Le suicide de Ian Curtis le 18 mai 1980 ressemble à un jeu de miroirs. Le culte morbide autour du chanteur de Joy Division, au-delà de l’évolution musicale de New Order, est longtemps resté sinon minoritaire, tout au moins sous-jacent. En 1985, le journaliste Michka Assayas assiste à Manchester au tournage du vidéoclip de The Perfect Kiss par le réalisateur américain Jonathan Demme avec à ses côtés, le grand Henri Alekan en tant que chef opérateur. The Perfect Kiss (“My friend, he took his final breath/Now I know the perfect kiss is the kiss of death”) sort le même jour, le 13 mai 1985, que la centième référence du label Factory, Low Life, troisième album de New Order, qu’il contient : une première pour le quatuor.
En 1986, le réalisateur Olivier Assayas, frère aîné du pré-cité, sort son premier long-métrage, Désordre, évocation en filigrane de l’histoire tragique de Joy Division. En 2002, le réalisateur anglais Michael Winterbottom s’empare de la figure médiatique du label Factory, son initiateur Tony Wilson, dans 24 Hour Party People, version loufoque d’une histoire mythique ici résumée à Joy Division puis New Order et aux Happy Mondays. Le film est présenté lors du festival de Cannes avec un concert des vétérans A Certain Ratio, pourtant réduits dans le film au rang de figurants. En 2007, un an avant la mort de Tony Wilson, Control, “biopic” assumé et autorisé de Ian Curtis par l’homme d’images néerlandais Anton Corbijn, dont c’est le premier long-métrage, ouvre la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et y flirte avec la Caméra d’or. Depuis, il y a eu les références explicites à Joy Division dans la série télévisée américaine 13 Reasons Why sur Netflix, dont la quatrième et dernière saison est annoncée. De quoi familiariser les plus jeunes avec ce conte tragique.
Ce 18 mai 2020 marque les 40 ans de la disparition de Ian Curtis, mais chaque 18 mai de chaque nouvelle décennie n’ont pas toujours été l’occasion de revenir sur le suicide du chanteur, à la veille de sortir leur second album. En 1990, l’annonce de New Order choisi pour écrire, composer et interpréter avec des footballeurs l’hymne de l’équipe d’Angleterre pour le “mondiale” italien avait désespéré les gardiens du temple de Joy Division et interféré avec toute velléité de commémoration. Celle-ci, en 2000, un an après la mort du manager Rob Gretton, était restée aussi discrète. Mais en avril 2005, le magazine mensuel britannique Mojo affiche Ian Curtis en couverture et 2010 amplifie le mouvement, particulièrement au Royaume-Uni. Peter Hook, le bassiste dissident de New Order, choisit la date du 18 mai pour jouer en concert le répertoire de son premier groupe Joy Division avec une nouvelle formation dont il est le seul maître à bord, et se lance ensuite dans une tournée ininterrompue quitte à reprendre à parts égales celui de New Order… Qui l’a exclu en 2011 de sa seconde reformation, après celle de 1998 à 2006, et pousse pour sa part le culte de Ian Curtis jusqu’à projeter pendant les chansons de Joy Division son portrait en grand format façon héros du peuple. Tony Wilson l’avait rappelé de façon bravache plutôt que cynique dans le magazine londonien The Face au début de la nouvelle décennie 1990 : “La mort fait vendre”. Sans Ian Curtis pas de Joy Division. Sans Joy Division pas de New Order mais quid de Factory ? Le fantôme de Ian Curtis n’a jamais cessé de hanter ses contemporains survivants (“Nous sommes nés quand Ian Curtis est mort” chantait Daniel Darc filmé dans un studio en 1984 par Alain Wais pour Les Enfants du Rock) et New Order, indispensable pour assurer la pérennité de son label, a souvent été une présence encombrante pour les autres artistes accueillis par Factory.
De 1982 à 1985, les quatre membres de New Order produisent pourtant séparément d’autres qu’eux sous l’identité nominale de Be Music. Le couple formé par Gillian Gilbert et Stephen Morris, Peter Hook interlocuteur privilégié des Stockholm Monsters, et Bernard Sumner le plus souvent aidé par Donald Johnson, batteur emblématique de A Certain Ratio, enregistrent des artistes dont les disques sortent sur Factory, sa division européenne Factory Benelux ou bien son label jumeau bruxellois Les Disques du Crépuscule, ces Belgian Friends vantés par The Durutti Column. En septembre 1985, Happy Mondays sort un single inaugural sans que son insuccès laisse prévoir que ce groupe-là pourra un jour prendre la relève de la vache à lait New Order pour financer Factory (avant d’en précipiter la fin en 1992, mais c’est une autre histoire) et la référence numéro 51 du label de Manchester, son club The Haçienda. La fin de Factory est consommée après 372 références, plus les 51 de Factory Benelux, et mieux vaut jeter un voile pudique sur la résurrection manquée Factory Two au milieu des années 1990.
24 Hour Party People de Michael Winterbottom est disponible sur Arte jusqu’au 21 mai.
Comme le dit le Tony Wilson(Steve Coogan) de 24 hours party people, il y a 2 génies dans cette histoire Martin Hannett et Ian Curtis. Bien sûr sans Ian Curtis il n’y a plus de Joy Division, c’est quand même dommage que New Order ait occulté pendant tant d’années les chansons de Joy Division, parce ces musiques et ces textes sont d’un niveau exceptionnel et unique. Je comprends la démarche de Peter Hook, on ne peut pas laisser toutes ces chansons au grenier, pour un groupe qui n’a fait que 2 albums et quelques singles il n’y a que du haut niveau et rien a jeter. Même New Order les reprend désormais, on a vu la réaction du public lors des reprises de Joy division lors de leur concert en septembre 2019 au Rex, même si au niveau du chant Bernard Summer ne tient pas la comparaison avec Ian Curtis l’émotion était là sur scène et dans le public.
Et puis les chansons de New Order du début comme Procession(chef d’oeuvre méconnu) et Ceremony ça tenait la route et était dans l’esprit JD, dommage qu’il n’y ait pas eu quelques reprises de JD de la part de New Order. Mieux vaut tard que jamais et comme c’était projeté au Rex lors de leur concert : « Joy Division Forever »