Joanne Robertson, Blurrr (AD 93)

Là où le champ de l’expérimental rejoint l’immémorial folk : un ode, un node, un nœud — là au fond de la gorge qui prend aux tripes mammifères où le reptilien ne sait plus s’il est poule ou œuf — c’est un nouvel album de Joanne Robertson qui apparaît en plein mois de septembre. Elle est là. Là derrière sa guitare et son écho, deux spécificités rien qu’à elle. À cet endroit précisément Joanne Robertson trace un trait. Une ligne d’horizon au lointain mais qui vient nous susurrer des émotions primordiales, ouatées. Blurrr le dit très bien dans son nom, c’est une masse floue, qui ronronne, mieux encore : qui déroule, enroule, empoigne. Robertson nous laisse là le temps — un luxe — d’entrer dans la chimie du son de la guitare, dans la métaphysique chordiale.

Johanne Robertson / Photo : DR
Johanne Robertson / Photo : DR

La litanie, la répétition, un cocon doux sans fièvre entre la fatigue et la tendresse. Ce qu’il nous faut. C’est exactement cela qu’il nous faut comme musique dans le délitement du monde. Des bourdons de guitare. On entend tout, le bouton qui coupe l’enregistrement, le doigt qui glisse sur la corde, le souffle qui se reprend. Musique de rien, musique du tout. À savoir, un miracle : un être humain est tout près de vous. Un éther tangible, un prestige. Une voix parfois au-dessus, parfois en-dessous — douce douce douce, rassurante et enveloppante comme la main d’une mère aimante dans les cheveux de son enfant. C’est le geste Les arpèges, je ne sais pas le vocabulaire musical — moi ça me semble ce que je crois être des arpèges — coulent comme les pas d’une marche lente d’une fin de journée inattendue, après le labeur comme un sentiment de liberté qui vous prend soudain, insolent et salvateur. Des vibrations de gratte — littéralement — qui pourraient tirer parfois vers l’Amérique dans un goût anglais, et à la première écoute j’ai dit à mon fidèle partenaire cette chose obscène et je l’espère pas trop ordurière : on dirait qu’Elliott Smith roule une pelle à Chan Marshall période profondeurs éthyliques, un baiser beau, qui surprend par sa sincérité et qui émeut car il rappelle que les émotions les plus déchirantes proviennent des actes d’amour les plus simples. Leur souvenir passé s’accroche à vos tempes comme un lambeau.

J’ai un peu étoffé le scénario de mon fantasme depuis. Entre deux péripéties de la frénétique vie contemporaine, probablement en me brossant les dents— le rêve, l’histoire petit-h, c’est la même chose, hommage à D.L. — je reprends mon délire : une fête bat tellement son plein qu’on ne sait plus quelle musique joue. Tout le monde est là Mica Levi, Laurel Halo. Et puis, James L. Kirby est là sur un canapé il infinite scroll mais sans la spirale malade de l’oubli, il entre juste en communion avec le tréfonds mental qui déploie les mélodies. Il est tout surpris en lui-même de se poser la question à nouveau : ces mélodies sont-elles des rémanences ? Sont-elles ici dans la même pièce que nous ? La petite musique des pensées, de la déréalité. Nous ne sommes plus dans notre corps mais dans celui de Liz Harris qui regarde par la fenêtre les silhouettes se mouvoir à travers le verre opaque de la fenêtre des toilettes de l’appartement du voisin d’en face. Un visage se tourne vers vous, le coffre d’un violoncelle résonne sur le parquet du couloir qui grince. C’est Oliver Coates qui s’apprête à jouer. La caméra tourne et descend : Dean Blunt fume dans sa cuisine. Il note une idée qui vient de le traverser alors que l’eau des pâtes bout. Le téléphone sonne. C’est Joanne Robertson. C’est sa musique qui joue et c’est maintenant que vous allez l’écouter.


Blurrr par Joanne Robertson est disponible sur le label AD 93

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