Les musiciens utilisateurs du système modulaire Buchla constituent une famille singulière. Tissant un réseau affinitaire (en témoigne la récente compilation K7, Buchla Now sortie chez le label Ultraviolet Light l’an dernier), les praticiens de ce synthétiseur ont toujours emprunté des chemins buissonniers qui précisément ont su rompre avec certains gestes trop convenus ou entendus. Le plus souvent mobilisée du côté des musiques expérimentales, ou électro-acoustiques/acousmatiques (Morton Subotnick, Todd Barton), cette forme de synthèse dite « West Coast » (par opposition à celle « East Coast » de type Moog, plus connue) est aussi très présente au sein d’une scène que l’on pourrait circonscrire par les termes de planant ou d’ambient : Suzanne Ciani, Kaitlyn Aurelia Smith ou encore par exemple Caterina Barbieri, incarnent chacune à leur manière cet art de la rencontre entre boucles électroniques et psychédélisme répétitif. Assurément, les disques de Jonathan Fitoussi et de Clemens Hourrière s’inscrivent au sein de cette filiation. À la suite de Five Steps, formidable disque issu de sessions sur un système Buchla 200 au fameux studio EMS de Stockholm, et d’Espaces Timbrés, Möbius vient en quelque sorte porter à son point d’aboutissement un travail sur la synthèse analogique et ce qu’elle implique comme croisement entre une esthétique rétro-futuriste et un certain minimalisme. Composé pour accompagner un ballet de la compagnie XY (chorégraphié par Rachid Ouramdane), ce disque frappe par un travail sur des motifs rythmiques conférant à certains morceaux un groove hypnotique qui tranche quelque peu avec les précédents travaux de Fitoussi et Hourrière. Pendulum, qui ouvre Möbius, donne en effet le ton : arpèges et séquences percussives s’organisent avec une rigueur toute métronomique. Pour ensuite, avec des titres comme lune d’afrique ou syncussion, déployer une esthétique empruntant autant à l’early electronic qu’à un certain dancefloor motorik ou kosmische. De fait, un disque qui mobilise des « stratégies obliques » de composition et de production pour nous convier à l’exploration de territoires toujours plus perturbés : poissons volants ou vague convoquent un surréalisme déviant que n’aurait pas renié l’écrivain britannique J.G. Ballard période Vermillion Sands, soulignant de la sorte la puissance narrative et fictionnelle de la musique de Fitoussi et Hourrière. Pour dans le même temps rendre le plus bel hommage qui soit à un certain âge d’or de la lutherie électronique. Sans hésitation, l’un des plus beaux disques du moment.
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