Depuis une quinzaine d’années, l’Australie semble être devenue la nouvelle Terre Promise du rock and roll. Les gamins y forment incessamment de nouveaux groupes et courent voir des concerts, chose surprenante quand ont voit qu’en France par exemple, le rock est devenu une affaire de quadras, voire de quinquas, au vu de tous les chauves et des têtes chenues qu’on observe majoritairement dans les salles de concerts et même sur scène. En Australie, quelques formations et artistes des antipodes comme Tame Impala, Courtney Barnett et plus récemment Amyl and the Sniffers ont réussi à connaître un véritable succès mondial, parvenant à s’extraire de l’étroit microcosme indie. Les jeunes painques boutonneux à mulets de The Chats sont même parvenus à réaliser l’invraisemblable en atteignant plus de 20 millions de vues sur Youtube avec leur hilarant hit Smoko.
De notre côté on aura maintes et maintes fois, dans les pages de Section 26, chanté les louanges de la scène de Melbourne – plus confidentielle mais ô combien intéressante -, notamment des formidables Stroppies (nés des cendres des magnifiques The Stevens), des Shifters métamorphosés en The Toads, des mille et une formations de l’omniprésent et semble-t-il omnipotent Al Montfort (Photo ci-contre, membre d’UV Race, Terry, Dick Diver, Total Control et pléthore d’autres side-projects), de Parsnip, de Eddy Current Suppression Ring, de Jackson Reid Briggs ou d’Exek – même si, dois-je l’avouer, l’engouement pour ce groupe me laisse quelque peu songeur. On n’aura pas non plus oublié de louer les formations de Brisbane comme feu The Goon Sax ou encore le Kitchen’s Floor de Matt Kennedy, ni les multiples incarnations de Jake Robertson (Alien Nosejob, Ausmuteants), basé à Geelong (Victoria), ni non plus Rat Columns, l’excellent groupe pop de David West, retranché dans la lointaine Perth, à l’extrême Ouest du pays des kangourous.
Nous n’avons pas non plus manqué de dire notre admiration pour ces Australiens qui ont choisi l’exil en France comme le fantasque et génial Nathan Roche et le magnifique Maxwell Farrington qui sont aujourd’hui devenus incontournables dans le paysage indie hexagonal.
Nous ne nous sommes pas non plus privés de dire tout le bien qu’on pensait de la scène punk/egg-punk australiennes de Sidney et notamment du R.M.F.C. du jeune Buz Clatworthy.
Mais c’est d’un autre nouveau héros de Sidney, Ishka Edmeades, dont je voulais faire l’éloge aujourd’hui. Comme Al Montfort, ce jeune punk et beau gosse de 25 ans qui pourrait être le fils de Joey Ramone, né d’un père Maori débarqué au Australie dans les seventies, paraît doué d’ubiquité et d’une créativité inépuisables.
Bien qu’il ait baigné dans le dub et le reggae au cours de son enfance, c’est avec Metallica qu’est né son désir de se mettre à la musique. Après avoir fait main basse sur la batterie de son père qui dormait dans le garage, il a vite monté avec un pote un cover-band de la troupe de James Hetfield, en mode basse/batterie. Mais c’est avec la découverte de Nirvana qu’a eu lieu la révélation qui allait entraîner sa métamorphose, les précieuses interviews de Kurt Cobain lui permettant de prendre connaissance de la myriade de groupes de l’ombre vénérés par l’icône de Seattle.
Depuis, Edmeades s’est mis à composer et enregistrer frénétiquement, formant des groupes tous azimuts, qu’il s’agisse de projets solo ou qu’il prête main forte à ses nombreux potes en tant que guitariste ou batteur.
Par exemple, c’est lui qui tient la guitare dans Gee Tee, groupe punk dont nous avons récemment fait la chronique du très enthousiasmant dernier album Goodnight Neandertal. Ishka Edmeades est aussi aux commandes de Satanic Togas, groupe egg-punk actif depuis 2020 et dont le dernier EP décoiffant Digital World est sorti en 2023. On le trouve aussi aux manettes dans Set-Top Box son excellent groupe Devo-esque as fuck dont il faut absolument écouter le topissime 7 » de 2021 Max Headroom et l’impeccable compil de 2020 TV Guide Test, en particulier la chanson Alien Game Show ainsi que Pressure, qui rappelle l’univers du Californien Zak Mering avec Raw Thrills. On pense aussi, à l’écoute de Debt and Equit et de Data Lost à Warsaw, la première incarnation des futurs Joy Division. Research Reactor Corps, avec ses riffs spasmodiques rigides, son exécution mécanique, ses guitares et voix au son déformé est quant à lui la version la plus radicale et déjantée de toutes les formations d’Edmeades, avec un chant qui se rapproche carrément du cri primal.
Mais c’est surtout pour ma part avec Tee Vee Repairmann, son groupe le plus « pop », qu’Ishka Edmeades me donne des envies de bondir partout. Le LP What’s on TV ? enregistré… dans son salon et sorti début 2023 est un peu comme les deux premiers albums des Ramones : un enchaînement de tubes imparables et jouissifs, sans jamais aucun temps mort, avec des mélodies addictives qui restent en tête pendant des jours. La dernière fois qu’un disque m’avait un tel effet c’était l’album éponyme des Jeanines en 2019, même si l’univers de Tee Vee Repairmann n’a vraiment rien de « twee » et se situe dans une culture résolument résolument rock. On croirait entendre du Jay Reatard chanté par Cole Alexander des Blacks Lips, avec des ressemblances soniques avec les regrettés Cheap Time de Jeffrey Novak. Comment résister à Backwards, et ses accents de Paper Dolls de The Nerves ou à l’incroyable tube Drownin’, qui donne des envies immédiates de air guitar, à I Can’t Figure You Out ou Get Outta Here qui se rapprochent des hits magiques de Protex, ces légendes de la power pop irlandaise dont Edmeades portait d’ailleurs récemment un t-shirt sur scène.
Mention spéciale aussi pour People, chanson qui appelle des réécoutes compulsives à plein volume. Si on trouve peut-être moins de tubes sur le EP Patterns de 2021 pourtant plus qu’honorable, on ne manquera pas d’aller se délecter de Make Up My Mind, morceau velvétoïde plus lent qu’à l’accoutumée, tiré du EP 2-Big-4-Mah-Boots, mais qui montre que l’ami Ishka a plus d’un tour dans son sac et que son inspiration peut faire feu de tout bois.
On notera au passage une certaine proximité entre Tee Vee Repairmann et 1-800-MIKEY, groupe de cet autre sydnéen de talent qu’est Michael Barker. Mais c’est une autre histoire.
On peut être sidéré de voir qu’à tout juste vingt-cinq balais, Edmeades possède déjà un discographie longue comme le bras, avec plus de 100 chansons à son actif et encore des dizaines en gestation, selon ses dires. Signalons aussi que notre nouvel Australien préféré est aussi une bête de scène, infatigable et débordant d’une énergie qui donnerait la patate à un zombie et qu’il a déjà sillonné plusieurs fois l’Europe et les USA pour prêcher la bonne parole.
L’Australie, en pleine effervescence rock and roll n’en finit donc pas de nous étonner et montre a ceux qui l’avaient trop rapidement enterré que le rock a encore de beaux jours devant lui.