Ce 26 août 2000, les Californiens de Grandaddy jouent sur une des scènes du festival Pukkelpop. Évidemment, à peine remis de l’avalanche de Queens Of The Stone Age la veille, on se demande bien ce que vaut le groupe. Le constat est rapidement fait : ces gens n’ont pas le physique de leurs chansons… Passons donc notre chemin : un groupe qui a un chanteur qui ressemble à la fois à un bûcheron du Montana et à un skater ne peut rien faire de bon. Terrible erreur.
Évidemment, on se rend compte quelques semaines plus tard, en tombant par hasard sur The Sophtware Slump que l’erreur est plus que coupable. Originaires de Modesto, ville perdue entre San Francisco et Sacramento, les Grandaddy permettent aux traumatisés de Kid A de passer sereinement le changement de millénaire.
Jason Lytle en a sous la casquette. L’affaire ne s’est pas arrêtée le 29 mai 2000, jour de sortie de The Sophtware Slump. L’ami américain a continué dans cette via media qu’il a lui-même fabriquée, un chemin entre rêverie pop et bricolage lo-fi. “Des souvenirs d’il y a vingt ans ? Ils resurgissent parfois mais, la plupart du temps, je n’en ai aucun, à vrai dire”, déclarait Lytle à Mathieu Grunfeld lors de la sortie de la réédition du disque. Lytle a bien dans la chance de n’avoir que peu de souvenirs car louper Grandaddy en 2000 est un très mauvais souvenir. Il vient de s’effacer grâce à Yann Debiak, initiateur du projet Color Bars Experience, cet orchestre qui a revisité avec une certaine agilité gracieuse les chansons d’Elliott Smith et de Nick Drake. Jason Lytle faisait partie de cette aventure en 2015.
Elle se poursuit uniquement avec lui aujourd’hui sous le nom de The Lost Machine Orchestra avec pour but de d’offrir une nouvelle version des chansons de The Sophtware Slump. Les arrangements signés Jean-Christophe Cheneval imposent une évidence : Jason Lytle est un écrivain fantastique. Que ce soit avec son groupe ou en solo, il en impose.
Les concerts de The Lost Machine Orchestra ont le même effet que… le MTV Unplugged d’Alice In Chains. Enregistré en 1996, ce disque jetait une lumière sombre sur les compositions de Jerry Cantrell, alter ego de feu Layne Staley. Groupe agaçant aimant montrer qu’il sonnait plus fort que ses pairs, Alice In Chains n’avait rien pour plaire et bénéficia de l’entaille faite par Nirvana. Personne ne s’y trompa, Kurt Cobain en premier. Mais en ce 10 avril 1996, dans un théâtre de Brooklyn, Alice In Chains arriva à enregistrer un Unplugged du niveau de celui de Nirvana et surtout à devenir diablement intéressant. Comme l’écrivit Arnaud Viviant dans les colonnes des Inrockuptibles pour la sortie du disque : “Alice In Chains est un groupe qui, décidément, ne nous intéresse que quand il ne s’aime pas”. Débarrassées de leur surplus sonique, les compositions de Cantrell méritaient un nouvel examen. Alors, le constat est le même pour le concert de Jason Lytle et de The Lost Machine Orchestra. Et c’est le seul point commun avec le groupe de Seattle. Les chansons de Lytle sont indispensables. Et cette tournée vient d’effacer (ou d’adoucir) ce mauvais souvenir vieux de 22 ans.