Le Motel, notre maison.

Le Motel, Ma Maison : était-il possible de trouver un titre qui colle mieux à la compilation d’un bar unique – et à bien des égards irremplaçable – à Paris ? Situé dans le onzième arrondissement, pas très loin des disquaires (et de la Méca), le Motel est depuis onze ans maintenant un  haut lieu de la pop indé, cette nébuleuse aux contours mouvants dont l’existence n’est pas attestée à sa juste valeur dans les écritures officielles. Difficile de s’en tenir à cette description neutre, en tous cas le bar représente depuis longtemps pour certains d’entre nous, un havre pour les musiques qui nous tiennent à cœur. C’est notre QG, nous ne nous posons même pas la question avant d’y aller, tant cela est évident. Situé un peu à l’écart dans un passage, à deux pas de la rue de la Roquette, à quelques mètres de la station Ledru-Rollin, son affiche lumineuse est un phare pour les âmes esseulées.  Derrière le bar, souvent des musiciens, nos potes, des gens intéressants, parfois d’anciens clients passés derrière le comptoir. Peut être qu’un jour un historien de la musique répertoriera les groupes créés entre les murs désormais verts du Motel; et nous y (re)découvrirons les connexions imprévisibles dues à quelques pintes éclusées sur un coin de table, ou accoudés contre le meuble en bois. En attendant, vous croiserez peut être un rédacteur de Section 26 entrain de refaire le monde avec ses potes… Son histoire avec le lieu l’amena un jour à écrire pour la-revue-dont-on-ne-dit-plus-le-nom, puis Section 26, l’occasion pour lui aussi de rendre à sa manière hommage au lieu en faisant parler des copains de leurs projets et ce que le Motel évoque pour eux. Les réponses sont toutes aussi bigarrées que le contenu et le visuel (signé JB Cocquelin) de la compilation !

Thomas Subiranin

Quelque part entre Jacco Gardner et Laurent Voulzy, Thomas Subiranin parvient chaque jour un peu plus à nous envouter par ses prestations en concert en première partie de Triptides, Levitation Room ou Julien Gasc. Coté studio, le Francilien n’a pas enregistré pas grand chose, il y a tout juste trois démos (très abouties) postées sur son soundcloud et ce premier enregistrement studio que nous vous proposons de découvrir et que Thomas commente pour nous.

« Dig est un morceau que j’ai écrit il y a pas mal d’années. Vers 2012, si je ne me trompe pas. Quelques temps après en avoir enregistré la démo, j’ai eu l’occasion de la ré-enregistrer en studio, ce qui était vraiment cool. Depuis, cette version studio dormait dans les tiroirs. Quand Le Motel m’a invité à être présent sur la compil, j’ai tout de suite pensé à cette chanson, que j’ai d’ailleurs enregistrée avec l’aide d’un copain ingé son, lui-même habitué du Motel. C’est donc la première sortie officielle de Dig, et c’est super que ça se fasse sur cette compil. Ça fait un paquet d’années que je passe au Motel, et j’y ai rencontré la plupart de mes musiciens. »

Ben Kerber
Photo : Juliette Abitbol

Nous avions découvert Benjamin Kerber à l’époque des Shades, un groupe sixties qui s’était vite découvert des ailes. Après le split du groupe, l’ancien chanteur guitariste du groupe du Val-de-Marne avait publié un très bel EP 4 titres (dont la fantastique Alfortville qui nous file toujours des frissons trois ans plus tard) enregistré avec l’aide d’Adrien Pallot (ingénieur son émérite) dont la silhouette longiligne visite régulièrement notre bar fétiche du onzième. Laissons Benjamin nous présenter le morceau et son rapport au Motel:

« J’avais fait la démo d’Objet Trouvé à l’époque des Shades. Pour moi, c’était destiné à être sur le troisième album, mais il n’a pas passé l’épreuve de l’approbation générale (on était cinq, donc c’était facile de faire des votes). Je l’ai enregistré chez moi avec les moyens du bord pour la compile. Le texte m’est venu après la perte de l’appareil photo de ma copine dans le métro, sur la ligne 8. Ça m’avait foutu le moral à zéro de perdre ce truc, je me suis senti tellement honteux et minable. Elle me l’avait prêté pour préparer le concours d’entrée à la Fémis, et m’avait vraiment spécifié d’y faire attention, d’en prendre le plus grand soin. Évidemment, je l’ai perdu au bout de 24 heures. Je lui ai repayé le même avec…de l’argent qui venait tomber de la Sacem. Heureusement, depuis j’ai plus grand chose de ce côté là. »

« En écrivant le texte, je me suis rendu compte qu’il y avait une correspondance entre le fait de chercher par tous les moyens à retrouver cet appareil – en appelant la RATP, le commissariat, en cherchant des annonces sur Le Bon Coin etc… – et mes tentatives désespérées de sauver le groupe de sa fin inextricable. En 2013, le groupe existait depuis 9 ans, on avait connu notre pic de succès critique et commercial autour de 2009, avec la signature sur Sony qui a suivi. Suite à ça, ça n’a fait que dégringoler, même si je suis super fier d’avoir créé un label pour sortir « Les Herbes Amères ». Le single « Hors de Moi  » est celui qui est le plus passé à la radio de toute notre carrière, et Philippe Katerine l’avait cité dans une playlist de l’été pour GQ , je crois. »

« Pourquoi j’ai choisi ce morceau là pour la compile du Motel ? C’est simple en fait, ce bar est associé à l’histoire du groupe, autant à son début qu’à sa fin. On y est allé à l’été 2007, quand on enregistrait notre premier album à Melodium (Montreuil) avec Hadrien Grange à la prod, qui commençait à y bosser. Ensuite on n’a jamais arrêté d’y aller. Mon frère y a bossé, puis moi de 2012 à 2015. Et la raison pour laquelle j’y ai travaillé, c’est que le groupe ne marchait pas, et que j’avais besoin de gagner des sous d’une façon ou d’une autre. J’y ai même fait la programmation et je continue d’aider Djavid, Keiko, Mathias et Rémi dès qu’ils me sollicitent, ou de bosser pour eux occasionnellement sur des événements de Motel Service. »

« Finalement, j’ai perdu le groupe, et la chanson parle de ça, et du fait qu’il m’arrive encore de rêver à sa reformation. Je pense que c’est une illusion qui me fait du bien, mais que le résultat serait désastreux, parce qu’on n’a plus 17 ans, et qu’on n’a plus envie de dire la même chose, ni de le dire de cette façon-là. En tout cas, le Motel a toujours continué d’exister, et m’a toujours soutenu. Les patrons et les gens qui y trainent sont comme une famille, et ils sont toujours là quand on a besoin d’eux. J’aurais beaucoup plus mal vécu la fin des Shades si le Motel n’avait pas existé. D’ailleurs, c’est en bossant au Motel que j’ai rencontré Fuzati, qui m’a permis de continuer à avoir une vie dans la musique grâce au Klub des Loosers live band qu’on a fondé en 2013 et qui tourne toujours. »

Xavier Boyer
Photo : Pinhead Myrtle

Vous le connaissez certainement à travers sa voix angélique accompagnant les tubes de Tahiti 80 (Heartbeat, Changes, Soul Deep, Easy…); Xavier Boyer a aussi en parallèle une carrière solo, qui à défaut d’être pléthorique est fort élégante. Son premier album, publié sous l’anagramme Axe Riverboy était une très belle surprise que tout le monde semble avoir ignoré à l’époque, une tragédie tant il était gorgé de jolies mélodies. En 2017, le Normand lui donna une jolie suite dans un registre plus lo-fi et électronique avec l’aide de Stéphane Laporte, plus connu sous le nom de Domotic et collaborateur (mixage) de Forever Pavot.  Nous avons demandé à Xavier son rapport au Mot’ et nous expliquer le choix de sa reprise.

« J’avais enregistré cette reprise juste après les sessions pour mon album solo, en mode très Lo-fi. J’ai moi même mixé le titre sur mon 4 pistes à cassette -le souffle vient de là ! »

« J’ai découvert plein de groupes grâce à des reprises sur des faces B de EP (je pense notamment aux Posies qui avaient repris « Ooh Child » des Five Stairsteps) donc je suis assez fan du principe. « Nature Girl » m’avait beaucoup marqué à sa sortie, ça sonnait comme le lien manquant entre Teenage Fanclub (d’ailleurs, j’ai voulu la faire sonner comme une face B de TFC à l’époque du label Paperhouse) et The Left Banke : baroque et power pop en même temps. Quand Djavid m’a demandé un morceau pour la compile, j’ai pensé à celui-ci.  Je trouvais que ça collait bien avec l’esprit du Motel, un des seuls bars à Paris où l’on peut passer du Olivia Tremor Control ou The Diggers, que quelqu’un te demande qui est-ce, et qu’il t’emprunte le disque dans la foulée ! »

« Outre la référence à Love, le titre de la compile est bien choisi : le Motel, quand on y fait nos soirées, c’est comme la maison d’un pote dont les parents sont partis de manière permanente en vacances. C’est toujours mémorable, bon esprit avec tout le monde réuni autour de la même passion musicale (et quelques bières). »

Dorian Pimpernel
Photo : Chloé De Nombel

La signature chez Born Bad fut la confirmation que Dorian Pimpernel était l’un des groupes de pop les plus beaux et singuliers de France. Héritiers de Broadcast ou Stereolab, ils en prolongent les volutes électroniques dans une musique élégante et originale. Ils ont répondu collectivement pour nous.

« Il s’agissait de l’un de nos morceaux en cours d’enregistrement, réalisé dans notre petit studio, sans lien réel avec le Motel en réalité, ni particulièrement festif. Il y est question de certains tours et détours de l’existence, de certains pièges que nous nous tendons à nous-mêmes, de notre incapacité à en sortir parfois. »

« Le Motel, comme le Pop In avant lui, représente une belle brochette d’amis, d’amour, de rigolade, de discussions tard le soir et parfois tôt le matin. Dès l’ouverture, nous y avions été accueillis véritablement comme des invités de marque, en décalage avec notre notoriété toute balbutiante, et nos chevilles n’ont pas désenflé depuis. De fait, il s’agit de l’un des seuls bars capable, au prix d’hectolitres de bière et d’un odieux chantage affectif, de nous convaincre de nous produire, bon gré mal gré, en formation acoustique. Deux membres du groupe y ont aussi repris « Revolution 9″ des Beatles lors d’une soirée karaoké arrosée. Pas de risque de chanter faux ou d’oublier les paroles, donc.  Notre batteur, non content de simplement taper sur des fûts, en a tellement vidé (pouet) qu’il est finalement passé derrière le comptoir pendant plusieurs années. Au moins deux cocktails à la carte, (officielle) le Joli Poupée et (officieuse) le Jean-Pierre Chevènement, sont issus des cerveaux malades de certains d’entre nous. »

Thibault « Tigrou Brown » (School Daze)
Photo : Églantine Aubry

Il était impensable de ne pas donner la parole à l’un des barmen les plus cool du Motel : le seul et l’unique Thibault, plus connu par ses fans transis sous le sobriquet de Tigrou. Fan de science fiction, il est aussi membre du groupe School Daze (un blaze emprunté à un morceau de Patrick Cowley), dont l’ambition consiste à poursuivre l’hédonisme cher au Madchester. Allez les voir sur scène pour vous déhancher comme des bêtes. Voici en tout cas le petit mot de Thibault à notre intention.

« Après 3 ans de dub station au Trabendo où j’ai travaillé (par l’intermédiaire du Motel, d’ailleurs), j’ai eu envie, comme d’autres, de me vautrer dans l’appropriation culturelle et faire un dub synthétique, une ballade digitale. J’ai mis tous mes synthétiseurs à contribution, et les autres School Daze pour les chœurs de hooligans et le mix. On a essayé de se souvenir de la fraîcheur des premières démos enregistrées dans la pièce à fûts du Motel, des afters d’afters dans les bureaux / apparts où l’indicible côtoyait le confidentiel, qui ne le restait jamais bien longtemps. Ce qu’on a vécu au Motel est à l’image de ce que Tricatel dit de sa musique sur sa première compilation : ça a l’air superficiel, mais c’est profondément sentimental. »

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