Commencez par casser tous les miroirs de la maison, laissez pendre vos bras, regardez vaguement le mur, oubliez-vous. Chantez une seule note, écoutez à l’intérieur. Si vous entendez (mais cela ne se produira que plus tard) quelque chose comme un paysage plongé dans la peur, avec des feux entre les pierres, avec des silhouettes à demi nues et accroupies, je crois que vous serez sur la bonne voie, de même si vous entendez un fleuve où descendent des barques peintes de jaune et de noir, si vous entendez une saveur de pain, un toucher de doigt, une ombre de cheval.
Après quoi, achetez des partitions, un habit et, de grâce, ne chantez pas du nez et laissez Schumann en paix.
“Instructions pour chanter”, Cronopes et Fameux, Julio Cortazar
Jana Horn ne se prive pas de citer dès qu’elle parle ou écrit, et elle écrit très sérieusement – avec tout l’humour requis ; alors ne nous privons pas de lire, et de l’écouter.
Son premier album, Optimism, fut la claque lente de l’an passé, un bref recueil de chansons par un squelette d’orchestre, une évidence de montagne, une évidence d’évidences faussement chuchotées – la dynamique de son chant suit des chemins sans pareils, discrètement. Il y avait tout dans ce disque, car il n’y avait aucun lieu commun – seulement de vagues airs de famille, disparus chaque seconde de sa voix, chaque fois que son art de la prosodie, allié d’une diction et d’un souffle que l’on saura seulement signaler, sinon décrire, terrassait l’habitude en nous.
Chaque fois que l’on écoutait une chanson de Jana Horn, il se passait quelque chose. Des guitares, des basses, des batteries, des gouffres poétiques, des abysses métaphysiques, simplement de la littérature, simplement de l’art, simplement la musique. Un disque que je n’avais pas le droit de jouer trop souvent à la maison : paroles et calme déchiraient la distraction, et l’on n’a pas toujours la force de s’asseoir.
Depuis, on guettait, et c’est venu, forcément, le présent second album au titre encore plus parfait issu d’un poème de réveil, The Window Is The Dream, qui suffirait à faire mon bonheur.
Concision poursuivie et idoine, trente minutes composées sur deux cordes de guitare, mises en son selon nos espoirs les plus secrets : la voix est inhabituellement en avant pour un mix indie, enregistrée en proximité, rendant justice à la finesse d’une interprétation où les plosives sont autant de percussions qui appuient et déplacent les grooves. Les graisses des chansons sont à peine moins abstraites – on reconnaît parfois des styles –, les mélodies toujours discrètement écrites, sinueuses, évidentes, mémorables, au parfum persistant d’après le rock, mais en anglais. On ne parlera pas de folk, même si les guitares sont d’abord acoustiques, à l’exception de leads tortueux et folâtrant, pas sages. On parlera difficilement de pop, malgré l’évidence inattendue des émotions équivoques comme ces chansons. Et donc, une fois de plus, on parlera à défaut, précisément, de chansons, et ce sera déjà beaucoup, ce sera déjà tout.
Parfois je pense à Pod de Deal et Donnelly quand s’alignent les croches, parfois à Stereolab – Song for Eve ! –, parfois à Hendrix – oui ! le psychédélisme tranquille et substantiel en trois minutes, mais acoustique, mais rien à voir mais tout à voir, ce sentiment de liberté exorbitant –, parfois à Stina Nordenstam et à son éthique du style, surtout je pense à Jana Horn car j’ai l’impression de lire un deuxième roman dit d’une voix aussi unique que celle de son prédécesseur, où le spirituel et le poétique respirent, profondément, ensemble – curieusement, je pense à Lou Darsan. Le rythme et les ondes de Love In Return, quant à eux, ne sont pas loin des procédés de Swell, mais Swell n’est pas loin de tout ce qui a de la présence, n’est-ce pas, et si l’on persiste à ressentir du psychédélisme à rebours, des impressions de, des sons qui doivent aussi à ce que quelque chose du début des années 1990 a pu signifer, alors de fait on se retrouve à la hauteur de David Freel, sans être lui, sans être ci ou ça, simplement en balançant d’incroyables chansons à la face d’un incroyable disque dont chaque piste contient un monde. Et si la claque de la surprise ne retentit plus, une autre caressante, nous recueille : The Window Is The Dream.