Jack Name, Magic Touch (Mexican Summer)

Nombreux sont, ces temps-ci, les amoureux séparés. Les amoureux confirmés, ou ceux qui n’ont pas eu le temps de se l’avouer. Pour tromper l’isolement imposé par leur mère, les sœurs Lisbon, dans une scène inoubliable du Virgin Suicides de Sofia Coppola, dialoguent avec les garçons en chansons, le téléphone contre la platine. Todd Rundgren chante  Hello, it’s me et Gilbert O’Sullivan, en la voix des adolescentes, soupire : Alone again, naturally. Sur Magic Touch, Jack Name est cette âme esseulée au bout du fil. A la place du tourne-disque, sa guitare, mais avec une même urgence à rétablir, par la musique, une certaine proximité.

Magic Touch, ou la magie du toucher dont nous restons dépendants, tels les nouveau-nés, toute notre vie. Pour la première fois, le Californien, collaborateur d’Ariel Pink, de White Fence et de Cass McCombs, laisse de côté l’expérimentation, caractéristique de ses deux premiers albums (Light Show, 2014, et Weird Moons, 2015), pour se concentrer sur l’essentiel. En produisant lui-même l’album, Jack Name fait le choix d’un enregistrement brut et intimiste : ses mots résonnent au plus proche de l’oreille, et on ne décèle aucun effet, aucun traitement susceptible de brouiller l’authenticité de ses mots. Sur Dudette, accompagné d’un Chris Cohen tout en retenue à la batterie, il se décharge de ses maux : I never wanted anything bad for you, my baby. Le fatalisme l’emporte sur la mélancolie et, pendus à ses lèvres, nous l’écoutons comme s’il s’adressait à notre propre messagerie.

Jack Name
Jack Name / Photo : Logan White

Une certaine Izella Berman vient, à deux reprises, interrompre cette solitude. De sa voix enfantine, elle le rassure : I want you where I am. There’s only empty nights here. (Empty Nights). La jeune femme ajoute aussi de la fantaisie à un album qui n’en est pas pour autant dénué. Karolina, le titre d’ouverture, est soufflé lascivement, à la manière du fantasque Nicholas Allbrook (Tame Impala, Pond). Les amateurs de White Fence reconnaîtront Do You Know Ida No? dont Tim Presley, ami de longue date, s’était autorisé à enregistrer une version sur son Family Perfume Vol. 1, en 2012. On découvre enfin la chanson à la façon de son auteur : un dialogue masculin-féminin espiègle, porté par le clavecin, attribut rétro également présent sur un second titre à l’air familier, I Came To Tell You In Plain English (I’m Leaving You). S’il ne reprend ni les paroles ni les mélodies de Gainsbourg (Je suis venu te dire que je m’en vais), le musicien lui emprunte son dandysme et, sur ce titre en particulier, une certaine nonchalance. Nous imaginons sans peine la cigarette posée là, tout près.

Magic Touch fait le plus avec le moins. Kick Around Johnny n’est qu’un murmure, ponctué de quelques notes, si minimal qu’il en devient audacieux. Les titres sont courts, souvent composés d’arpèges répétitifs, comme le sensuel A Moving-on Blues, le Donovan-esque, très sixties, Having A Good Time, ou, au paroxysme de toute cette poésie : Sacred Place. Jack Name nous lacère le cœur de ses paroles : I could tell you how much I love you in about a million ways. Every time I look around I find your smile all over the place .

L’album se clôt avec une autre chanson sur la solitude, Losing My Way. Son clavier jazz nous transporte en fin de soirée, lorsque les amis sont partis et qu’il ne reste, sur les canapés, que les amoureux ou les plus alcoolisés. Magic Touch est sans doute l’album qu’écouteraient alors ces oubliés.

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