Le 26 avril 2022, Klaus Schulze rejoignait Edgar Froese, parti lui en 2015, dans le cosmos. Les deux furent les principaux architectes célestes de la Berlin School dans les années 70. Ils contribuèrent ainsi à faire de la future capitale allemande un haut lieu de la musique planante et expérimentale. La carrière de l’intéressé démarre au milieu de la décennie précédente. En pleine vague psychédélique, il joue de la batterie au sein de Psy Free, un trio art rock n’ayant laissé aucun enregistrement. Il rejoint ensuite Tangerine Dream, toujours derrière les fûts. Il participe à l’enregistrement d’Electronic Meditation (1970), avant de quitter le groupe suite à des désaccords avec Froese. Son goût pour l’expérimentation pousse en effet Klaus Schulze à utiliser des bandes d’orgue trafiquées pendant les concerts, contre la volonté du leader de Tangerine Dream.
Il fonde ensuite Ash Ra Tempel avec Hartmut Enke et Manuel Göttsching. Le trio enregistre Ash Ra Tempel en 1971, accompagné du mythique producteur Conny Plank (Neu!, Kraftwerk, Cluster, Harmonia, Les Rita Mitsouko). Klaus Schulze met ensuite les voiles et se lance enfin en solitaire avec Irrlitch (1972). Dès lors, l’Allemand créé une discographie aussi dense qu’intense. Il reste fidèle à une vision artistique forte ; il ne cesse de la perfectionner pendant les années soixante-dix et quatre-vingt. Il pose ainsi, avec d’autres, les bases de la musique new age ou de l’ambient. Moondawn, publié la même année que le premier album des Ramones (1976), ouvre la porte des étoiles vers l’univers astral de Schulze. En deux longues suites, l’album convoque de nombreuses obsessions du musiciens, tout en s’autorisant quelques extravagances le rendant unique. Dans la première moitié des seventies, la musique de Klaus Schulze est caractérisée par l’usage de nombreux claviers tels que des orgues à transistor (Crumar, Farfisa) ou des synthétiseurs (Moog, ARP etc.).
Plutôt que les séquences obsessives de Tangerine Dream, le musicien allemand préfère souvent de longs bourdons (drones) où les notes sont tenues très longtemps. Les instruments semblent ainsi tapisser l’espace et créer une toile de fond pour de subtiles variations et improvisations. Les deux épopées formant Moondawn nuancent cependant le propos. La présence, importante, de la batterie d’Harald Grosskopf (passé par les Cosmic Jokers), amène l’abstraction chère à Schulze dans de nouveaux territoires. Si la première partie de Mindphaser, la face B, convoque Timewind, l’introduction du rythme créée une rupture bienvenue. Le morceau est une longue montée en tension que Klaus Schulze fracasse d’un coup. À l’inverse, le développement du titre Floating apparaît plus tempéré et aérien. La face A, est une longue modulation autour d’une séquence hypnotisante et d’une rythmique à la régularité implacable. Elle révèle un des plus beaux moments de la discographie de Schulze. Ces 27 minutes arrêtent le temps. Elles appellent à la contemplation et aux songes. S’il est facile de caricaturer la Berlin School en n’y voyant qu’une musique pour hippie fumeur de joints, dans ses meilleurs moments, elle est pourtant bien plus que cela. Moondawn est un voyage intérieur vers les tréfonds de sa conscience, à l’aide d’instruments de pointe et d’une approche paradoxalement libre (dans sa forme) et rigoureuse (dans son essence). Klaus Schulze n’est désormais plus des nôtres mais sa musique, elle, peut toujours infuser dans nos veines et nous faire entrevoir l’espace.