Intersystems, #4 (Waveshaper Media)

Intersystems #4Le psychédélisme est aujourd’hui une catégorie consacrée, qui renvoie à une esthétique et un vocabulaire sonore omniprésents au sein du paysage pop contemporain. À tel point qu’il semble trop souvent flirter avec un certain cliché qui sied si bien au marketing culturel. Mais ce serait oublier qu’il a toujours attiré dans son sillage d’authentiques francs-tireurs, par définition rétifs à toute catégorisation trop étroite ou attendue. C’est le cas ici avec ce nouveau disque des pionniers canadiens Intersystems, incontestables fous furieux praticiens du collage sonore, d’une early electro psyché dont la radicale liberté n’aurait d’égal que celle de créateurs aussi singuliers que Sun Ra ou Morton Subotnick, par exemple. Et c’est peu dire que la sortie sur Waveshaper Media de #IV constitue un événement important : quatrième disque du groupe, il fait suite à Free Psychedelic Poster Inside, qui date de 1968. Une manière de reprendre un travail à plus de cinquante années de distance, comme si ce qui avait été expérimenté dans le sillage des esthétiques 60’S post-fluxus pourrait encore s’avérer pertinent aujourd’hui.

Intersystems
Intersystems

La sortie en 2015 d’une Box Set chez Alga Marghen avait permis à cet égard de prendre toute la mesure de cette œuvre iconoclaste. Number One, Peachy et Free Psychedelic Poster Inside, trois disques parus entre 1967 et 1968, constituent autant de tentatives impressionnantes s’attachant à construire un pont entre avant-garde et contre-culture. Une époque bénie, qui a rendu possible cette improbable combinaison d’éléments issus de l’avant-garde musicale (musique concrète, minimalisme, tape music), des pratiques artistiques multimedias (happenings, poésie…) et des sphères les moins normées de la pop (bruitiste et électronique, essentiellement). Et le collectif composé de l’architecte Dik Zander, du musicien John Mills-Cockell, du poète Blake Parker et du plasticien Michael Hayden s’impose en quelque sorte comme un modèle du genre : constitué au sein de la scène underground canadienne avec pour acte de naissance une installation nommée « Perception 67 » – élaborée à l’occasion d’une semaine consacrée au LSD dans le cadre de l’université de Toronto -, c’est avant tout le modèle des communautés artistico-politiques allemandes comme Amon Duul, Can ou Faust qui nous vient en tête pour caractériser une démarche créatrice aussi radicale. `

De ce fait, la décision prise par Hayden et Mills-Cockell de faire revivre une entité aussi énigmatique que précieuse aurait pu paraître comme relevant essentiellement du contretemps. Or l’écoute des différentes pièces de #4 nous prouve le contraire : le système modulaire Moog, qui constitue la pièce centrale du dispositif, convoque certes des sonorité et timbres caractéristiques d’un certain rétro-futurisme électronique, mais ceci sans jamais sombrer dans la citation kitsch. Des titres comme Sonny Abilène ou Unfinished World peuvent par exemple évoquer les travaux les plus récents de Chris Carter. Le décès du poète Blake Porter en 2007 a aussi imposé un travail plus approfondi en direction de la synthèse vocale : Ghosts ou X-Ray Animals combinent un spoken word robotique et des ambiances synthétiques que ne renierait pas un Gerald Donald sous son allias de Der Zyklus. Assurément, nous sommes ici en très bonne compagnie. La pertinence du disque tient dès lors essentiellement dans son aptitude à renouer avec la créativité des années héroïques de l’électronique musicale, en se réappropriant ce qu’elles ont pu avoir de si singulières dans leur capacité à porter un certain esprit de recherche. Mais ceci sans céder aux facilités futuristes modernistes, pour leur préférer l’inquiétude dystopique des esthétiques industrielles. Bref, nous le comprenons, ce disque d’Intersystems est l’occasion de redécouvrir une formation qui a pu faire figure de véritable pierre angulaire des musiques aventureuses. Et s’impose à ce titre comme l’un des grands disques du (non)-genre.


#4 par Intersystems est disponible sur le label Waveshaper Media.

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