Quatre albums de Mustang, deux avec Jo Wedin : Jean Felzine a pris son temps pour publier un premier album en solitaire. Chord Memory ne s’embarrasse pourtant pas de digressions. L’ex-Auvergnat, désormais à Montreuil, ne balance que neuf chansons, dont deux reprises. L’œuvre, dissimulée derrière une pochette assez moche, n’a pourtant rien d’un EP dont il aurait délayé la sauce. Au contraire, Chord Memory est un disque dense dans lequel les emprunts se fondent parfaitement.
Jean Felzine s’en remet à Aristide Bruant à travers Dans La Rue. L’interprétation détonne autant qu’elle ne coule de source. L’argot centenaire du chansonnier trouve une étonnante résonance moderne. La production quasi-trap (les programmations frénétiques de charleston) du musicien clermontois offre une perspective passionnante sur un monument de la chanson française. Jean Felzine adapte également She’s a Mystery To Me, une chanson tardive de Roy Orbison écrite par Bono et The Edge. Le morceau est une petite merveille romantique dont le refrain épique fracasse les doutes en mille éclats. Les sept compositions originales du musicien nous enthousiasment tout autant. Chord Memory ouvre le bal. Nommée d’après une fonction de synthétiseurs (notamment l’alpha-juno), la chanson se lit à plusieurs niveaux : s’agit-il d’une relation amoureuse de couple ou avec un instrument de musique ? D’amour, il est aussi question dans la chanson en duo avec Jo Wedin, son ex-compagne et musicienne émérite. Derrière des mélodies pop sucrées de Johan Gentile, Je Vis Quand Même convoque des sentiments doux-amers, entre déception et joie. Doudou, Ordi Dis-Moi et Fanfiction forment un fascinant triptyque autour de la vie contemporaine. Jean Felzine y interroge notre rapport à l’existence, mettant des mots simples mais justes sur nos vies actuelles. Doudou critique la nostalgie qui abreuve les désormais trentenaires (et plus si affinité). Derrière des références dorénavant presque universelles (Zelda, Final Fantasy, Super Mario Bros…), Jean Felzine interroge les difficultés de notre génération à grandir et devenir des adultes fonctionnels. Ordi Dis-Moi prolonge le questionnement. Jean Felzine s’adresse autant à siri qu’à nous, s’enquérant de notre rapport à la vie et la mort à l’ère de l’IA. Fanfiction conclue cette trilogie sur une note particulièrement déprimante. Aussi glaçante qu’elle soit, la chanson est un des sommets de Chord Memory.
À Blanc, autre temps (très) fort, saisit également par sa thématique inusuelle. Texte cru et sans détour, Jean Felzine s’intéresse à l’infertilité masculine sur un slow poignant. En neuf chansons Chord Memory confirme l’immense talent de Jean Felzine. Indéniablement le chanteur a développé l’une des plus belles plumes de l’Hexagone. Excellent chanteur, il donne corps à une œuvre singulière. Moins rock que Mustang, ces nouvelles compositions assument d’être pop sans jamais chercher à trop en faire. Les arrangements et la production soignée électroniques offrent un contraste saisissant avec la voix si particulière de Jean Felzine. Ce dernier signe là un magnifique premier album solo, zeitgeist de la vie contemporaine des jeunes adultes français.
