KCIDY, l’humain et la sensibilité

Kcidy / Photo : Nicolas Despis
Kcidy / Photo : Nicolas Despis

En octobre dernier, nous avons rencontré Pauline Le Caignec dans les locaux de So Press qui héberge également Vietnam. Nous avons évoqué ensemble le dernier album de KCIDY, son nom d’artiste, L’Immensité et L’Immédiat. La discussion fut passionnante et riche, à l’image de ce dernier disque. Il fait suite aux Gens Heureux (2021) et à Quelque Chose de Bien (2024). Habituée de nos colonnes, que ce soit avec son projet solo ou en groupe (Tôle Froide), la musique de la chanteuse résonne avec notre ligne éditoriale. Nous en avons profité pour évoquer de nombreux sujets avec elle, que ce soit sa conception de la musique en groupe, sa manière de composer, la scène lyonnaise…

L’Immensité et l’Immédiat

« J’ai travaillé avec les mêmes musiciens, une équipe identique depuis presque toujours, déjà présente sur Les Gens Heureux (2021) et Quelque Chose de Bien (2024). Il y a Rémi Richarme (basse, guitare),  Mathias Chirpaz (guitare) et Florian Adrien (batterie).  Pour ce nouvel album, nous avons réduit le nombre de personnes investies. Rémi a enregistré L’immensité et L’immédiat (2025) dans notre home studio, situé dans le village où nous habitons. Nous y avons acheté un garage à trois et l’avons retapé. Il y a une grande pièce super chouette avec un control room. Nous avons donc surtout travaillé à quatre. Un pote ingénieur du son (Charles Mathieu) est intervenu pour la technique, écouter et nous faire ses retours. La production a été réalisée par Rémi et moi, tous les deux. »

KCIDY et le français

« Après Les Gens Heureux, je ne me voyais pas repartir vers l’anglais. Passer au français a débloqué un truc dans l’accès aux émotions. En anglais, je n’arrive pas à dire des choses intelligentes et sensibles. Avec le français, je peux davantage travailler le fond et la poésie. Musicalement, je vais progressivement vers quelque chose qui me plaît vraiment. J’affine l’approche à chaque disque même si je n’ai pas d’idées préconçues sur la direction. Avec l’expérience des disques, je sais d’avantage ce que je veux faire. »

Une équipe

« Avec cette cette équipe, nous avons enregistré beaucoup de disques ensemble, que ce soit avec ce projet ou Satellite Jockey. En se connaissant très bien, nous avons développé un son ensemble. Nous avons aussi mieux en tête les erreurs à éviter avec l’expérience de ce qui a marché ou non. On a pris le temps d’enregistrer, de ne pas se mettre de barrières comme jouer au clic. Nous sommes à l’aise avec nos instruments, autant en profiter ! Tout est enregistré en condition live avec quelques overdubs. Nous répétons et affinons les arrangements ensemble. Certains viennent de Lyon, à une heure de chez nous. Nous fonctionnons souvent en session de 4-5 jours, avant que chacun reparte faire son truc. »

Le studio

« Passer par le home studio nous a donné du temps, un énorme luxe. Nous avons pu chercher la magie de la prise, sans le stress lié aux heures qui tournent dans un studio. Là où je cherchais la performance de bien jouer toutes les notes, j’ai pu cette fois-ci davantage être spontanée. Cela se ressent sur L’Immensité et L’Immédiat : il est plus proche de l’énergie que nous avons en jouant ensemble. Il y a la petite vie des prises où il se passe quelque chose, un instantané. En jouant droit, il est très facile de perdre l’attention, je me suis rendu compte de cela avec l’expérience. »

KCIDY / Photo : Nicolas Despis
KCIDY / Photo : Nicolas Despis

Composition

Je fais un arrangement assez avancé avec une direction précise. J’enregistre une ligne de basse, une ébauche de batterie. Pour les parties de guitares, je fais généralement les mélodiques et je laisse à Rémi les rythmiques. Je partage mes démos avec les autres. Pas de règles. Je suis heureuse quand certains morceaux tripants leurs plaisent. J’estime beaucoup leurs avis. J’aimerais composer avec d’autres plus souvent mais cela demande plus d’investissement, de concessions. Pour la pop baroque comme je fais, c’est plus simple toute seule. Il faut écrire précisément la musique, aller au bout de son idées. Cela peut vite devenir laborieux collectivement. Je me demande comment fonctionne un groupe comme MGMT, par exemple. Comment ils se répartissent le travail ? À plusieurs, il faut s’assigner les rôles. Pour KCIDY, je teste les idées pour moi d’abord. Sur L’Immensité et L’Immédiat, il y a des morceaux où j’avais des doutes. Ensemble, nous avons réfléchi au service de la chanson. Nous faisons une forme d’artisanat. Placé au dessus du titre, avec nos expériences de compositeurs à travers différents projets : qu’est ce qui marcherait ? Cet équilibre fonctionne parce que chacun à son endroit à l’épanouissement. Je me sens plus confortable de les embarquer dans KCIDY car je les prive pas de leurs expressions artistiques. Les groupes ont souvent des problèmes d’égo car certains membres dépendent de celui ci pour s’exprimer artistiquement. Cela peut créer de la frustration. KCIDY est un peu le meilleur des deux mondes. »

D’AB à Vietnam

« AB Records vient de s’arrêter. Le prix des K7 a énormément augmenté. Les fondateurs ont moins de temps pour s’investir. Les micro-labels sont un dévouement total. Il faut s’y retrouver entre le temps investi et les retours.  Il y a un super fanzine qui sort sur le label avec des témoignages. C’est des potes de potes, devenu de très bons amis. Je leur avais envoyé mon tout premier EP, qu’ils avaient accepté de sortir. C’était incroyable ! Il y a aussi eu Tôle Froide avec Leslie (co-fondatrice d’AB). Le passage chez Vietnam a été assez miraculeux. Il y a peu de contraintes car Julien Gaulier nous fait confiance. Vietnam est très disponible et réglo, l’équipe est très investie ! J’avais enregistré Les Gens Heureux (2021) par moi même, il était prêt à sortir. La signature chez Vietnam nous a permis de réenregistrer l’album, la force de frappe du label n’a rien à voir. À ce moment là, je me posais beaucoup de questions sur mon rapport à la musique. Je me demandais si je devais continuer d’essayer d’en faire sérieusement. »

Pandémie

« Les Gens Heureux avait été retardé à cause du COVID. Sa sortie a été décalée de 2020 à 2021. J’ai tourné cet été là, nous étions tous très contents de sortir. C’était chouette au final, mais j’ai eu l’impression d’un retour de bâton l’année suivante. Les habitudes des gens ont changé. Celles et ceux qui écoutent cette musique sortent moins. Il faut aussi relier cela aux coupes budgétaires. Mon esthétique n’intéressent visiblement pas les kids de 18-20 ans. C’est très déroutant, ils n’écoutent pas ça du tout. Je n’ai pourtant pas l’impression de faire de la musique de niche. Il y a cependant peu de moins de trente ans dans mes concerts. Mon public fait des enfants, sort moins. Je ne l’avais pas vu venir. Peut être que la génération actuelle n’a pas fait sa vie étudiante en allant à des concerts et des bars ? Quand j’étais étudiante, c’était courant d’aller voir un concert d’un groupe que tu ne connaissais pas. Les SMAC ne font plus de soirées découvertes. Les bars ne font plus jouer les groupes car cela ne ramène plus autant de monde. Sans compter les problèmes de voisinage ! Tout est plus compliqué. Lyon avaient 3 ou 4 salles où nous pouvions organiser des concerts, jouer ou être bénévole. J’ai mis un pied dans la scène à travers le bénévolat. Il n’en reste désormais qu’une. Maintenant je suis obligée de me creuser la tête pour savoir où jouer à Lyon. La situation est similaire ailleurs. Je le remarque quand je booke mes dates pour KCIDY. Pré-COVID, je me rappelle pas avoir galéré pour organiser une tournée de 15 dates en 2017. Nous avions joué dans toutes les grandes villes, c’est devenu impossible. »

Un nouvel espoir

« J’ai fait des ateliers de musique de découverte de la pratique collective. L’expérience était géniale. Avec un groupe d’une demi douzaine de meufs assez jeunes, nous avons joué de plein d’instruments. J’envisage la musique à travers le groupe, la scène. Les jeunes voient d’avantage des personnes seules avec un ordi. Cela change la conception de la musique. Ce partage de la musique en groupe était transcendant. Pour moi, l’expérience passe par ce coté collectif. La vie d’un groupe est marquante dans l’identité d’une personne. J’ai aussi l’impression qu’une scène queer émerge. Les kids y sont actifs dans le bénévolat et l’orga, en plus des bozardeux. Les motivés sont là, car ils sont marginaux. À Lyon, le haut lieu de l’underground (Ground Zero) a été investi par des jeunes. Il y a toujours besoin de ces expériences uniques, les gens les cherchent. Le stand up marche à fond car c’est un moment spécial et unique. Cette quête du moment, elle arrive, nous avons tous vraiment besoin d’humain et de sensibilité. »


L’immensité et l’immédiat par Kcidy est sorti chez Vietnam

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