Qui n’a pas été irrésistiblement attiré par les 7’’, n’a pas craqué juste pour la pochette, tel un enfant devant un stand de bonbons ? Mais pas seulement, car ce format a permis à nombre d’entre nous de connaître, à moindre frais, un nouveau groupe. Les labels ont vite compris l’enjeu dès les années 80 et ont lancé les Singles Club, avec un abonnement donnant droit à un single par mois, avec des inédits. En 1988, c’est Sub Pop qui s’y colle, suivront 7 volumes à ce jour, où l’on retrouvera, entre autres, Nirvana, Flaming Lips, Les Thugs, Beat Happening, Codeine, Modest Mouse, J Mascis, Deerhunter, Porridge Radio, Washed Out… Rough Trade enchaîne à partir de 1991 avec Vic Godard, The Auteurs, Tindersticks, Mazzy Star, Mercury Rev, Strangelove, My Bloody Valentine… Une initiative qui s’exporte jusqu’en France avec le label Lithium, notamment.
Et voilà que le flambeau est repris par les activistes musicaux brestois Too Good Too Be True Records. On connaissait déjà l’excellent magasin de vinyles Badseeds – associé récemment avec Kuuutch, le carrefour des Arts graphiques et de la micro-édition – et leur label Music From The Masses promouvant la scène brestoise et bretonne. L’an passé, Too Good To Be True Records naissait des cendres de beko disques pour aller dénicher des petits trésors de l’Angleterre à la Russie, en passant par le Canada, Singapour, la France, les États-Unis ou la Norvège. Ils viennent de créer le Singles Club. Un challenge au vu de la situation actuelle ? Réponses d’Emmanuel, l’un des deux défricheurs.
Comment vous est venue l’idée de ce Singles Club ? Des connexions avec beko ?
Je sais que Reno avait déjà envisagé un Singles Club à l’époque de beko sans que cela puisse se concrétiser. Même si ce n’était pas forcément sous la forme d’un Singles Club, l’idée de sortir des 7″ était présente dès le début de Too Good To Be True en 2021, mais il était difficile de le faire tout de suite. La réédition de l’album de Moscow Olympics nous a beaucoup aidés, d’une part, parce qu’elle a permis de faire connaître le label de façon plus large, et, d’autre part, car elle nous a donné des marges de manœuvre un peu plus importantes du point de vue financier.
Au cours de l’été 2021, Reno a reçu deux morceaux de Love Dance, qui souhaitait savoir si nous étions intéressés de les sortir sur le label. Comme nous n’envisageons pas de sorties uniquement digitales, nous avons tout de suite parlé d’un 7″. Je ne me souviens pas comment nous sommes passés de l’idée d’un 7″ à celle d’un Singles Club. Nous nous sommes probablement dit qu’un Singles Club inciterait les gens à acheter tous les disques de la série. Une vile tactique marketing, donc (rires).
Quelle place les singles ont-ils occupé / occupent dans la musique indie selon vous ?
Avec des coûts de pressage qui étaient bien moins importants qu’actuellement, et dans l’esprit DIY à la suite du punk, de nombreux groupes et labels ont pu sortir un single de façon indépendante sans dépendre d’une grande structure, ce qui a contribué à l’essor de la musique indie à partir de la fin des années 70, mais j’imagine que les lecteurs de Section26 en connaissent bien plus que moi sur le sujet.
Un exemple parmi tant d’autres : Beat Happening, Redhead Wanking (Sub Pop Singles Club, 1990)
Le 7″ a été un format important dans mon éducation musicale, au cours des années 80 et 90 (et c’est également le cas pour Reno), car ils permettaient de découvrir des groupes à moindre frais. Je suis rarement revenu de mes passages chez les disquaires sans singles (et je les ai toujours tous). Aujourd’hui, que ce soit pour la musique indie ou non, j’ai l’impression que la notion de single, en tout cas au sens où on l’entendait jusque dans les années 2000, n’existe plus vraiment et j’imagine que sortir une série de 7″ peut sembler un peu anachronique. Avec les coûts de fabrication actuels élevés (le pressage d’un single est presque aussi cher que celui d’un album vinyle), les singles sont devenus des objets de luxe.
Justement, n’est-ce pas compliqué de sortir des singles vu les difficultés de pressage actuelles ? Comment réussissez-vous à vous en sortir ?
C’est effectivement assez compliqué et nous nous en rendons compte à chaque fois que nous lançons un pressage. Les délais sont très longs et incertains et cela coûte de plus en plus cher de réaliser les pressages. Avec la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, nous ne connaissons le coût définitif d’un disque qu’au moment de la livraison, plusieurs mois après avoir passé commande, ce qui rend les choses difficiles pour une structure comme la nôtre. Comme pour nos autres sorties, nous voulons garder des prix raisonnables pour ces singles et pour les frais de port (ce qui nous a obligé à bien réfléchir à l’objet, que nous essayons toujours de rendre un peu différent du disque standard, et à tout calculer au gramme près afin de rester sous une limite de poids pour les envois postaux). Il est hors de question de les proposer à des prix tels que ceux qu’on observe pour les 7″ du Record Store Day, par exemple. Il est probable que nous perdions de l’argent avec cette série de 7″, mais nous sommes très contents de sortir cinq beaux singles.
Quels sont les 5 premiers groupes du Singles Club, comment les avez-vous choisis ?
Le premier single, par Love Dance, est sorti fin septembre. Le groupe norvégien avait sorti un 7″ sur beko et Reno est resté en contact avec eux depuis. Ce sont les deux morceaux qu’ils nous ont envoyés qui ont été le point de départ du Singles Club et de la recherche des autres groupes qui allaient y participer. Reno avait repéré The Slow Summits sur Bandcamp où le groupe avait mis en ligne quelques morceaux, qui nous plaisaient beaucoup. Nous les avons contactés pour leur proposer de participer au Singles Club et ils ont rapidement accepté. Leur 7″, qui vient de sortir, est le deuxième disque de la série et la première sortie physique pour ce groupe suédois.
À l’époque où nous commencions à chercher des groupes pour le Singles Club, Stéphane Auzenet de The Reed Conservation Society nous a envoyé plusieurs démos enregistrées en solo sous le nom de Cascabel. Nous lui avons demandé s’il était d’accord de sortir deux des morceaux dans le cadre du Singles Club et il a été immédiatement partant. Son 7″, le troisième de la série, est prévu pour début 2023.
Il sera suivi par le single de Meyverlin (prévu en mars-avril 2022), dont ce sera le retour après le premier album du groupe sorti sur le label en 2021. Nous ne pensions pas qu’ils allaient revenir aussi rapidement avec de nouveaux morceaux, puisque Thierry Haliniak avait consacré les mois précédents à la sortie de l’album de My Raining Stars (89 Memories sur Shelflife Records), mais ils sont arrivés à point nommé car, à la même période, nous avions des doutes sur la capacité d’un autre groupe prévu pour le Singles Club à nous fournir leurs titres dans les délais. L’idée de participer au Singles Club a plu aux trois membres du groupe et nous nous sommes mis d’accord sur deux titres parmi les démos afin qu’ils les finissent en priorité.
Le cinquième disque sera celui de The Gentle Spring, duo composé de Michael Hiscock (qu’il n’est pas nécessaire de présenter, je pense) et Émilie Guillaumot (qui accompagnait Michael au clavier lorsqu’il a joué des morceaux des Field Mice avec des amis à l’occasion d’une poignée de concerts). Je vois fréquemment Émilie et Michael lors de mes passages à Paris, et comme je savais qu’ils avaient écrit quelques morceaux, j’ai fini par leur demander si les sortir dans le cadre du Singles Club pouvait les intéresser. Nous sommes évidemment plus que ravis qu’ils aient accepté de sortir leur premier disque avec nous.
Comment ça marche pour se procurer les singles ?
Les singles sont disponibles individuellement ou dans le cadre d’un abonnement au Singles Club. L’abonnement permet d’avoir une version numérotée des singles – avec un numéro personnel attribué à chaque abonné – regroupés dans un coffret, qui contiendra également un livret, un poster, des badges et peut-être d’autres bonus.