Alors que nous n’étions qu’au tout début de l’étrange épisode du confinement, un philosophe avait prescrit la lecture du stoïcien Marc Aurèle comme remède à nos inquiétudes. Selon lui, la raison et la lucidité seraient nos meilleures alliées pour exorciser nos angoisses et neutraliser nos inévitables coups de déprime. On peinerait à le contredire complètement. Pourtant, on aurait pu lui faire remarquer que l’imaginaire et l’illusion sont peut-être plus vitaux encore pour traverser les péripéties de l’existence. Comment aurions-nous pu supporter notre pesante oisiveté forcée sans le recours à la fiction, aux rêves éveillés que nous procurent les romans, les films et bien sûr la musique, sans laquelle la vie ne serait qu’une erreur et un exil, selon la célèbre formule de Nietzsche ? Dans les moments difficiles, il m’a toujours semblé que l’écoute d’une bonne chanson pop était d’un secours bien plus efficace que n’importe quel précepte de sagesse antique.
J’avoue que sur une île déserte j’aurais infiniment moins de difficulté à me passer d’Epictète et de Sénèque que de Jonathan Richman et des Beach Boys. Si nous ne pouvions pas régulièrement gagner le bienheureux domaine de la rêverie grâce à la musique, notre existence perdrait immédiatement toute magie et toute saveur. « Les illusions sont à l’âme ce que l’atmosphère est à la terre. Détachez cette pellicule d’air tendre, et la plante meurt, la couleur se fane. […] La vérité nous anéantit. La vie est un rêve. C’est le réveil qui nous tue. », écrivait Virginia Woolf. Innombrables sont justement les musiciens qui ont évoqué de près ou de loin le rêve dans leurs chansons et il a fallu faire bien des sacrifices pour sélectionner les 26 titres de cette sélection. Je laisserai le soin au roi Lou Reed d’introduire cette compilation sur ces bonnes paroles :
Wrap your troubles in dreams
send them all away
Put them in a bottle and
across the seas they’ll stay