« Brigitte n’en fait qu’à sa guise »
Le soin apporté à la redécouverte d’une petite partie de l’œuvre de Jean-Pierre Kalfon est à la hauteur des attentes du collectionneur maniaque de vinyle (« fac-similé », « reproductions de photos inédites »), à tel point qu’on dirait une réédition japonaise avec cet ajout cartonné et explicatif qui enserre la pochette sur son côté droit. Cet appareil historique et critique intégré – très agréable à lire ma foi – aurait presque un effet décourageant sur votre serviteur – pour qui l’acteur est avant tout Rocky Malone, frère de Chet (Bernard Giraudeau), (dés)unis face au brutal Hagen (Bernard-Pierre Donnadieu) dans le singulier film de Gilles Béhat, Rue Barbare (1983) – d’écrire selon son humeur plutôt qu’en tant que connoisseur lettré (laissez-moi rêver).
Cette complète notule détaille les étapes d’un personnage bien de son époque, un jour acteur, un jour chanteur, un jour les deux, et sans doute bien plus. Kalfon est bien cet homme dévoreur d’expériences et cavaleur de vies, ne se posant pas vraiment de questions. En 1965, il enregistre quatre chansons enlevées, entre variété – dans l’expressionnisme des sentiments, porté par une voix à la limite du théâtral – et rock yéyé, dont la profondeur est construite sur les strates d’instruments de base (une guitare électrique buzzante par-ci, basse, batterie par-là) et d’arrangements fins (cuivres gonflés et rutilants, orgues acides). « Ils jouaient du rock avec des cuivres et des grands orchestres » déclare Kalfon à Christian Eudeline dans son livre, Anti-yéyé (2006).
On sera d’accord avec Pierre Sojdrug, le patron de Pop Supérette, et entomologiste précis du rock’n’roll et du pop d’ici, pour relier ce micro-événement aux saillies punks de la décennie suivante (« Je braille plus que je ne chante sur ce disque », Kalfon dans Anti-yéyé, encore), voire aux déploiements nature et progressifs des talents du sud-ouest actuel (Julien Gasc et la galaxie Aquaserge) : on peut aussi y entendre un point de rencontre entre le jazz de chansons cinématographiques à la Gainsbourg – Michel Legrand ET l’univers libre et hippie d’Areski-Fontaine pour faire simple, jusqu’à leurs enfants illégitimes des années 80. Il n’aura échappé à personne comme Chanson hebdomadaire et son inventaire à la Prévert annonce Les Histoires d’A des Rita Mitsouko.
On parlait de méticulosité japonaise, on peut aussi remarquer ce mouvement, fréquent chez les anglo-saxons, et devenu plus ou moins massif chez nous de « rétrospectives du nouveau passé » dont parlait très récemment Etienne Menu dans son bilan des années 2010 pour nos amis de Musique Journal. Et c’est tout à fait à l’honneur de Pop Supérette, parmi d’autres, de porter ce flambeau et de (re)construire petit à petit un passé commun.
« My Friend, Mon Ami » EP (France, 1965) by Jean-Pierre Kalfon