesse qu’il n’ait jamais écrit ses mémoires avant de rendre l’âme en 2007. Les faits d’armes de l’ami Lee sont pourtant nombreux. Savez-vous par exemple qu’il serait l’inventeur du « twang », ce son typique de guitare surf qui a fait la gloire des Shadows, des Surfaris, de Dick Dale et autres Sputniks et dont l’influence continue de se faire sentir aujourd’hui (l’ironie du sort c’est qu’il n’aimait pas la surf musique, hormis les Beach Boys) ? Et quel producteur de rêve ! On n’admirera jamais assez ses talents d’homme de studio qui ont largement contribué à renouveler les canons de l’esthétique pop. Son goût pour l’expérimentation sonore, qu’il possédait en commun avec le grand Phil Spector – qu’il a d’ailleurs initié au métier en lui apprenant l’art d’empiler les sons en mono –, l’aura amené à élever la pop vers des sommets d’exigence. On raconte par exemple qu’à ses débuts, il avait réussi à produire une reverb très particulière en faisant jouer des musiciens dans une immense citerne vide. J’imagine le nombre de savoureuses anecdotes de studio qu’il aurait pu raconter s’il avait rédigé ses mémoires ! En guise de consolation, on pourra se tourner vers l’interview d’une valeur inestimable de Lee Hazlewood par Christian Fevret, publié en 1999 dans les Inrockuptibles, dans laquelle il revient sur son parcours, sur sa manière de composer, l’épisode raté de sa collaboration avec les frères Reid de Jesus and Mary Chain et qui nous offre d’autres très précieuses informations. L’interview collégiale dans la RPM en 2002, à l’époque de la sortie de la compilation Total Lee!, vaut également de l’or.

A écouter : Playlist commentée de Lee Hazlewood.
Et aussi : Lee Hazlewood, 400 Miles From L.A. 1955-56 vient de sortir cher Light In The Attic.

 

Ci dessus : Session d’enregistrement parisienne de Lee Hazlewood aux studios CBE à Paris dont on vous avait déjà parlé ici.

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